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groffes dettes qu'il n'acquitte point; elle endurcit le cœur du financier ; elle induit le peuple à un commerce frauduleux ou malhonnête, pour atteindre, à fa maniere, à la magnificence qu'il voit fous fes yeux.

Quoiqu'en aient dit bien des Ecrivains modernes, nous doutons qu'il faille regarder le luxe des riches comme un mal néceffaire, d'autres difent comme un avantage réel pour l'Etat. Le luxe arma toujours le zele des Législateurs. Ils comprirent que le cœur de l'homme livré à de continuels combats, avoit besoin d'être garanti par des loix féveres. Le ciel a mis la vertu à haut prix; elle eft comme un rivage efcarpé contre lequel les paffions viennent fans ceffe battre pour empêcher l'homme d'aborder, mais qui ne rebute point le courage d'une ame intrépide. Les politiques, il est vrai, profcrivent le luxe des petits Etats & le permettent dans les grands Empires; mais dans l'un ni dans l'autre il ne peut procurer aucun avantage. Ce qui corrompt, ne peut & ne doit jamais être bon ni employé nulle part; or, tel eft le luxe. Il renferme dans fon fein la mort des Empires. Les grandes villes avec leur opulence n'en imposent point au fage; elles font à fes yeux comme ces orgueilleux maufolées, qui étalent au dehors la magnificence, & recelent au dedans la corruption.

D'après ces principes, d'après l'expofition de ces abus qui révoltent également la raifon & l'humanité, ne pourroit-on pas demander comment on peut contenir le peuple dans de juftes bornes, lorfque les grands & les riches paroiffent fe faire un jeu de fes mœurs & de fa croyance. Il eft certain qu'alors le peuple ne connoît plus d'autorité. Les exemples deviennent pour lui des raifons dont il tire les inductions les plus pernicieufes. Les rangs fupérieurs font aujourd'hui trop rapprochés du peuple, pour qu'ils puiffent lui cacher leurs moindres défauts. Engagé dans la mauvaife route, il ira plus loin dans l'irréligion & dans tous les vices. Car fi la vertu eft un befoin pour l'homme noble, elle est un effort pour l'homme obfcur. Tous les dangers tiennent à l'irréligion; elle entraîne avec elle toutes fortes de vices. Les révolutions ne furent fi fréquentes vers les derniers temps de la République Romaine, que parce qu'il n'y avoit plus de morale fixe, ni de fauve-garde des mœurs; parce qu'à force de remplir le Capitole de nouveaux Dieux, on avoit induit le peuple à croire qu'il n'en exiftoit point. Les mêmes révolutions fe font opérées parmi nous. On a vu dans le dernier fiecle un novateur, à qui l'orgueil & l'incontinence firent rompre le plus facré des liens, remplir l'Allemagne de ses nouveaux dogmes, faire foulever par-tout les fujets; la France prêter l'oreille aux opinions d'un héréfiarque plus infidieux, & déchirée par des diffentions inteftines; la Suiffe rompre tous fes liens d'amitié, la Hollande fe féparer de fes anciens maîtres; l'Angleterre fe précipiter dans les erreurs les plus infenfées, mille poifons fortir d'un feul, un Roi livré à toutes les paffions que la puiffance abfolue irrite, plonger ce royaume

dans la confufion; le délire devenir univerfel, les peuples entrer par-tout dans de nouvelles routes, enfin l'obéiffance méprifée, faire place à l'anarchie & à fes excès. Ainfi, un feul principe de morale enlevé du cœur des hommes, caufe plus de ravage, que toutes les victoires des conquérans.

C'est un problême politique de favoir fi l'illégalité des conditions, dans un Etat eft un avantage, & fi le Gouvernement doit prendre foin luimême des pauvres, ou les abandonner aux charités des différens particuliers. Les mendians, & ce font les pauvres dont nous parlons ici, ne peuvent être regardés que comme un fardeau très-onéreux pour VEtat. Dans bien des villes de province, on a reconnu la vérité de ce principe. Il en eft beaucoup en France, où il eft défendu fous peine d'amendes de donner aux pauvres, courant les rues; inftitution très-réfléchie, puifque le peuple ne peut avoir d'exemple plus contagieux que celui de la mendicité, ni le pauvre un plus fort appât pour mendier, qu'un falaire qui n'exige point de peine.

