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ville, qui finit par lui dicter un testament où il réduit son fils à la légitime.

Pour gouverner quélqu'un longtemps et absolument, il faut avoir la main légère, et ne lui faire sentir que le moins qu'il se peut sa dépendance.

Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui au delà sont intraitables et ne se gouvernent plus : on perd tout à coup la route de leur cœur et de leur esprit : ni hauteur, ni sou plesse, ni force, ni industrie, ne les peuvent dompter; avec cette différence que quelques uns sont ainsi faits par raison et avec fondement, et quelques autres par tempérament et par hu

meur.

Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raison ni les bons conseils, et qui s'égarent volontairement par la crainte qu'ils ont d'être gouvernés.

D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de les gouverner à leur tour en des choses graves et de conséquence.

I

Drance veut passer pour gouverner son maître, qui n'en

Le comte de Tonnerre, premier gentilhomme de la chambre de feu Monsieur, de la maison des comtes de Tonnerre-Clermont. Ils portaient autrefois pour armes un soleil au-dessus d'une montagne. Mais depuis que, l'an 1123, un comte de cette maison rétablit le pape Calixte II sur son trône, ce pape a donné pour armes à cette maison deux clefs d'argent en sautoir; et quand un comte de cette maison se trouve à Rome lors du couronnement d'un pape, au lieu que tout le monde lui va baiser les pieds, lui se met à côté, tire son épée et dit: Etsi omnes, ego non.

Ceci est une pure fable. Cette maison est fort ancienne, et ceux qui en sont présentement sont très fiers, et traitent les autres de petite noblesse et de bourgeoisie. L'évêque de Noyon, qui en est, ayant traité sur ce pied la famille de Harlay de bourgeois, et étant allé pour diner chez M. le premier président qui l'avait su, celui-ci le refusa, en lui disant qu'il n'appartenait pas à un petit bourgeois de traiter un homme de sa qualité; et comme cet évêque lui répondit qu'il avait renvoyé son carrosse, M. le premier président fit mettre les chevaux au sien, et le renvoya ainsi dont on a bien ri à la cour. Après la mort de M. de Harlay, archevêque de Paris, il a eu le cordon bleu. Depuis, le clergé l'ayant prié d'en vouloir faire l'oraison funèbre aux GrandsAugustins, où l'on devait faire un service solennel, il s'en excusa, disant qu'il trouvait le sujet trop stérile; dont le roi étant averti, le renvoya dans son diocèse. L'abbé de Tonnerre, de la même maison, a été fait évêque de Langres en 1695.

croit rien, non plus que le public: parler sans cesse à un grand que l'on sert, en des lieux et en des temps où il convient le moins, lui parler à l'oreille ou en des termes mystérieux, rire jusqu'à éclater en sa présence, lui couper la parole, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner ceux qui viennent faire leur cour, ou attendre impatiemment qu'ils se retirent, se mettre proche de lui en une posture trop libre, figurer avec lui le dos appuyé à une cheminée, le tirer par son habit, lui marcher sur les talons, faire le familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un favori.

Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni ne cherche à gouverner les autres : il veut que la raison gouverne seule, et toujours.

Je ne haïrais pas d'être livré par la confiance à une personne raisonnable, et d'en être gouverné en toutes choses, et absolument, et toujours; je serais sûr de bien faire sans avoir le soin de délibérer, je jouirais de la tranquillité de celui qui est gouverné par la raison.

Toutes les passions sont menteuses; elles se déguisent autant qu'elles le peuvent aux yeux des autres; elles se cachent à ellesmêmes il n'y a point de vice qui n'ait une fausse ressemblance avec quelque vertu, et qui ne s'en aide.

:

On ouvre un livre de dévotion, et il touche: on en ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression. Oserai-je dire que le cœur seul concilie les choses contraires, et admet les incompatibles?

Les hommes rougissent moins de leurs crimes que de leurs faiblesses et de leur vanité : tel est ouvertement injuste, violent, perfide, calomniateur, qui cache son amour ou son ambition, sans autre vue que de la cacher.

Le cas n'arrive guère où l'on puisse dire, j'étais ambitieux; ou on ne l'est point, ou on l'est toujours mais le temps vient où l'on avoue que l'on a aimé.

Les hommes commencent par l'amour, finissent par l'ambition, et ne se trouvent dans une assiette plus tranquille que lorsqu'ils meurent.

Rien ne coûte moins à la passion que de se mettre au dessus de la raison : son grand triomphe est de l'emporter sur l'intérêt.

L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce par le cœur que par l'esprit.

Il y a de certains grands sentiments, de certaines actions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de notre esprit qu'à la bonté de notre naturel.

Il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance,

Il faut être bien dénué d'esprit, si l'amour, la malignité, la nécessité, n'en font pas trouver.

Il y a des lieux que l'on admire; il y en a d'autres qui touchent, et où l'on aimerait à vivre.

