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bles, non-feulement au bien fpirituel des fujets, mais encore à leur bien temporel, il n'eft pas douteux qu'un Prince qui aime véritablement fes fujets, ne doive venir à leur fecours, & les détourner de perdre leur fanté, leur bien, leur honneur, puifqu'il eft chargé par la Providence même de veiller à leur bien temporel. A plus forte raifon eft-il obligé de réprimer les fautes des particuliers lorfqu'elles tournent ou rifquent évidemment de tourner au détriment de l'Etat même. Or, la diffolution, le déréglement des mœurs, l'ufage illicite des plaifirs charnels, eft une pefte qui gagne des grands au peuple, & fait, de proche en proche, les progrès les plus rapides. Il y auroit néanmoins trop de févérité à décerner de trop rigoureux châtimens contre la dépravation des mœurs, fur-tout lorfque par une longue habitude elle eft parvenue aux derniers excès: mais il eft d'autres moyens que le Prince doit employer, & qui feront plus efficaces. Le premier eft ⚫ de donner l'exemple de la continence & de la pureté des mœurs la plus exacte. Car lorfqu'un Prince s'abandonne au vice, les grands ne tardent pas à l'imiter; les nobles font comme les grands, & le peuple s'empreffe d'imiter les nobles: tant il eft vrai que le mauvais exemple que le Prince donne, fait plus d'impreffion pour juftifier le vice, que fes édits n'ont de force pour le condamner. Le fecond moyen eft d'écarter des graces, des honneurs, des emplois & des diftinctions les Citoyens que l'on fait être livrés à ces vices: mais dans tous les cas, le Prince ne doit point infliger des châtimens aux vicieux tant que leurs vices font fecrets, à moins pourtant, qu'un droit légitime, marqué par les loix, n'en demande juftice, comme il peut arriver à raifon d'un viol, d'un adultere, où certaines perfonnes font feules autorifées à former accufation. Dans ce cas le Prince

peut, fans que l'accufation foit encore portée, réprimer ces déréglemens

occultes; mais avec l'attention de ne pas mettre au jour ce qui eft dans les ténebres, pour en épargner la honte à des parens honnêtes, & éviter les inimitiés & les meurtres qui pourroient en réfulter. Que fi ces déréglemens font publics, & que le Souverain ne puiffe les ignorer, c'eft alors qu'il doit punir avec févérité, rendre le châtiment public, afin que perfonne n'ofe s'aflurer de l'impunité & fe laiffer féduire par le mauvais exemple.

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§. XXII.

Des Impôts, & de la maniere de les diftribuer.

N Etat, quelles que foient fa nature & fa forme, ne peut fe foutenir fans de fortes dépenfes : les fonds néceffaires à ces dépenfes ne peuvent être fournies que par les citoyens; il eft donc jufte, autant qu'il eft indifpenfable, d'établir des impôts; s'ils font modérés & diftribués avec une exacte proportion, le poids en eft très-léger pour chaque individu, & le peuple doit fe croire heureux. S'il furvient des guerres qui obligent

d'angmenter ces charges, le peuple doit encore les fupporter patiemment, quelque pefantes qu'elle foient; mais le bon Prince a la plus grande attention à ne pas augmenter les impofitions, parce qu'il fait que Dieu le fait régner pour traiter fes fujets en enfans qu'il doit chérir, & non en efclaves forcés de fe foumettre à fes caprices. » Les larmes de mon » peuple, difoit un Alphonfe Roi d'Efpagne, m'effraient plus que les for»ces de mes ennemis. « Un Miniftre dur & avide, comme le font beaucoup de fes pareils, preffant le jeune Empereur Valentinien d'ajouter de nouvelles charges aux fubfides accoutumés; » s'ils ne peuvent, répondit » l'Empereur, payer les anciennes impofitions, comment payeront-ils les » nouvelles? « On fait auffi que le bon Marc - Aurele, voyant fes trésors épuisés par la guerre contre les Marcomans, plutôt que d'établir de nouvelles impofitions, fit vendre fes équipages & les meubles les plus précieux de fon palais. Mais il eft peu de Souverains comme cet Alphonfe, Valentinien & Marc-Aurele, & il n'eft guere de Miniftres qui n'entretiennent perpétuellement les Princes, des moyens de furcharger les peuples: par malheur, les perfides confeils de ces mauvais citoyens font fi féduisans que peu de Souverains ont la force de s'y refufer. Il eft vrai qu'ils peuvent, par le droit du plus fort, établir tels impôts qu'ils jugent à propos mais ceux qui veulent être aimés & régner avec juftice, examinent avant que d'impofer de nouvelles charges, s'ils n'ont pas eux-mêmes dépensé en faftes, en plaifirs, en inutiles bâtimens, &c. les tributs ordinaires car dans ce cas, c'eft à eux à fe réformer, & non à excéder le peu ple par des furcharges auffi fouverainement injuftes qu'elles feront intolérables.

