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narque fur-tout ne fauroit trop veiller aux maladies qui affligent les campagnes. Le pauvre en fanté, lutte contre la faim; mais languiffant, il est fans efpoir. Une maladie attire plus de calamités à un malheureux labou reur, que les impofitions les plus onéreuses. Cet objet mérite une attention férieufe de la part du Gouvernement. Le dépériffement de l'efpece y prend fa fource; c'eft un foible arbriffeau dans lequel la feve ne circule plus; il lui falloit, pour la ranimer, un fecours qu'il ne rencontre point.

Le mal feroit peut-être arrêté dans fa fource, fi le Gouvernement fe donnoit la peine de renouveller l'ufage pratiqué fous les anciennes races, d'envoyer des efpeces de Commiffaires qui vifiteroient les Provinces & les moindres hameaux. Ils prendroient foin de foulager les malades; ils examineroient fur-tout comment l'impôt eft réparti, & le feroient porter autant qu'il fe pourroit fur le riche; ils obferveroient, fi fous prétexte des droits du Roi, le traitant n'appefantit pas le fardeau, fi pour une frivole décoration, ou la plus grande commodité d'une route, on ne coupe pas le champ du pauvre, fi on lui paie un dédommagement fuffifant. Ces envoyés feroient chargés de quelques fommes pour les malheureux qui ne peuvent cultiver leurs terres faute de fecours. A la Cour, les aumônes du Prince font obtenues par le crédit; ici, elles feroient accordées au befoin. Nos Provinces ont, à la vérité, la reffource des Intendans, mais leur zele ne peut fuffire à toutes les néceffités; d'ailleurs des hommes envoyés exprès, fixeroient plus l'attention, réveilleroient mieux l'amour, & attacheroient davantage le cœur des fujets au Souverain.

Bien des Auteurs ont voulu que la nature, fans le fecours de la Religion, ait affez marqué la différence entre le jufte & l'injufte, pour guider les Rois. Mais fi le Chriftianifme même a tant de peine à les fubjuguer, comment les contenir avec la feule loi naturelle? Comment enfermer tant de pouvoir dans des bornes fi fouvent remuées. On peut craindre, il est vrai, l'abus des vertus chrétiennes ; mais il vaut encore mieux, malgré quelques inconvéniens, des vertus dont les principes font invariables, que celles qui manquent de ce ferme appui. La fuperftition eft très-nuifible fans doute; elle enleve à la piété le fuffrage de la raifon; elle trafique, avec l'hypocrifie, des droits facrés de la vertu; elle fait defcendre celle-ci de fon rang fuprême; mais notre fiecle doit-il craindre de pareils excès.

Mais une des principales vertus des Rois, c'eft la juftice. Si le Souverain n'eft point jufte fes Miniftres feront un criminel ufage de fon pouvoir. Ils décideront en faveur de l'homme puiffant contre celui qui eft dépourvu de crédit. L'intérêt & l'intrigue formeront le bon droit. On laffera par des lenteurs celui qu'on ne pourra opprimer par l'injuftice. Suppofons même que le Miniftre foit jufte, il deviendra timide, fi le Prince n'a point l'efprit d'équité; craignant de n'être point foutenu, il heurtera de front les abus. Mais approuvé & fecondé dans fon zele, il bravera l'injuftice réunie au pouvoir; il défignera dans le Confeil même le complice de la déprédation;

il ne redoutera point la calomnie ni les délations; il débrouillera les pieges de ce fexe adroit, né pour exercer un fage empire fur le cœur des hommes, mais qui ne fe rend jamais affez de juftice pour y borner fon pouvoir. Enfin nous ne craignons pas de dire, que la juftice eft la fource de tous les biens. Un Prince jufte préfide de lui-même à tous fes confeils. Préparant d'avance les matieres qui doivent s'y traiter, il donne une grande célérité aux affaires; car fes doutes, au moins aux yeux de la flatterie, ont trop de poids, pour ne pas retarder beaucoup les délibérations générales. L'équité ne fouffre point que les hommes puiffans déclinent l'autorité des Tribunaux ordinaires, & échappent à un châtiment mérité : le Prince doit même rarement pardonner aux grands, & montrer plus de clémence envers les hommes obfcurs. Le peuple en conçoit un plus fort amour pour sa Perfonne facrée, il fent qu'il eft compté pour quelque chofe : & au contraire, il murmure & fe décourage, quand il croit le crime impuni dans les hommes élevés; humilié de fe croire feul fous la verge de l'autorité, fe livre avec une forte de dépit à fes défordres..

