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de la faveur et de l'autorité, qui se familiarisent avec leur propre grandeur, et à qui la tête ne tourne point dans les postes les plus élevés. Ceux au contraire que la fortune, aveugle, sans choix et sans discernement, a comme accablés de ses bienfaits, en jouissent avec orgueil et sans modération : leurs yeux, leur démarche, leur ton de voix et leur accès marquent longtemps en eux l'admiration où ils sont d'eux-mêmes et de se voir si éminents; et ils deviennent si farouches, que leur chute seule peut les apprivoiser.

Un homme haut et robuste, qui a une large poitrine et de larges épaules, porte légèrement et de bonne grace un lourd fardeau, il lui reste encore un bras de libre; un nain serait écrasé de la moitié de sa charge: ainsi les postes éminents rendent les grands hommes encore plus grands, et les petits beaucoup plus petits.

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Il y a des gens qui gagnent à être extraordinaires : ils voguent, ils cinglent dans une mer où les autres échouent et se brisent; ils parviennent, en blessant toutes les règles de parvenir; ils tirent de leur irrégularité et de leur folie tous les fruits d'une sagesse la plus consommée : hommes dévoués à d'autres hommes, aux grands à qui ils ont sacrifié, en qui ils ont placé leurs dernières espérances, ils ne les servent point, mais ils les amusent: les personnes de mérite et de service sont utiles aux grands, ceux-ci leur sont nécessaires; ils blanchissent auprès d'eux dans la pratique des bons mots, qui leur tiennent lieu d'exploits dont ils attendent la récompense; ils s'attirent, à force d'être plaisants, des emplois graves, et s'élèvent par un continuel enjouement jusqu'au sérieux des dignités; ils finissent enfin, et rencontrent inopinément un avenir qu'ils n'ont ni craint ni espéré ce qui reste d'eux sur la terre,

De La Feuillade de la maison d'Aubusson, gouverneur du Dauphiné, et colonel du régiment des Gardes-Françaises, qui a érigé la statue du roi à la place des Victoires, qu'il a fait bâtir sur les ruines de l'hôtel de la Ferté, a fait sa fortune par mille quolibets qu'il disait au roi. Ce fut lui qui conduisit le secours que le roi envoya à l'empereur, qui lui fut si utile qu'il défit avec lui les Turcs à la bataille de Saint-Godard en 1664, et les obligea de passer le Raab avec perte de près de 10,000 hommes. Cette défaite donna de la jalousie à l'empereur, qui renvoya au roi son secours, sans lui accorder presque de route ce qui ruina beaucoup les troupes.

c'est l'exemple de leur fortune, fatal à ceux qui voudraient le suivre.

L'on exigerait de certains personnages qui ont une fois été capables d'une action noble, héroïque, et qui a été sue de toute la terre, que, sans paraître comme épuisés par un si grand effort, ils eussent du moins, dans le reste de leur vie, cette conduite sage et judicieuse qui se remarque même dans les hommes ordinaires; qu'ils ne tombassent point dans des peti- tesses indignes de la haute réputation qu'ils avaient acquise; que se mêlant moins dans le peuple, et ne lui laissant pas le loisir de les voir de près, ils ne le fissent point passer de la curiosité et de l'admiration à l'indifférence, et peut-être au mépris.

Il coûte moins à certains hommes de s'enrichir de mille vertus que de se corriger d'un seul défaut; ils sont même si malheureux, que ce vice est souvent celui qui convenait le moins à leur état, et qui pouvait leur donner dans le monde plus de ridicule il affaiblit l'éclat de leurs grandes qualités, empêche qu'ils ne soient des hommes parfaits, et que leur réputation ne soit entière. On ne leur demande point qu'ils soient plus éclairés et plus incorruptibles, qu'ils soient plus amis de l'ordre et de la discipline, plus fideles à leurs devoirs, plus zélés pour le bien public, plus graves: on veut seulement qu'ils ne soient point amoureux.

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Quelques hommes 3, dans le cours de leur vie, sont si différents d'eux-mêmes par le cœur et par l'esprit, qu'on est sûr de se méprendre, si l'on en juge seulement par ce qui a paru d'eux dans leur première jeunesse. Tels étaient pieux, sages, savants, qui, par cette mollesse inséparable d'une trop riante fortune, ne le sont plus. L'on en sait d'autres qui ont commencé leur vie par les plaisirs, et qui ont mis ce qu'ils avaient d'esprit à

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Le roi Jacques II, qui s'était rendu illustre dans le temps qu'il commandait la flotte d'Angleterre en qualité de duc d'York, et qui depuis ce temps là n'a fait aucune action de valeur.

De Harlay, archevêque de Paris, qui a toujours eu quelque mai

tresse.