On objecte, il eft vrai, que ce font des bras & des inftrumens toujours prêts au befoin; mais ce font des inftrumens dévorants, qui s'ufent & fe dégradent dès qu'ils ne font point employés; des branches parafites, par lefquelles la féve de l'arbre s'échappe & fe perd. En général le pauvre eft comme cette valeur représentative des propriétés, l'argent, lequel diminue de prix à mesure qu'il fe multiplie. Chaque pauvre qui naît eft un créancier de l'Etat; chaque jour qu'il vit, une dette. On a cherché inutilement de nouveaux fyftêmes pour remédier à cet abus. Il n'en eft peutêtre pas de plus raifonnable & d'une exécution plus facile; ce feroit de nourrir le pauvre fur le fol même où il eft né. Un malheureux fecouru dans un village coûteroit moins au Roi, aux communautés & aux provinces que dans un hôpital. Quelque modique que foit fon travail, il y est plus utile que dans tout autre lieu.

Mais il s'eft introduit un ufage pernicieux, contraire à celui dont nous parlons, lequel augmente la mifere des provinces, & étend de plus en plus dans les campagnes, la claffe des infortunés. Les groffes fermes font trop multipliées : tout porte fur la même tête. Le même fermier recueille tout, & mille malheureux périffent de faim autour de lui: la richesse de plufieurs excede la plus jufte mefure; l'équilibre entre les familles, fi néceffaire à la profpérité de l'agriculture, eft rompu parmi les payfans. L'oifiveté, le libertinage, d'autres vices, fruit de l'aifance, qui n'avoient été connus jufqu'alors que dans les villes, fe répandent dans les campagnes. La jaloufie, la haine, une espece de guerre interminable s'éleve entre les plus induftrieux, pour s'arracher l'adjudication des fermes; ils s'écrasent fous le poids de leurs engagemens. Les journaliers, fur-tout la claffe fi étendue, fi malheureufe, fi oubliée, des vignerons, au défaut de leurs travaux ordinaires, n'ont plus de moyens de fubvenir à leurs befoins.

Delà, des chaumieres abandonnées, de continuelles émigrations, des colonies de mendians qui inondent les campagnes; delà, tous les fléaux attachés au vice, à la mifere, au désespoir.

Mais envain l'on réclamera contre ces abus; envain le Gouvernement mettra tout en œuvre pour les réprimer; tous fes efforts, toutes fes tentatives deviendront inutiles, tant que les hommes voudront fe gouverner par les paffions fans l'empire de la Religion. C'eft elle qui les fait agir fûrement & avec une force perfévérante : C'eft un poids qui modere le mouvement pour le régler. Le chef-d'œuvre de la politique, c'eft de faire un fage mêlange des paffions avec la vertu. Si elles dominent trop, un mouvement violent emportera l'Etat; fi elles manquent d'une certaine force, l'Etat languira. Le Gouvernement de Rome avoit trop des premieres, la masse s'embrafa. Sparte au contraire, trop concentrée dans fes vertus, manquoit de ce feu créateur; la marche de la République fut lente. Athenes avoit beaucoup moins des unes & des autres; elle crut pouvoir fe fervir auffi utilement des talens ; & elle fe méprit. C'étoit renfermer l'Etat dans un trop petit nombre. Ainfi les paffions tendant continuellement à franchir leurs bornes, elles ne peuvent être contenues que par la Religion. Trop entreprenantes pour être arrêtées par des menaces dont notre raison intéreffée ne leur montre jamais affez l'étendue ni la rigueur, elles nous entraînent à chaque moment dans leur route, nous fatiguent par leur importunité, réunies ou divifées, elles nous enlevent nos vertus, nos efpérances, nos réfolutions les plus fermes. La loi naturelle ne fuffit pas pour les reftreindre la preuve la plus certaine en eft, qu'elle n'a jamais gouverné toute feule aucun peuple. Il faut donc à l'homme un autre guide que lui-même, & devant fes paffions un plus ferme rempart qu'une fanction humaine.