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Une grande faute dans un Souverain, c'eft de prendre avis des jeunes gens, & de choisir parmi eux fes Miniftres. Tout le pouvoir du Monarque ne peut faire un homme mûr de celui dont l'âge n'a pas encore fillonné le front. Sa volonté ne hâte point le cours de la nature. L'expérience plus forte que lui forme feule des hommes confommés. Les mauvais fuccès accompagnent toujours l'imprudence qui écarte le confeil des vieillards. Ce n'eft pas néanmoins qu'il doive écouter trop facilement fes miniftres, même ceux qui paroiffent les plus fages. Il lui faut une docilité éclairée, principe d'un gouvernement ftable & tranquille. A cette docilité fe joindra la force, fruit de la méditation. Il est rare d'être ferme & précipité. La même légéreté qui eft dans les pensées eft prefque toujours dans le pouvoir; le cœur ne voit que par les facultés de l'efprit. La fageffe du Souverain doit briller fur-tout dans les délibérations pour la guerre. Se défiant du premier mouvement, il doit retarder l'inftant de prendre fa réfolution, pefer les moyens avec les obftacles, la juftice de l'entreprise avec les effets qui la fuivront, attendre du repentir réfléchi de fes ennemis une fatisfaction que, les armes ne procurent point. Sa fageffe doit encore éclater dans fes difcours. Il lui importe de ne jamais dégrader la fublimité du trône, ni la majefté de l'autorité. Cachant fes foibleffes fous la dignité royale, il ne fouffrira point que les courtifans percent le voile qui les dérobe à leurs yeux. Chaque foibleffe qu'il fait paroître, eft un degré qui les approche de lui & qui diminue le refpect. Mais cette maxime s'applique bien da-, vantage au peuple. Pour lui la contenance extérieure eft toute la royauté. - Ce qui doit diftinguer encore fpécialement un bon Souverain, c'eft fon amour pour la paix. Rarement la poftérité accorda-t-elle des éloges aux Rois conquérans. Un bon Prince ne goûte point une gloire auffi amere que celle des armes. Au contraire, il s'efforce de changer les haines natio

nales en rivalités; il rend la communication plus facile, procure aux différens peuples les moyens de copier à l'envi leurs loix & leurs fages coutumes. Ainfi l'Etat conferve fes enfans; il s'enrichit de toutes les vertus que lui enleveroit la fcience des armes. Enfin tranquille dans fa profpérité, le Monarque confacre une partie de fes tréfors à élever des monumens utiles qui atteftent fa bonté & fa gloire.

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Ainfi un Monarque conquérant connoît mal la dignité fouveraine. Environné du cortege des armes, il doit rougir de lui-même. Les meres prononcent fon nom avec horreur; les foldats fe mêlent à leurs blafphêmes; le chaume infenfible fe couvre de deuil. Un Conquérant n'eft qu'un meurtrier avec beaucoup de complices; le Ciel le punit: tous les fentimens d'humanité font effacés de fon cœur. Son gouvernement eft abfolu & arbitraire. Un calme heureux n'adoucit & ne remplace jamais fes noirs fouvenirs. ll voit par-tout dú fang; la bonté & la fenfibilité ont fait un divorce éternel avec fon ame.

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Mais un Roi qui préfere la paix à la vaine gloire qui s'acquiert par les eft un Roi qui aime véritablement fes fujets, & qui femblable à un bon pere de famille, craint de les expofer à un danger éminent. Il fait à coup fûr leur bien-être, parce que rien n'eft impoffible à l'amour. Infatigable au travail, que cet amour rend plus facile, il cherche tous les moyens d'augmenter la richeffe de fon peuple. Il accorde des marques d'eftime aux hommes qui lui propofent les moyens de rendre le fardeau' des impofitions moins pefant; il les honore par des diftinctions, & les admet dans fon intimité; car l'amour ne compromet jamais les Rois. Cherchant moins fa grandeur fur fon trône, que fous le toit du laboureur, fe dépouille dans fa perfonne facrée pour fe vêtir dans les malheureux.' La valeur attiroit moins fur les pas de Henri IV, que fa bonté.

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Il eft facile d'éblouir par des hauts faits, mais on ne fubjugue que par des actions de bonté. Si quelques guerriers ont laiffé un nom recommandable, c'est encore plus pour les qualités de leur ame, que pour leurs brillans exploits. Coriolan mêlant fes larmes à celles de fa mere, expia le fang dont il arrofa le berceau des Romains. Scipion, loué par fes ennemis, a défarmé la postérité Fabius a intereffé par fa douceur, Céfar par fon attendriffement à la vue des reftes fanglants de Pompée. En un mot les peuples, principalement les François, endurent tout, pourvu que le Prince partage leurs larmes:

Tels font les objets qui nous ont paru avoir plus de rapport au Bon-' heur public. Il feroit difficile fans doute d'exécuter tout ce que nous propofons. Nous avons indiqué le plus parfait, non pour qu'on y arrive, les forces de l'homme ne le permettent point, mais pour qu'on y tende perpétuellement. Platon lui-même, malgré le préjugé affez général, ne prétendoit pas que fa République fût poffible; il la propofoit feulement comme un modele dont chaque Etat devoit copier quelques traits. Le

monde eft une machine d'une conftruction excellente, mais dont il faut remonter fans ceffe le poids. Ce feroit trop défefpérer de l'humanité, de croire qu'il n'y auroit point de remede aux maux qui affligent la fociété. Celle des trois caufes du Bonheur public qui nous a paru agir la premiere & avec plus de continuité, c'eft le caractere national. Si l'homme dans fa. conduite dément quelquefois fes penchans, il finit toujours par y revenir. S'il réfifte à une inclination, il cede à une autre. Ce font des follicitations importunes, & comme un faisceau qu'il ne peut brifer.