3 Le cardinal de Bouillon.

*Boutillier de Rancé, qui a été abbé de la Trappe, où il a mené une vie triste, dure et austère ou le car liñal Le Camus, évêque de Grenoble.

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les connaître, que les disgraces ensuite ont rendus religieux, sages, tempérants. Ces derniers sont, pour l'ordinaire, de grands sujets et sur qui l'on peut faire beaucoup de fond its ont une probité éprouvée par la patience et par l'adversité : ils entent sur cette extrême politesse que le commerce des femmes leur a donnée, et dont ils ne se défont jamais, un esprit de règle, de réflexion, et quelquefois une haute capacité, qu'ils doivent à la chambre et au loisir d'une mauvaise fortune.

Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls : de là le jeu, te luxe, la dissipation, le vin, les femmes, l'ignorance, la médisance, l'envie, l'oubli de soi-même et de Dieu.

L'homme semble quelquefois ne se suffire pas à soi-même : les ténèbres, la solitude, le troublent, le jettent dans des craintes frivoles et dans de vaines terreurs : le moindre mal alors qui puisse lui arriver est de s'ennuyer.

L'ennui est entré dans le monde par la paresse; elle a beaucoup de part dans la recherche que font les hommes des plaisirs, du jeu, de la société. Celui qui aime le travail a assez de soi-même.

La plupart des hommes emploient la première partie de leur vie à rendre l'autre misérable.

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Il y a des ouvrages' qui commencent par A et finissent par Z: le bon, le mauvais, le pire, tout y entré, rien en un certain genre n'est oublié. Quelle recherche, quelle affectation dans ces ouvrages! on les appelle des jeux d'esprit. De même il y a un jeu dans la conduite on a commencé, il faut finir, on veut fournir toute la carrière. Il serait mieux de changer ou de suspendre; mais il est plus rare et plus difficile de poursuivre : on poursuit, on s'anime par les contradictions; la vanité soutient, supplée à la raison qui cède et qui se désiste : on porte ce raffinement jusque dans les actions les plus vertueuses, dans celles même où il entre de la religion.

Il n'y a que nos devoirs qui nous coûtent, parce que leur pratique ne regardant que les choses que nous sommes étroitement obligés de faire, elle n'est pas suivie de grands éloges, qui est tout ce qui nous excite aux actions louables et qui nous soutient dans nos entreprises. N... aime une piété fastueuse qui

Le Dictionnaire de l'Académie.

• Lestrot, administrateur et proviseur des prisonniers; ou Pellis

lui attire l'intendance des besoins des pauvres, le rend déposi taire de leur patrimoine, et fait de sa maison un dépôt public où se font les distributions : les gens à petits collets et les sœurs grises y ont une libre entrée; toute une ville voit ses aumônes, et les publie. Qui pourrait douter qu'il soit homme de bien, si ce n'est peut-être ses créanciers?

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Géronte meurt de caducité, et sans avoir fait ce testament qu'il projetait depuis trente années dix têtes viennent ab intestat partager sa succession. Il ne vivait depuis longtemps que par les soins d'Astérie sa femme, qui jeune encore s'était dévouée à sa personne, ne le perdait pas de vue, secourait sa vieillesse, et lui a enfin fermé les yeux. Il ne lui laisse pas assez de bien pour pouvoir se passer, pour vivre, d'un autre vieillard.

Laisser perdre charges et bénéfices plutôt que de vendre ou de résigner, même dans son extrême vieillesse, c'est se persuader qu'on n'est pas du nombre de ceux qui meurent; ou si l'on croit que l'on peut mourir, c'est s'aimer soi-même, et n'aimer que soi.

Fauste est un dissolu, un prodigue, un libertin, un ingrat, un emporté, qu'Aurèle son oncle n'a pu haïr ni déshériter.

Frontin, neveu d'Aurèle, après vingt années d'une probité connue et d'une complaisance aveugle pour ce vieillard, ne l'a pu fléchir en sa faveur, et ne tire de sa dépouille qu'une légère pension que Fauste, unique légataire, lui doit payer.

Les haines sont si longues et si opiniâtres, que le plus grand signe de mort dans un homme malade, c'est la réconciliation. L'on s'insinue auprès de tous les hommes, ou en les flattant dans les passions qui occupent leur ame, ou en compatissant aux infirmités qui affligent leur corps. En cela seul consistent les soins que l'on peut, rendre de là vient que celui qui se porte bien, et qui désire peu de chose, est moins facile à gou

verner.

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La mollesse et la volupté naissent avec l'homme, et ne finissent qu'avec lui; ni les heureux ni les tristes évènements ne l'en peuvent séparer : c'est pour lui ou le fruit de la bonne fortune ou un dédommagement de la mauvaise.

son, maître des requêtes, qui avait l'économat des évêchés et des abbayes.

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