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Mais le fecours de la Religion eft fur-tout néceffaire aux Princes pour garantir leur pouvoir. Il faut, à l'autorité publique, un caractere ineffaçable. Les paffions l'attaquent fans ceffe; les circonftances l'affujettiffent à leur caprice. Elle a befoin d'une autorité fupérieure qui la ramene toujours à fon premier point, & qui la rétabliffe dans fon intégrité. L'homme promet fa foi à un autre homme; c'eft un jeu pour l'intérêt, de la violer; mais s'il croit à la révélation, une main facrée s'offre à lui & l'arrête. Le châtiment du parjure l'effraie dans fes complots; il reconnoit Dieu; fa raifon craint une jufte vengeance; la vue de l'autel, le facrilege, le blasphême font pâlir fon front alarmé. La juftice humaine, hors de Dieu, tarit bientôt c'eft un fleuve qui ne reçoit point d'eau de fa fource, ou un torrent qui ne fait que paffer. La Religion eft la vie morale du monde. Chaque homme, à la vérité, a fon attrait; chaque cœur dirige à fon gré, les penfées que l'efprit enfante; mais il faut un centre d'unité, une autorité réprimante, un Juge fuprême des conteftations; il faut donc la révélation, puifqu'elle feule réunit ces précieux avantages.

Il faut donc, pour arrêter les crimes, une barriere outre laquelle les plus fortes paffions aillent fe brifer. L'épée n'étincelle que dans quelques lieux; mais le tonnerre gronde dans tout l'Univers. Il faut veiller fur l'homme des fens, car la raison lui rend trop facilement les armes. Il lui faut un maître qu'il ne puifle ni corrompre ni perfuader. L'homme, par fa nature, tend continuellement à fe relâcher de fes vertus. Se repliant fur lui-même, il fe concentre dans fon propre intérêt, devient exclufif, violent, cruel. La religion le fait fortir hors de lui, l'apprivoife, l'appaife; elle lui fait partager fon cœur avec les malheureux. Si autre fois l'homme étoit fauvage, c'est parce qu'il ne connoiffoit pas de culte; la rencontre d'un autre homme le rendoit plus féroce & plus envieux. Un autel fut dreffé; la charité y fit le premier ferment; du fanctuaire font partis tous les liens de la fociété; de cette Arche font forties toutes les familles. L'homme libre, dans fes bois, eft un tigre qui déchire; efclave du plus fort, c'est un lion qui rugit. Avec fa moitié timide & avec les enfans, c'est un tyran abfolu & jaloux; il ne redevient homme qu'aux pieds de Dieu.

Il s'enfuit de ces principes, que rien n'eft plus philofophique, que de foutenir la néceffité de la religion dans tous les ordres. Si elle n'eft fincere, l'Etat n'échappera pas à la perverfion. Une nouvelle doctrine arrivera bientôt jufqu'au peuple & jufqu'au Souverain. L'agrément, la facilité du ftyle, le penchant naturel, les converfations, tout la répandra, tout s'infinuera, Ce fera une électricité fatale qui n'épargnera aucun anneau de la chaîne de la fociété. Les Philofophes perdirent Rome, fuivant l'Auteur de l'Esprit des Loix; la Grece périt par leurs mains. Ainfi, quand ils attaquent la croyance, chaque Royaume doit craindre pour fes propres inftitutions ; car l'opinion publique fe forme toujours à la fin d'après leur enfeignement. Chaque trait de l'hiftoire nous met fous les yeux cette vérité. Les paffions des peuples étoient allumées au flambeau de la religion, & s'éteignoient, quand elle interpofoit la majesté de ses oracles. Les armées marchoient fous les étendarts des Dieux qui les précédoient; arrêtées à leur tour par d'autres Dieux l'objet de leur culte. Les efprits inquiets étoient contenus aux affemblées par les menaces de la colere divine. Les chefs inflexibles & tranquilles fe réfugioient fous le tonnerre même du maître des Cieux. A chaque pas irrégulier des paffions, une divinité se préfentoit pour les arrêter. Mais les Dieux parloient pour la politique; & pour la morale, ils reftoient muets. L'homme moral étoit abandonné à tous fes penchants, l'homme civil, lié par mille chaînes facrées, investi de toutes parts, par la religion.

