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par des préceptes : c'eft elle qui nous enfeigne ce qu'ont fait de bien tant de grands hommes, tant de fouverains fages, & profondément verfés dans l'art de régner; ce qu'ont fait de mal tant d'hommes téméraires, orgueilleux, imprudens & méchans; ce qu'il faut imiter, & ce que l'on doit éviter; c'est elle qui nous montre les plus parfaits modeles des vertus, & les exemples les plus effrayans des vices. Heureux les peuples dont les chefs ou les fouverains ont fait dans leur jeuneffe leur principale étude de l'hiftoire!

Au refte, de toutes les parties de l'hiftoire, la plus utile & la plus eftimable, eft celle qui a pour objet les vies des grands hommes, & qui peuvent fervir de modele à ceux qui font faits pour remplir la même carriere. La voie des préceptes eft très-bonne fans contredit pour conduire à la vertu; mais celle de l'exemple, plus courte & plus facile, eft incomparablement meilleure. Quelle plus excellente école pour les jeunes Princes, que la lecture de la vie des bons Souverains, des grands hommes d'Etat, des Législateurs illuftres, foit de l'antiquité, foit des temps

modernes ?

La plus épineufe des branches de la littérature, eft fans contredit l'érudition, qui fuppofe effentiellement l'étude & la connoiffance de toutes, & qui s'étend fur toutes les fciences & tous les arts en effet, l'érudition embraffe non-feulement les révolutions, les événemens & les faits les plus confidérables, mais encore les coutumes, les religions, les céré→ monies facrées des anciens, leurs diverfes efpeces de gouvernemens, leurs inventions, leur induftrie, la connoiffance & la lecture des livres de l'antiquité, en un mot tout ce qui s'eft paffé dans les fiecles les plus reculés. Il faut cependant avouer que la plupart des Erudits font un fort trifte & inutile ufage de leurs longues & pénibles études : leur érudition feche, ftérile, ne s'occupe que de frivoles minuties, de vaines differta'tions grammaticales, ou fur la meilleure maniere d'ortographier un mot, une fyllabe; ou bien elle fe prête à differter fur les boucles, les couronnes, les tables dont on fe fervoit dans l'antiquité. Ces traités peuvent être fort favans, fort ingénieux, mais à quoi fervent-ils, & de quelle utilité font-ils pour le public? Les meilleurs traités d'érudition, & ceuxci font en très-petit nombre, font ceux où par les faits, & par les préceptes, l'antiquité fait briller à nos yeux des lumieres très-propres à fervir de guides dans les arts, ou pour nous régler nous-mêmes, & contribuer au bien de la fociété.

Qui foutiendroit que l'éloquence n'a pas la plus fenfible influence fur le Bonheur Public, avanceroit la plus abfurde des erreurs en effet, ou Pon écrit des lettres, ou l'on fait des relations, ou l'on compofe des livres, ou l'on fait des plaidoyers & des mémoires pour les procès, ou pour défendre les caufes d'autrui, ou bien, fi l'on vit dans une République, on prononce des harangues dans des affaires de politique. Or dans

tous ces cas, à qui appartient-il, qu'à l'éloquence de venir au fecours de l'efprit, de donner la politeffe & les agrémens du ftyle, d'apprendre quel eft le ton & la maniere la plus propre à mettre de la chaleur dans les fentimens, de la force dans les raifons, & par-tout une éloquence noble fans affectation, une élévation fans enflure, de la beauté fans fard? Sans l'éloquence il eft abfolument impoffible, ni d'écrire l'hiftoire, ni de parler en public, ni de compofer fur quelque matiere que ce foit.

Les charmes de la poéfie fe font fentir à tous, mais tout le monde ne convient pas également de fon utilité relativement au bien public: mais on feroit également d'accord fur ce point, fi bien des gens n'étoient pas affez injuftes pour attribuer à la poéfie les abus qu'on en a fait, & ceux qu'on en peut faire encore; les anciens Philofophes trouvoient, & ne fe trompoient point, d'excellentes leçons de morale & de politique dans les poëmes d'Homere, ainfi que dans les écrits de plufieurs autres de leurs poëtes. Or, ce qu'on a dit relativement aux écrits d'Homere, on peut le dire également de nos meilleurs poëtes modernes : & ce feroit une fuprême injuftice de condamner la poésie, parce que quelques hommes corrompus l'ont fait fervir, autant qu'il a été en eux, à la corruption des moeurs. Quel avantage ce feroit pour une nation d'avoir des poëtes habiles, qui joignant à beaucoup d'honnêteté, les richeffes du génie & de l'invention, s'attacheroient, par amour pour la gloire, & par le généreux defir de concourir au bien public, à compofer pour le théâtre des pieces morales. Car les pieces de théâtre, quoi qu'on en dife , par un zele trop outré, ne font rien moins qu'illicites par elles mêmes; elles font au contraire, d'une très grande utilité pour la perfection des mœurs; il n'y a de drames inutiles ou dangereux, que ceux où les Poëtes comiques fe font permis, ou des obfcénités, ou des maximes contraires à l'honnêteté des mœurs & dans tout gouvernement fage & éclairé, de telles pieces de théâtre font profcrites; la pureté la plus inviolable regne fur la fcene, où l'on ne permet que des drames, dont l'objet direct foit d'épu rer les mœurs.