Il me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit, l'humeur, la passion, le goût et les sentiments.

Ceux qui font bien mériteraient seuls d'être enviés, s'il n'y avait encore un meilleur parti à prendre, qui est de faire mieux : c'est une douce vengeance contre ceux qui nous donnent cette jalousie.

Quelques uns se défendent d'aimer et de faire des vers, comme de deux faibles qu'ils n'osent avouer, l'un du cœur, l'autre de l'esprit.

Il y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs et de si tendres engagements que l'on nous défend, qu'il est naturel de désirer du moins qu'ils fussent permis de si grands charmes ne peuvent être surpassés que par celui de savoir noncer par vertu.

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CHAPITRE V.

DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION.

Un caractère bien fade est celui de n'en avoir aucun. C'est le rôle d'un sot d'être importun: un homme habile sen! s'il convient ou s'il ennuie il sait disparaître le moment qui précède celui où il serait de trop quelque part.

L'on marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par tout pays de cette sorte d'insectes. Un bon plaisant est une pièce rare: à un homme qui est né tel, il est encore fort délicat d'en

soutenir longtemps le personnage: il n'est pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.

Il y a beaucoup d'esprits obscènes, encore plus de médisants ou de satyriques, peu de délicats. Pour badiner avec grace, et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut trop de manieres, trop de politesse, et même trop de fécondité': c'est créer que de railler ainsi, et faire quelque chose de rien.

Si l'on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, l'on aurait honte de parler ou d'écouter, et l'on se condamnerait. peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s'accommoder à tous les esprits; permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent ou sur l'intérêt des princes, le débit des beaux sentiments, et qui reviennent toujours les mêmes : il faut laisser Aronce parler proverbe, Mélinde parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines, et de ses insomnies.

L'on voit des gens qui, dans les conversations ou dans le peu de commerce que l'on a avec eux, vous dégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté, et j'ose dire par l'impropriété des termes dont ils se servent, comme par l'alliance de certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et à qui ils font signifier des choses que leurs premiers inventeurs n'ont jamais eu intention de leur faire dire. Ils ne suivent en parlant ni la raison ni l'usage, mais leur bizarre génie, que l'envie de toujours plaisanter, et peut-être de briller, tourne insensiblement à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur idiôme naturel : ils accompagnent un langage si extravagant d'un geste affecté et d'une prononciation qui est contrefaite. Tous sont contents d'eux-mêmes et de l'agrément de leur esprit, et l'on ne peut pas dire qu'ils en soient entièrement dénués; mais on les plaint de ce peu qu'ils en ont; et, ce qui est pire, on en souffre.

Que dites-vous? comment? je n'y suis pas, vous plairait-il de recommencer? j'y suis encore moins : je devine enfin : vous vou

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lez, Acis, me dire qu'il fait froid; que ne disiez-vous, il fait. froid : vous voulez m'apprendre qu'il pleut ou qu'il neige; dites, il pleut, il neige : vous me trouvez bon visage et vous désirez de m'en féliciter; dites, je vous trouve bon visage. Mais, répondez-vous, cela est uni et bien clair, et d'ailleurs qui ne pourrait pas en dire autant? Qu'importe, Acis, est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables les diseurs de phébus, vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans l'étonnement; une chose vous manque, c'est l'esprit ce n'est pas tout, il y a en vous une chose de trop, qui est l'opinion d'en avoir plus que les autres voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre, je vous tire par votre habit, et vous dis à l'oreille Ne songez point à avoir de l'esprit, n'en ayez point, c'est votre rôle; ayez si vous pouvez un langage simple, et tel que l'ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit, peut-être alors croira-t-on que vous en avez.

:

Qui peut se promettre d'éviter dans la société des hommes la rencontre de certains esprits vains, légers, familiers, délibérés, qui sont toujours dans une compagnie ceux qui parlent, et qu'il faut que les autres écoutent? On les entend de l'antichambre : on entre impunément et sans crainte de les interrompre : ils continuent leur récit sans la moindre attention pour ceux qui entrent ou qui sortent, comme pour le rang ou le mérite des personnes qui composent le cercle: ils font taire celui qui commence à conter une nouvelle, pour la dire de leur façon, qui est la meilleure; ils la tiennent de Zamet, de Rucelay, ou de Conchini, qu'ils ne connaissent point, à qui ils n'ont jamais parlé, et qu'ils, traiteraient de Monseigneur s'ils leur parlaient : ils s'approchent quelquefois de l'oreille du plus qualifié de l'assemblée pour le gratifier d'une circonstance que personne ne sait, et dont ils ne veulent pas que les autres soient instruits : ils suppriment quelques noms pour déguiser l'histoire qu'ils racontent et pour détourner les applications : vous les priez, vous les pressez inutilement : il y a des choses qu'ils ne diront pas; il y a des

'Sans dire Monsieur.

gens

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