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La Révolution de 1830.

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CHAPITRE XII

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Départ pour

Tours. Poitiers. M. de Beaumont, préfet 'des Deux-Sèvres. Émeutes à Saint-Maixent. Le général de MarLe gouvernement de juillet proclamé. Alençon. Nomination au grade de colonel. Le 4 de Hussards. Encombrement des Ministères. Le 13 de Chasseurs. M. de Madame MoLe général Morand.

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Brack. Le général Sémelé. rand.

La remonte de Haguenau.
Aaron. Le maréchal Soult.

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Casimir Périer, le
Demande de retraite.

Les marchands de chevaux.

Alençon. Le préfet et le prodéputé des Deux-Sèvres et la Fin.

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Au mois de mai 1830, j'obtins un congé pour aller chercher à Paris ma femme et ma fille1. A cette époque, un orage politique grondait sourdement; l'expédition d'Alger qui se préparait pouvait faire diversion à la mise en œuvre des projets révolutionnaires; mais les fautes du gouvernement, à la tête duquel le Roi avait eu le tort immense d'appeler le duc de Polignac, l'absence de toute précaution contre le danger, l'éloignement de plusieurs régiments de la garde, et la méfiance non méritée envers ceux de la ligne, tout cela amena la révo

1. En 1825, M. de Gonneville avait épousé, en secondes noces, mademoiselle de Bacourt, sœur de M. de Bacourt, ambassadeur sous le règne du roi Louis-Philippe, et légataire des mémoires du prince de Talleyrand.

lution de Juillet qui fit perdre le trône à la branche aînée des Bourbons et où tout ce qui l'entourait, sauf le maréchal Marmont et les généraux Vincent et de Saint-Chaman, lutta d'ineptie, de lâcheté ou de trahison. Je n'ai pas l'intention de raconter l'histoire, si bien connue, de cette catastrophe; mais je veux répéter ce que tous les vrais militaires n'ont cessé de dire, c'est que, dans le moment où Charles X abdiquait tous ses droits pour lui et les siens, et consentait à quitter le sol de la France, un homme de cœur, s'il s'en fût trouvé là un seul, aurait pu, avec deux pièces de canon et un escadron, ramener victorieusement le Roi dans sa capitale.

Je quittai Paris au moment où de vagues et sombres pressentiments agitaient la partie de la population attachée à la royauté légitime symbole d'ordre dans l'État et dans les familles. A peine étais-je en Normandie, où je devais passer la fin de mon congé, que les fameuses ordonnances qui suspendaient la Constitution furent lancées. Je me trouvais alors chez un de mes plus anciens et meilleurs amis, M. de Dampierre, qui m'engagea à attendre chez lui que la lumière se fit; mais l'idée de ne pas être à mon poste dans un moment qui pouvait devenir difficile m'empêcha d'accepter cette proposition, et le lendemain du jour où la nouvelle de la promulgation des ordonnances nous était parvenue, je me mis en route pour Saint-Maixent, emmenant avec moi ma femme et ma fille.

Je remarquai jusqu'à Tours une certaine agitation dans les lieux où nous passions, et, là, elle prit un caractère bien plus apparent. Quand nous y arrivâmes il faisait nuit; la population entière encombrait la rue Royale, par laquelle nous entrions; ma voiture fut à l'instant arrêtée et entourée par cette foule avide de nouvelles, qui déjà avait vent de la lutte engagée à Paris et dont, avec des sentiments divers, chacun attendait avec

anxiété l'issue. J'eus assez de peine à faire comprendre aux interrogateurs que je ne savais rien. Nous pûmes enfin entrer à l'hôtel du Faisan, et le lendemain je reçus la visite du comte Borgarelli d'Ison que je connaissais beaucoup, et qui commandait le 16° régiment d'infanterie en garnison à Tours. Il ne me parut pas aussi inquiet que la circonstance paraissait le comporter; il était Italien et, quoique naturalisé Français, il ne pouvait avoir dans le cœur ce sentiment de la patrie implanté par une tradition de plusieurs générations. De là naturellement un peu d'indifférence pour les destinées du pays, et pour les dynasties qui tombent ou surgissent.