Ajoutons encore à tous ces motifs également puiffans & avantageux, que la religion eft la feule prote&trice des fujets auprès des Rois. Sans elle, un Prince ne montre que de la force & non du pouvoir. La religion rend feule le Gouvernement doux, ftable & floriffant. Guidé par elle, le Monarque fent que le Très-Haut ne lui a pas donné des efclaves, mais des Tome IX.

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hommes à gouverner. Il adoucit le joug à mefure que celui qui le porte, est plus épuisé par le travail. Convaincu que le fardeau le plus léger pour le riche, eft très-pefant pour le malheureux, il traite celui-ci comme un malade en langueur; femblable à un bon pere qui veille avec plus d'attention fur le plus foible de fes enfans. Enfin, c'eft la religion qui montre à un Prince le prix de fes moindres fujets. Alors il déploie toute la févérité de fa juftice contre les riches qui les oppriment; il pardonne les offenfes commifes contre fa perfonne; mais il venge avec éclat les infortunés. En un mot, le citoyen trouve le plus ferme appui dans un Prince religieux, parce qu'il eft attentif à tous les devoirs. Oubliant qu'il exifte une gloire & des plaifirs, s'oubliant lui-même, préférant à fes favoris les moindres de fes fujets, il veille en même temps fur tout fon Royaume. Sa juftice eft dans le fanctuaire des loix, fa force dans fes armes, fa bonté dans les campagnes, enfin, fa vigilance dans tous les lieux où s'étend fa domination. Image fidele de la Divinité, comme elle, il eft reproduit par-tout.

Quelle différence au contraire d'un Monarque irréligieux! fon oreille eft fermée à la piété; tous les vices lui tiennent lieu de vertus. Il regle fa politique fur fes défirs, fes entreprises fur fes volontés. Il ne pefe fes droits que dans le confeil de Miniftres complaifans. La balance eft tenue pour la cupidité, & l'adulation y met le poids. S'il aime la guerre, des manifeftes artificieux feront répandus dans toutes les Cours. Peut-être la Religion même fera invoquée; car il eft un mafque facré que les Rois les plus irréligieux favent emprunter. Le foldat croit combattre pour fa patrie, & il ne combat que pour un homme; pour un Prince infulté; & c'eft fon Prince qui fait l'infulte. Aveugle dans fon obéiffance, il imagine immoler des victimes à l'Etat, & l'infortuné ne commet que des meurtres. Il n'en eft point de même d'un Prince formé à l'amour de la vérité par la Religion. Il cherche à ménager fes moindres fujets & à connoître l'état d'un chacun. Se dérobant à une gloire importune, feignant de s'égarer, dans un hameau, où le regard du courtifan ne peut l'atteindre, il pénetre chez le pauvre dont les levres ne connoiffent que la fincérité. Il revient avec une ame plus digne du trône : il a fenti la pitié pour le malheureux.

C'eft cette vertu qui fit lever le premier impôt; on le deftina à foulager le pauvre. Le Prince, comme le Prêtre de la nouvelle Loi, n'en eft que l'ufufruitier; car la Royauté n'eft qu'une espece de Sacerdoce; c'eft celui de la nature même, & les pauvres font les autels où il doit offrir. Dénués de fecours, ils ne fe repofent que fur le Monarque. Ils font de tous les fujets, les plus proches du Souverain. Le pauvre n'a ni toît qui le couvre, ni champs qui le nourriffent; étranger par-tout, le trône eft son seul abri. Il eft l'orphelin de la Providence, & par conféquent l'enfant des Rois. L'Etat confervant un dépôt toujours fubfiftant pour les malheureux, la charité du Prince doit l'augmenter & le tenir continuellenient ouvert. Le Mo

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