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de roi comme un grade militaire, qu'il donnait à ses lieutenants et à sa famille.

Les historiens du premier empire ont peu insisté sur un fait extrêmement remarquable et parfaitement vrai. C'est que les idées nouvelles s'étaient conservées dans l'armée plus qu'ailleurs. Non pas que l'armée de l'empire fût républicaine, mais elle était jalouse d'une sorte d'égalité, et la nouvelle cour devenait l'objet des plaisanteries les plus osées, et des critiques les plus violentes. Il y avait donc dans l'armée de ce temps les ardents et les tièdes. Les premiers ne se faisaient pas faute de brûler l'encens autour du maître, tandis que les seconds se tenaient à l'écart, silencieux et réservés. Pour ces derniers, l'empereur déployait parfois les séductions de son sourire, car au lieu de les frapper il voulait les ramener à lui. Sur les champs de bataille, tous faisaient également leur devoir. A l'heure des disgrâces, la fidélité fut la même, et la calomnie seule a

pu

dire que l'Empire trouva la trahison dans les rangs de ceux qui avaient été ou devinrent royalistes.

Officier de l'ancienne monarchie, Napoléon comprenait à merveille que chez les uns les souvenirs fussent plus persistants que chez les autres. Il ne partageait pas contre l'ancienne noblesse les préjugés de quelques-uns de ses généraux. 11 mettait même souvent une sorte de coquetterie à supporter gaiement les froideurs du beau monde militaire. Il savait que la critique des hommes armés n'est périlleuse que sur le terrain

politique. D'ailleurs, ce rude capitaine faisait la part de l'humanité, et comprenait que des compagnons attachés à sa fortune, et n'ayant ni trêve ni repos, devaient éprouver à la longue quelque lassitude; aussi disait-il un jour au maréchal Soult : « Ils grognent, mais ils marchent. >>

Après la revue de l'empereur, Gonneville assiste à la bataille de Heilsberg, et se dirige vers Tilsitt. Le colonel d'Avenay est nommé général après une série de combats qui trouvent leur place dans les Souvenirs militaires du colonel de Gonneville.

On est surpris, en les lisant, qu'un homme puisse échapper à tant de périls. Rester de longues heures à cheval au milieu des boulets, des balles et des sabres, courir soi-même au-devant de la mort, la braver, puis sortir sain et sauf de cette fournaise, semble chose impossible, et cela s'est vu, cependant, pour Gonneville, qui le raconte simplement comme chose toute naturelle. Il nous montre Murat ordonnant une charge de la division de cuirassiers dans une circonstance désastreuse, ce qui prouve, une fois de plus, avec quelle prodigalité se répandait le sang des soldats. Le mouve ment étant contraire aux règles et au bon sens, l'empereur en exprima son mécontentement au futur roi de Naples qui, sans mot dire, accepta le reproche. De tout le 6 cuirassiers il ne resta debout que cinq officiers. Le régiment fut cité à l'ordre de l'armée, et le lieutenant de Gonneville reçut la décoration de la Lé

gion d'honneur. C'était la bataille de Heilsberg qui précéda de quatre jours la victoire de Friedland. En faisant le récit de cette dernière journée, M. Thiers y fait figurer la première division de grosse cavalerie commandée par le général de Nansouty, et il ajoute que cette division était affaiblie par les pertes considérables qu'elle avait faites à la bataille de Heilsberg. Or, la division de Nansouty n'assistait pas à la bataille.

Il ne resta donc du 6o cuirassiers que deux petits escadrons, l'un commandé par le sous-lieutenant Marulaz, l'autre par le lieutenant de Gonneville. Le jour et le lendemain de cette éclatante rencontre, Gonneville, comme ses compagnons de gloire, ne vécut que d'herbes et de racines crues arrachés aux fossés du chemin.

Un philosophe ne laisserait pas échapper ces brins d'herbes, sans les comparer aux faisceaux de lauriers qui les ombrageaient. Mais ce rapprochement nous touche peu, tant il est dans la vie des gens de guerre. Pendant le repas, plus que frugal, l'empereur vint à passer. Son visage était sombre, et tout annonçait le mécontentement. Les blessés, les mourants se soulevaient pour l'acclamer. Les soldats, dans une sorte de délire, oubliant les fatigues, les privations et les morts, saluaient avec enthousiasme leur capitaine songeur et distrait.

Lui regrettait sa belle cavalerie tombée dans la bataille; il aurait voulu la conserver pour Friedland. Murat n'avait pas eu cette prévoyance. Le général d'Avenay ayant obtenu que Gonneville lui fût attaché en

qualité d'aide de camp, tous deux partirent pour Kœnigsberg, où était le quartier-général impérial. « Nous trouvâmes sur notre route, dans plusieurs endroits, des blessés russes installés par groupes au milieu des champs. Ils étaient là depuis plus d'un mois sans pansements et sans autres moyens de subsistance que ce que la charité de quelques paysans pouvait leur fournir irrégulièrement. >>

Le général et l'aide de camp se rendent à leur nouveau poste. La brigade est cantonnée près de Soldau, sur la rive gauche de la Passarge, et le château du baron de Collas est désigné au général d'Avenay pour son logement. Il s'y rend accompagné de Gonneville. Le baron vit dans son manoir avec sa femme, un fils et deux filles. La présence des Français, loin d'affliger le baron et la baronne, faisait naître au château une gaieté peu ordinaire. On riait tout le jour et, la nuit venue, chacun apportait son lit dans le jardin pour y chercher la fraîcheur. Quoique le jardin fût vaste, les lits étaient rapprochés, ce qui fait dire à Gonneville que cette famille était vraiment fort originale.

Pour répondre à tant de politesses, le général d'Avenay donne un bal. A peine les invitations sont-elles lancées que mademoiselle Sophie de Collas vient confier à M. d'Avenay un embarras sérieux la veille d'un bal; elle n'avait point de toilette digne de la circonstance. Le général offrit galamment la robe, et l'aide de camp les souliers de satin blanc brodés de perles.

Il fallut cependant dire adieu au baron et repasser la Vistule pour aller en Silésie. « Lorsque nous quittâmes nos cantonnements, dit le colonel de Gonneville, les paysans témoignèrent à nos soldats de véritables regrets, et un grand nombre les accompagna au loin. >> Ceci prouve que le Français sait se faire aimer et regretter, même sur la terre étrangère. Nous le savions, mais il nous est doux de l'entendre répéter.

Le séjour de Gonneville dans le château de Rohnstock, en Silésie, est l'un des épisodes intéressants de sa vie. C'est dans les souvenirs du colonel qu'il faut chercher les détails de nobles relations que ni le temps ni la guerre ne purent affaiblir.

Au loin, de l'autre côté des Pyrénées, Madrid se révoltait et l'armée française voyait la journée de Baylen. La division de cuirassiers reçut l'ordre de se rendre de Silésie en Espagne.

L'empereur était à Mayence, et lorsque ses cuirassiers traversèrent la Saxe pour marcher sur Bayonne, il les passa en revue. Cette revue eut lieu en avant de Cassel. Napoléon nomma Gonneville capitaine, en présence de tous les princes de la Confédération qui lui faisaient escorte.

A quelque temps de là, les régiments marchant toujours, l'empereur, qui revenait d'Erfurth, les rencontra près de Bordeaux. Sans descendre de voiture, Napoléon fut salué par le général d'Avenay. On changeait les chevaux de la berline et quelques personnes

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