Mais enfin lorfque les circonftances preffent, & que le befoin eft réel & non fimulé, toutes fortes de raifons de prudence & d'équité exigent que le Prince délibere fur une affaire auffi importante avec des perfonnes habiles, parfaitement défintéreffées, car la malice ou l'ignorance de fes Miniftres & de fes Confeillers d'Etat, pourroit l'expofer à mettre des tailles, des taxes, des droits & des gabelles exorbitantes & mal distribuées, au-lieu d'employer d'autres moyens plus équitables & moins onéreux. Les Rois ne favent pas combien eft malheureuse la condition des peuples vexés perpétuellement par les avides prépofés à la levée des tributs, lors fur-tout qu'ils font perfuadés & qu'ils voient que la plus forte partie du produit refte dans les mains de ces rapaces fripons. Les Rois ne favent pas combien eft malheureuse la condition de la plupart des citoyens, qui, après s'être donné tant de peine pour avoir de quoi vivre, au-lieu de pouvoir améliorer leur état & celui de leur famille, font contraints de verfer, non dans les coffres du Prince, mais dans ceux de fes Fermiers, caiffes très-, différentes, ce que par leur induftrie ils ont gagné au-delà de leur fubfiftance.

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§. XXIII.

Des Impôts exceffifs & trop onéreux; moyens d'y remédier.

EL peuple qui fupporte des impofitions très-fortes, eft cependant moins chargé en proportion, que tel autre qui paie beaucoup moins, & qui se trouve pourtant accablé fous le poids de la charge, plus ou moins onéreufe en proportion du plus ou moins de commerce & de circulation de l'argent. Ainfi, par-tout où il y a un grand commerce, les droits & les gabelles peuvent être d'autant plus confidérables, que les arts & l'induftrie rendent aux particuliers, ce que la douane a tiré d'eux; d'où il fuit que quoique le Prince leve beaucoup, tout ce qui entre dans fes coffres, retourne au peuple par une autre voie. Ce qui fait trouver les impôts exorbitans, & ce qui les rend effectivement tels, c'eft quand le Prince tire du peuple & ne lui rend rien; lorfque les villageois & les laboureurs ont beaucoup de peine à vivre, & que les citoyens aifés font privés des commodités par lesquelles ils fe diftinguoient du fimple peuple. Quand on voit dans un Gouvernement des terres laiffées incultes par les pro priétaires rebutés de la furcharge des taxes & des redevances, on peut fans crainte de fe tromper, en conclure, que relativement aux impôts & à leur répartition, le Gouvernement eft très-mauvais,

On a dit dans le paragraphe précédent, qu'il étoit des temps fâcheux de guerre & de calamité qui obligeoient le Souverain à établir de nouvelles impofitions; mais dans ces cas, qui, comme on voit, devroient être fort rares il feroit jufte & raifonnable que ces guerres & ces calamités paffées, les impôts ceffaffent auffi. Mais pour l'ordinaire c'eft le contraire qui arrive, & à peine un impôt eft créé qu'il prend de profondes racines, & n'eft plus fupprimé, comme ne l'ont pas été les anciens, & comme ne le feront pas ceux qu'on établira dans la fuite. Car fi l'on recherche l'origine de la plupart des taxes, tailles, droits, &c. on trouvera que c'est un besoin extraordinaire qui les a fait mettre, que la coutume les a foutenus, & que de prétextes en prétextes ils fe font perpétués & fe perpétueront jusqu'à la fin. Eft-ce pour éteindre une dette, que la taxe a été impofée ? Pourquoi cette dette acquitée la taxe continue-t-elle de fubfifter? Le bon Prince la fupprimera, & par cette fuppreffion il s'attirera la confiance & la bénédiction du peuple mais, par malheur tout eft foumis au calcul, & il n'y a que trop de gens qui trouvent que le revenu de quelques millions, vaut mieux que la confiance & la bénédiction publiques.

Une guerre finit, le peuple commence à refpirer; n'eft-il pas de la raifon & de la charité que le Prince s'attache à éteindre peu-à-peu les dettes contractées pendant cette guerre, & qu'il ôte fucceffivement & à proportion, les impôts qui n'ont été créés que pour acquitter ces dettes. C'eft pourtant ce qu'on ne fait guere; & cela vient de ce que dans les Con

feils des Rois il y a trop de perfonnes toujours prêtes à s'élever contre quiconque propofe de foulager le public.

Il eft des dettes publiques de deux fortes, celles que l'Etat a contractées avec les étrangers, & celles qu'il a contractées avec lui-même où avec les citoyens or, ce qu'il y a de plus important, c'eft de payer les premieres: parce que tant qu'il n'est dû qu'aux fujets de l'Etat, la totalité n'en fouffre pas car il ne fe perd rien de l'argent de l'Etat ou des villes en fortant de la caiffe publique pour paffer dans les bourses des particuliers, il ne fait que changer de maître fans changer de pays : mais quand les deniers fortent de l'Etat, c'eft alors que le fonds public diminue, & la nation en eft d'autant affoiblie. Il est donc du plus grand intérêt du Prince, de faire enforte que les étrangers ne fucent pas longtemps le fang du peuple. Lorfque ces premieres dettes font éteintes, le Souverain ne doit s'occuper qu'à éteindre celles du dedans, & il y a d'autant plus d'intérêt, que les fujets une fois déchargés de ce fardeau, lui payeroient d'autant plus facilement les contributions qu'ils lui doivent. Au refte les dettes de cette feconde efpece ont de très-dangereufes conféquences, attendu que les particuliers trouvant un expédient fi facile de faire valoir leur argent, fans fe donner aucune peine, placent là tous leurs fonds, abandonnent le commerce, les arts, & négligent tous les moyens de contribuer au bien du pays.

