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Strabon ses idées sur l'Égypte, et nous en a fait des pages colossales qui sont dans toutes les mémoires. Quant à la Chine et à l'Inde, elles étaient presque entièrement ignorées au dix-septième siècle; et nos connaissances sur ces contrées sont encore assez vagues. Le monde grec lui a peut-être plus échappé que l'Orient: il n'a pas assez vu le rôle immense de l'art et de la philosophie chez ce peuple. Quant à Rome, elle n'a jamais été appréciée dans certaines parties de son histoire avec plus de grandeur et de force. Lorsque Bossuet rentre dans son domaine, à l'époque de la venue du Christ, il ressaisit toute sa puissance. L'histoire de la religion dans ce livre désespérera toujours quiconque voudra entreprendre d'écrire sur ce sujet.

Vico, lui, a vu l'histoire universelle dans la législation, et il s'est montré plus exclusif encore que Bossuet. D'ailleurs, il n'est pas poète comme notre grand homme; son livre, si remarquable sous tant de rapports, a la sècheresse de l'érudition. La science nouvelle de Vico a peut-être doté la France de l'Esprit des lois de Montesquieu.

On a porté sur ce grand écrivain des jugements bien divers. D'abord il y eut un cri d'admiration dans toute l'Europe. Puis vint s'y mêler, comme une note discordante, un mot spirituel, répété par l'insouciance frivole et par l'envie : « C'est de l'esprit sur les lois. » L'admiration toutefois s'éleva au-dessus de ce murmure; mais aujourd'hui il

n'est pas rare d'entendre dénigrer Montesquieu. Son livre est pour nous l'œuvre d'un esprit supé rieur, ce que la France a produit de plus profond sur cette partie de l'histoire que nous avons définie par ce mot, l'État. D'ailleurs, Montesquieu a tenu ce qu'il a promis, et son titre n'annonçait pas une histoire universelle.

Il faut reconnaitre que ce grand travail est encore à naître, malgré l'œuvre de Herder, Idées sur la philosophie de l'histoire. Sans doute l'auteur s'est montré moins exclusif que ses prédécesseurs; mais il affecte une forme symbolique et vague, qui révèle bien plus un poète qu'un historien. Je ne sais quel nuage enveloppe ses pensées. Herder est un grand artiste qui sent avec énergie les beautés de la nature, et les chante avec enthousiasme. Comme Montesquieu, il s'occupe beaucoup de l'influence des climats sur l'homme; il excelle à peindre les . migrations des peuples primitifs, leur voyage à travers ce monde oriental si vaste et si mystérieux! Il fait rapidement l'histoire de l'art avec la supériorité de cette brillante critique de l'Allemagne que rien n'a égalée. Mais, sans parler davantage de l'obscurité qui voile ses tableaux, nous remarquerons encore que l'on n'y sent pas assez la liberté de l'homme, agissant au milieu de la nature que le poète idolâtre.

Nous venons d'écrire un grand mot. On a accusé plusieurs historiens de nos jours de fatalisme, c'est

à-dire d'enchaîner la liberté de l'homme, de représenter les phases de l'histoire conduites par la fatalité, et l'homme féroce et criminel agissant forcément sous l'empire d'une organisation physique irrésistible. Je ne crois pas qu'un seul historien contemporain ait poussé l'aveuglement jusque-là. Toutefois il faut avouer que quelques détails dans plusieurs travaux de notre époque peuvent faire naître de tels soupçons. Il me semble que cette haute question de l'alliance des vues providentielles, que d'autres appellent destin (mot qui n'a plus de sens), avec la liberté de l'individu, est arrivée à une solution assez claire dans l'histoire.

En créant l'homme, Dieu lui a imposé des lois, selon lesquelles il va se développant sans cesse. Ce sont ces lois que l'homme n'a pas la liberté d'enfreindre, puisqu'elles constituent sa nature, pas plus que Dieu n'enfreint celles qu'il s'est posées à lui-même. Par exemple, l'homme ne peut pas faire que ces trois facultés, comprendre, aimer, choisir, intelligence, amour, liberté, ne soient pas en lui; car ces trois choses sont l'essence même de sa nature. L'humanité ainsi faite marche à travers les siècles, d'investigations en investigations, de systèmes en systèmes.

Venons à des applications. Ces pages, ayant pour but l'enseignement, doivent prétendre avant tout à la clarté.

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Lorsqu'une idée saisit l'âme d'un penseur, il se

passionne pour elle, il la revêt d'une forme brillante, d'un style pittoresque, puis il la jette aux hommes. Cette idée, qui est en opposition avec l'ordre existant dans le monde, excite une grande rumeur. Chacun maudit le philosophe audacieux ou le regarde comme un fou. Mais le temps marche; quelques hommes étudient le livre, et finissent par approuver le nouveau système. D'année en année, le nombre de ses partisans grossit; et quand la majorité des hommes qui mènent les masses est imprégnée de cette idée, alors il devient impossible qu'elle ne soit pas représentée bientôt par les faits extérieurs. Si cette idée est la démocratie, certainement le gouvernement républicain s'établira dans le monde ; il n'appartient plus à aucun homme de l'empêcher : voilà ce qu'on appelle la fatalité historique. Mais remarquez que cette république, qui sera devenue une nécessité, est allée se développant lentement et librement d'intelligence en intelligence; et que Dieu a laissé longtemps à chaque homme le pouvoir d'examiner et de choisir ; et qu'enfin cette nécessité se forme d'une foule de volontés individuelles parfaitement libres.

Résumant tout ce que nous venons de dire, nous reconnaîtrons que l'histoire ne saurait être vraie et complète qu'à la condition de tenir compte de Dieu, de l'homme et de leurs rapports. Elle doit contenir les cinq éléments déjà cités : la religion, l'état, l'industrie, l'art, la philosophie.

De nobles travaux historiques surgissent des divers États de l'Europe. L'Allemagne, l'Italie, la France, ont exploré l'antiquité avec un infatigable zèle. On nous a donné de pittoresques reflets des chroniques; toutes ces belles choses sont de précieux matériaux pour un grand monument qui s'élèvera sans doute un jour.

Nous avons vu, chemin faisant, tout ce que l'histoire doit à l'art, et que sans lui l'historien ne produit aucun effet sur ses semblables, le style lui étant aussi indispensable qu'au poète. Il est inutile de faire sentir tout ce que l'artiste gagnera à étudier le développement de l'intelligence, révélé par les faits de l'histoire. C'est une vérité trop éblouissante pour que chacun ne ferme pas le livre à ce passage, qu'il proclamera inutile; l'artiste ne peut plus être aujourd'hui une sorte d'instrument sonore ; il doit s'éclairer au flambeau de la science, il a la conscience de ce qu'il produit. Voyez d'ailleurs ce que les plus grands noms de la poésie ont fait de l'histoire : - Homère, les tragiques grecs, Dante, Shakspeare, Walter Scott; leurs œuvres ont été un miroir où se sont reflétées les annales de l'humanité.

L'Iliade et l'Odyssée sont l'histoire même des temps primitifs de la Grèce. Ce récit du premier grand duel des peuples grecs contre l'Asie, le périlleux voyage d'Ulysse, qui allait recueillant partout des observations et des souvenirs, vivront éternelle

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