Nous fentons très-bien que notre travail deviendra peut-être infructueux, & qu'aucun Légiflateur, aucun Ecrivain, aucun Conquérant n'a affez de pouvoir pour changer l'état actuel des nations. Les nouvelles mœurs ont envahi par-tout le fceptre, & elles ne fouffriront point qu'il leur foit arraché. Peut-être des bandes de Barbares, fortant des antiques forêts du Nord, inondant de nouveau l'Europe & l'Afie, étouffant dans les ténebres de l'ignorance les arts & les fciences, feront oublier à nos defcendans nos goûts dépravés & nos défordres.

Nous n'avons pas jugé à propos d'établir dans cet article des principes fort éloignés, ni de rechercher, par exemple, comment les villes fe font formées. Nous les fuppofons originairement venues de la furabondance de population, & du défir inné à l'homme de fe réunir à fon femblable, d'augmenter fes propres plaifirs en les partageant avec ceux qui les peuvent goûter avec lui. Ainfi, fans chercher l'origine des Etats nés fans doute du besoin de donner des chefs à des affociations nombreuses & de l'habileté des plus entreprenans, fans chercher enfin comment la fimple chaumiere a fait germer les trônes, nous avons envifagé les objets tels qu'ils font exposés à nos yeux; des familles, des fociétés, des villes, des royaumes; ou fi l'on veut, des peres, des enfans, des époux, des amis, des concitoyens, des fujets, des Rois: voilà le touchant tableau fur lequel notre vue s'eft conftamment arrêtée.

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la vérité & la Bonne-foi étoient perdues, difoit un Roi, il faudroit les chercher dans le cœur & dans la bouche des Rois; parce qu'elles y doivent réfider d'une maniere particuliere, comme dans leur temple.

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Marius arrivé d'Afrique, où il avoit effuyé les derniers malheurs, étantcomme un miférable fugitif, fe réfugier auprès du Conful Cinna qui, accompagné de Sertorius, foutenoit la guerre civile en Italie, Serto

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rius confeilla à Cinna de ne pas recevoir un homme tel que ce Capitaine, qui n'étoit propre qu'à ruiner leurs affaires par les cruautés & fes violences, & qui voudroit avoir dans l'armée la principale autorité. Cinna lui répondit que fes raisons étoient très-bonnes; mais qu'il avoit honte de rejetter Marius, après l'avoir appellé lui-même, & l'avoir follicité de venir dans fon armée. Sertorius, l'interrompant alors, lui fit cette admirable réponse: » Je croyois que Marius étoit venu de fon propre mouvement en Italie; >> c'est pourquoi, dans le confeil que je vous donnois, je n'avois égard qu'à » ce qui me paroiffoit utile, mais puifque c'eft vous-même qui l'avez fait » venir, il ne vous eft pas même permis de délibérer. Le feul parti qui » vous refte, c'eft de le recevoir : la Bonne-foi ne fouffre ni raifonnement ni incertitude. "

I I.

Gélon, Roi de Syracuse, se piquoit d'une Bonne-foi à l'épreuve de tout: aiant befoin d'argent, pour une expédition qu'il méditoit, il s'adressa au peuple , pour en tirer une contribution fuffifante. Mais, voyant que les Syracufains avoient peine à prendre fur eux cette dépenfe, il dit que ce qu'il leur demandoit n'étoit qu'un emprunt, & qu'il s'engageoit à fe leur rendre auffi-tôt après la guerre. Dans l'inftant, les fommes lui furent fournies; & il les rendit exactement au temps marqué. Quelle reffource pour l'Etat, qu'une telle équité. Quel malheur & quel aveuglement d'y donner la plus légere atteinte.

1 I I.

Les enfans d'Anaxilaüs, qui avoit été tyran de Zanele, étant parvenus à l'âge viril, Hiéron I, Roi de Syracufe, les exhorta à prendre en main les rênes du Gouvernement, après s'être fait rendre compte par leur tuteur qui s'appelloit Micythe. Celui-ci, ayant affemblé les plus proches parens & les meilleurs amis des jeunes Princes, rendit, en leur préfence, un fi bon compte de fa tutelle, que tous, ravis en admiration, donnerent des louanges extraordinaires à fa prudence, à fa Bonne-foi, & à fa juftice. La chose alla fi loin, que les jeunes Princes même le prefferent très-vivement de vouloir bien continuer à fe charger du Gouvernement, comme il avoit fait jufques-là. Mais le fage tuteur, préférant la douceur du repos à l'éclat du commandement, & d'ailleurs perfuadé que l'intérêt de l'Etat deniandoit que les jeunes Princes gouvernaffent par eux-mêmes, prit le parti de la retraite.

I V.

S. Louis, prifonnier des Sarrafins, étoit convenu avec ces infideles de leur payer deux cents mille livres pour fa rançon. Philippe de Montfort fut chargé de compter cette fomme aux vainqueurs, Mais il eut l'adreffe de

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