Page images
PDF
EPUB

forme aux nôtres; celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu'il sont. Il y a plus dans le premier de ce que l'on admire, et de ce que l'on doit même imiter; il y a plus dans le second de ce que l'on reconnaît dans les autres, ou de ce que l'on éprouve dans soi-même. L'un élève, étonne, maîtrise, instruit; l'autre plaît, remue, touche, pénètre. Ce qu'il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raiŝon est manié par le premier; et par l'autre ce qu'il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion. Ce sont dans celui-là des maximes, des règles et des préceptes, et dans celui-ci du goût et des sentiments. L'on est plus occupé aux pièces de Corneille, l'on est plus ébranlé et attendri à celles de Racine; Corneille est plus moral, Racine plus naturel. Il me semble que l'un imite Sophocle, et que l'autre doit plus à Euripide.

Le peuple appelle éloquence la facilité que quelques uns ont de parler seuls et longtemps, jointe à l'emportement du geste, à l'éclat de la voix et à la force des poumons. Les pédants ne l'admettent aussi que dans le discours oratoire, et ne la distinguent pas de l'entassement des figures, de l'usage des grands mots et de la rondeur des périodes.

Il me semble que la logique est l'art de convaincre de quelque vérité ; et l'éloquence un don de l'ame, lequel nous rend maîtres du cœur et de l'esprit des autres ; qui fait que nous leur persuadons tout ce qui nous plaît.

L'éloquence peut se trouver dans les entretiens et dans tout genre d'écrire. Elle est rarement où on la recherche, et elle est quelquefois où on ne la cherche point.

L'éloquence est au sublime ce que le tout est à sa partie. Qu'est-ce que le sublime? Il ne paraît pas qu'on l'ait défini. Est-ce une figure? naît-il des figures ou du moins de quelques figures? Tout genre d'écrire reçoit-il le sublime, ou s'il n'y a que les grands sujets qui en soient capables? Peut-il briller autre chose dans l'églogue qu'un beau naturel, et dans les lettres familières, comme dans les conversations, qu'une grande délicatesse? ou plutôt le naturel et le délicat ne sont-ils pas le sublime des ouvrages dont ils font la perfection? Qu'est-ce que le sublime? où entre le sublime?

Les synonymes sont plusieurs dictions ou plusieurs phrases

[ocr errors]

différentes qui signifient une même chose. L'antithèse est une opposition de deux vérités qui se donnent du jour l'un à l'autre. La métaphore ou la comparaison emprunte d'une chose étrangère une image sensible et naturelle d'une vérité. L'hyperbole! exprime au delà de la vérité pour ramener l'esprit à la mieux' connaître. Le sublime ne peint que la vérité, mais en un sujet noble; il la peint tout entière, dans sa cause et dans son effet ; il est l'impression ou l'image la plus digne de cette vérité. Les esprits médiocres ne trouvent point l'unique expression, et usent de synonymes. Les jeunes gens sont éblouis de l'éclat de l'antithèse, et s'en servent. Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore. Les esprits vifs, pleins de feu, et qu'une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s'assouvir de l'hyperbole. Pour le sublime, il n'y a même entre les grands génies que les plus élevés qui en soient capables.

Tout écrivain, pour décrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau, qu'il lit pour la première fois où il n'a nulle part, et que l'auteur aurait soumis à sa critique, et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu seulement à cause que l'on s'entend soi-même, mais parce qu'on est en effet intelligible.

L'on n'écrit que pour être entendu ; mais il faut du moins en écrivant faire entendre de belles choses. L'on doit avoir une diction pure, et user des termes qui soient propres, il est vrai; mais il faut que ces termes si propres expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renferment un très beau sens. C'est faire de la pureté et de la clarté du discours un mauvais usage que de les faire servir à une matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, sans nouveauté : que sert aux lecteurs de comprendre aisément et sans peine des choses frivoles et puériles, quelquefois fades et communes, et d'être moins incertains de la pensée d'un auteur qu'ennuyés de son ouvrage?

Si l'on jette quelque profondeur dans certains écrits; si l'on affecte une finesse de tour, et quelquefois une trop grande dé

'Les romans.

licatesse, ce n'est que par la bonne opinion qu'on a de ses lec

teurs.

L'on a cette incommodité.1 à essuyer dans la lecture des livres faits par des gens de parti et de cabale, que l'on y voit pas toujours la vérité. Les faits y sont déguisés, les raisons réciproques n'y sont point rapportées dans toute leur force, ni avec une entière exactitude; et, ce qui use la plus longue patience, il faut tire un grand nombre de termes durs et injurieux qui se disent des hommes graves, qui, d'un point de doctrine ou d'un fait contesté, se font une querelle personnelle. Ces ouvrages ont cela de particulier qu'ils ne méritent ni le cours prodigieux qu'ils ont 'pendant un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent, lorsque, le feu et la division venant à s'éteindre, ils deviennent des almanachs de l'autre année.

La gloire ou le mérite de certains hommes est de bien écrire ; et de quelques autres, c'est de n'écrire point.

2

L'on écrit régulièrement depuis vingt années; l'on est esclave de la construction; l'on a enrichi la langue de nouveaux mots, secoué le joug du latinisme, et réduit le style à la phrase purement française; l'on a presque retrouvé le nombre que Malherbe et Balsac avaient les premiers rencontré, et que tant d'auteurs depuis eux ont laissé perdre. L'on a mis enfin dans le discours tout l'ordre et toute la netteté dont il est capable: cela conduit insensiblement à y mettre de l'esprit.

:

Il y a des artisans ou des habiles dont l'esprit est aussi vaste que l'art et la science qu'ils professent: ils lui rendent avec avantage, par le génie et par l'invention ce qu'ils tiennent d'elle et de ses principes: ils sortent de l'art pour l'ennoblir, s'écartent des règles, si elles ne les conduisent pas au grand et au sublime ils marchent seuls et sans compagnie; mais ils vont fort haut et pénètrent fort loin, toujours sûrs et confirmés par le succès des avantages que l'on tire quelquefois de l'irrégularité. Les esprits justes, doux, modérés, non seulement ne les atteignent pas, ne les admirent pas, mais ils ne les comprennent point, et voudraient encore moins les imiter. Ils demeurent tranquilles dans l'étendue de leur sphère, vont jusques à un certain point qui fait les bornes de leur capacité et de leurs lu

1 Les jésuites et les jansénistes.

* Le P. Bouhours et le P. Bourdaloue, tous deux jésuites.

[graphic][merged small]
« PreviousContinue »