Nous quittâmes Tours vers neuf heures du matin pour nous rendre à Poitiers, où aucune nouvelle positive n'était encore arrivée; on savait seulement qu'on se battait à Paris. A Châtelleraut, pendant que, arrêté devant la maison d'un charron, je faisais faire à ma voiture une légère réparation, je vis arriver par la route que nous venions de suivre, et à bride abattue, un homme dans le plus grand désarroi : ses vêtements étaient déchirés; son pantalon de nankin, remontant jusqu'aux genoux, laissait voir des jambes nues dont le sang paraissait prêt à s'échapper par suite du frottement des étrivières et des quartiers de la selle. Son visage, pourpre et gonflé, faisait craindre une attaque d'apoplexie. A peine l'eut-on descendu de cheval, chose qu'il n'aurait pu faire sans aide, qu'il vint à moi, en chancelant, et me supplia de lui donner une place dans ma voiture pour continuer sa route il me dit qu'il lui était impossible de supporter plus longtemps l'exercice du cheval dont il n'avait pas l'habitude, et que, d'un autre côté, il avait hâte d'arriver à Bordeaux pour rassurer sa famille qui, en apprenant ce qui se passait à Paris, pouvait le croire au nombre des milliers de victimes neutres tombées sous les balles des deux partis.

Il me montra un bulletin imprimé; ce bulletin, signé des principaux révolutionnaires sans rien dire de positif, me donna à penser que la défense de l'ordre n'avait pas eu le succès que, dans mon for intérieur, j'aimais à lui attribuer d'une manière indubitable; il était clair que, au moment où le bulletin avait été lancé, deux directions opposées étaient en présence à Paris, et que la victoire ne s'était point encore prononcée. Je démontrai à mon pauvre monsieur que, ayant dans ma voiture ma femme, ma fille couchée dans son berceau, et deux domestiques sur le siége, il m'était matériellement impossible de lui donner une place, mais qu'il trouverait à la poste un cabriolet qui le conduirait au moins jusqu'à Poitiers. Il suivit ce conseil, et avant de partir, j'eus la satisfaction de voir atteler le cabriolet que je lui avais indiqué. Le malheureux, qui, je crois, n'avait jamais monté à cheval, venait de faire, sans s'arrêter, soixantequinze lieues à franc étrier et à toutes selles, et ce en pantalon de nankin, sans sous-de-pied et avec des souliers!

Nous arrivâmes à Poitiers le soir de ce même jour, et, là encore, je fus en butte aux questions anxieuses de tout ce qui m'approchait. Je vis le préfet et le général de Marchangy qui commandait la subdivision. Je leur donnai connaissance du bulletin de quatre lignes que m'avait montré le négociant de Bordeaux, car c'était un négociant, et ils en tirèrent la conséquence que j'en avais tirée.

Le lendemain, entre Lusignan et Niort, je rencontrai madame de Beaumont et cinq de ses enfants; son mari,. préfet des Deux-Sèvres, prévoyant les périls de la situation où il pouvait se trouver, l'envoyait dans sa famille aux environs de Vendôme. Pendant que nous échangions nos postillons, elle me fit part de ses inquiétudes à l'égard de son mari, et comme j'espérais encore que la crise

aurait une fin conforme à mes vœux, je remontai un peu son courage. Elle me pria d'écrire au préfet dans ce sens, dès que je serais rendu à Saint-Maixent, et je le lui promis. Je connaissais beaucoup M. et Mme de Beaumont qui m'avaient parfaitement accueilli à Niort, dès mon arrivée dans le pays.

Tout était fort tranquille à Saint-Maixent. Pendant les dix mois que j'avais passés dans cette petite ville, les habitants m'avaient paru d'une nature si pacifique, que la pensée qu'ils pourraient prendre part à un mouvement révolutionnaire ne me vint même pas. Je n'y avais rencontré que des visages placides et bienveillants. Je fus donc fort étonné le lendemain de mon arrivée, au moment où le capitaine Schaff, attaché au dépôt de remonte, me rendait compte de détails relatifs au service, de voir entrer précipitamment mon secrétaire, fort ému; il venait me prévenir qu'une foule ameutée se portait à l'Hôtel de ville pour y arborer le drapeau tricolore. J'y courus sur-lechamp, suivi du capitaine Schaff: le maire et le conseil municipal réunis paraissaient atterrés. Aux reproches que je leur adressai d'avoir laissé arborer ce signe de rébellion, ils me répondirent, en me montrant la foule assemblée devant l'entrée de la mairie et que j'avais traversée pour y arriver, qu'ils n'avaient cédé qu'à la force.

Il y avait là un individu dont l'attitude hautaine m'avait frappé. Il prit la parole pour justifier ce qui se passait; mais, dès que je pus comprendre ce qu'il allait dire, j'ouvris la porte qui donnait sur le perron, et je m'adressai à cette multitude pour essayer de la ramener à de meilleurs sentiments. Je fus accueilli par des vociférations et des cris menaçants; on excitait les gens armés à faire feu sur moi. A ces menaces, plusieurs de ceux que j'avais laissés dans l'intérieur de l'Hôtel de ville vinrent me demander de rentrer, et essayèrent même de m'y contraindre; mais je me déga

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