Ce qui empêche le plus généralement que l'on n'éteigne en temps de paix les impofitions établies pendant la guerre, eft l'ufage adopté par la plupart des Souverains, d'avoir dans le calme le plus profond de nombreuses armées fur pied. On dit que cette précaution eft néceffaire pour être toujours prêt à repouffer une attaque imprévue cela peut être ; mais il eft très-malheureux, que par cette cruelle politique, la paix, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, s'entende avec la guerre pour dévorer la fubftance des peuples. Toutefois, quand l'argent des troupes circule dans l'Etat, ce n'eft qu'un demi-mal, parce que fi d'un côté le peuple est surchargé, de l'autre, il vend mieux fes denrées & fes ouvrages. D'ailleurs un Souverain qui a toutes fes forces prêtes au besoin, a souvent le moyen d'épargner des guerres à fes peuples.

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S. XXIV.

Des Monnoies.

A monnoie en or, en argent & en cuivre, a été inventée pour faciliter le commerce qui deviendroit trop difficile, & fouvent trop impraticable, fi l'on ne le faifoit que par échanges. Mais cette invention eft fujette à bien des viciffitudes, & c'eft un grand mal que la monnoie éprouve des variations, d'autant plus qu'elles ne tendent que très-rare

ment

ment à la faire baiffer de prix, mais trop fouvent à lui donner une augmentation de valeur confidérable & quelquefois très-difproportionnée. Il eft des pays, où les négocians fe jettent dans cette efpece de commerce qui n'eft profitable que pour eux, & fort préjudiciable au public. Il en eft d'autres, qui, pourvu que l'on paie les impofitions en bonnes especes, le Gouvernement s'embarraffe peu, que fur la place on monte, on change à fon gré le prix de fa propre monnoie, que l'on en introduise d'étrangeres, & qu'on les apprécie à fa fantaisie: c'eft fans contredit un très-grand mal, & tolérer de pareils abus, c'eft travailler très-efficacement à la ruine du public.

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per

Le plus grand tort qu'un Prince puiffe faire à foi-même & à fes peuples, eft de donner aux efpeces monnoyées à fa marque un prix fupérieur & qui n'eft pas proportionné à leur valeur intrinfeque. 11 eft vrai que d'abord fes finances gagnent beaucoup par cette altération du poids & de la matiere; mais s'il commence par gagner cent, il ne tarde pas dre mille, parce que cette monnoie ainfi altérée, & perdant autant de fa valeur intrinfeque, eft rebutée de tous les particuliers qui n'en veulent plus. Sur cette matiere, les imprudences, les abus, les fraudes même font très-multipliées. Pour en connoître les inconvéniens, il fuffit d'être convaincu de la vérité de cette maxime, que le Prince fait tort à ses Etats toutes les fois qu'il fait battre des monnoies dont la matiere n'eft pas au titre de la valeur intrinfeque qu'elle doit avoir, , parce que s'il peut contraindre fes fujets à les prendre, il ne peut pas y obliger les étrangers, avec lefquels les citoyens ne pourront plus commercer.

Veut-on fe former une idée des altérations & des changemens que l'on fait éprouver aux monnoies, & toujours au préjudice des peuples. Que l'on confidere le cours des monnoies en Europe, depuis 1400 jufqu'à 1600, de 1600 jufqu'à 1700, & depuis cette derniere époque jufqu'à nos jours on y trouvera une différence étonnante pour l'augmentation du prix & l'altération dans la matiere. Ce feroit une découverte curieufe, quoiqu'affligeante, que celle de favoir où font paffés depuis deux fiecles les énormes tréfors que l'Europe a tirés de l'Amérique, cette infinie quantité de perles & de pierres précieufes que l'on a tirées de l'Afie: cette immensité de richeffes, qui, des mines du Pérou, du Chily, du Bréfil, &c. n'a refté quelques jours en Europe que pour aller s'abymer & fe perdre on ne fait où. On dira fans doute qu'avant la découverte des Indes Occidentales, il y avoit en Europe moins d'efpeces d'or & d'argent, que tout s'y paie plus cher, qu'il y a plus de commerce, &c. mais avec tout cela, où trouve-t-on chez les Européens ces monts d'or qui devroient y être, fi ces richeffes ne fe fuffent pas perdues.

Ce qui contribue le plus à diffiper & à abforber toutes les richeffes de l'Europe, eft le très-funefte commerce d'Orient, où fe tranfporte tout le produit. des mines d'Amérique, produit que l'on achete au prix de tant de foins, Tome IX.

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