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Jadis des Poëtes, peu contens d'écrire fur des fujets galans, & quel. quefois obfcenes, introduifoient encore, autant qu'ils le pouvoient très-mauvais goût dans la poéfie: il paroît que fort heureufement cette maniere ne s'eft pas foutenue; mais il faut avouer auffi que la Poéfie eft un peu tombée de ce haut degré d'honneur & de fortune, où elle étoit parvenue dans les fiecles paffés. C'eft un malheur que les hommes ne puiffent être long-temps frappés des belles chofes, qu'ils ne les voient plus dans la fuite qu'avec une forte d'indifférence, & qu'ils jugent trèsmédiocre tout ce qui n'égale point ces chefs-d'œuvre, auxquels une trop longue habitude les rend prefqu'infenfibles. En France on veut qu'un Poëte lutte contre Racine, ou Voltaire; en Italie qu'il égale le Taffe & l'Ariofte, en forte que maintenant de toutes les branches de la littérature,

BONHEUR PUBLIC.

la poéfie eft fans contredit la plus épineufe à cultiver qu'elle y a été portée à fon plus haut degré de perfection.

, par cela feul

S. X V.

De l'Agriculture.

SOIT

OIT T par fon ancienneté, foit par fa grande & très-indifpenfable néceffité, l'Agriculture eft le premier des arts, comme il est celui qui contribue le plus effentiellement au bonheur du genre humain, à la félicité des gouvernemens, & au bien des particuliers. Par quelle fatalité les laboureurs forment ils donc prefque par-tout la claffe la plus malheureuse & la moins ménagée des citoyens? Chez les Romains & dans plufieurs Républiques de la Grece, on penfoit bien différemment; les plus illuftres citoyens paffoient fucceffivement de la tête des armées au labourage. Xénophon, fi célebre par fes talens militaires, & par le haut rang qu'il mérite parmi les plus illuftres Hiftoriens de la Grece, s'appliquoit beaucoup à l'agriculture; & le defir qu'il avoit de la voir auffi floriffante qu'il croyoit qu'elle pouvoit l'être, lui fit écrire d'excellens préceptes fur cet art, & c'eft dans cet ouvrage, qu'il dit que ce feroit un très-grand avantage pour un Etat, que le Prince y récompenfât ceux qui excellent dans le labourage. L'Agriculture, dit-il, fe perfectionneroit beaucoup, s'il fe trouvoit quelqu'un qui établît des prix pour les meilleurs cultivateurs.

La terre fournit tout ce dont les hommes ont befoin pour se nourrir & fe vêtir; mais elle n'eft féconde qu'autant qu'elle eft bien cultivée; d'ailleurs, le fol ne porte pas dans toutes les contrées les mêmes productions; & quand il les produiroit, tous les peuples ne font pas à portée de mettre à profit les marchandifes, les denrées, les arts, la pêche & les autres inventions de l'industrie humaine; mais par-tout, ils font à portée de fe procurer, à force de culture, les denrées de premiere néceffité, ou fi la nature des champs s'y refuse, de fe procurer à force d'induftrie, & par échange, les grains & les légumes que le fol ne peut leur donner, & qu'ils retireront d'ailleurs,

Au refte, quelque maigre & ftérile que foit un fol, il n'en eft point de fi avare, fi peu fécond, qu'il ne puiffe rendre plus ou moins de revenus, fi l'on fait y donner la culture néceffaire, & qu'on ne craigne pas la peine & le travail. On fait que les Chinois fécondent jufques aux fommités des rochers les plus arides. Tout dépend donc de l'intelligence, du travail & de l'activité des payfans: & ils feroient tous également actifs, fi pour les porter à donner à l'agriculture autant de foin qu'elle en exige, on avoit attention à exciter leur émulation, foit par des prix ou par des exemptions que l'on accorderoit aux plus laborieux. Pourquoi ne fait-on pas en faveur des laboureurs ce que l'on fait à l'égard de ceux qui embraffent la profeffion des armes? Des maîtres donnent à ceux-ci de fréquentes leçons de l'exer

cice

cice des armes; & nulle part, il n'y a des écoles d'agriculture. Pourquoi les propriétaires des terres qui habitent la campagne, ne s'inftruisentils pas eux-mêmes dans les meilleurs livres qui traitent de l'agriculture, & ne font-ils pas connoître enfuite aux laboureurs qu'ils emploient, ce qu'il y a de meilleur ou de défectueux dans leur méthode? Pourquoi les Phyficiens, qui font tant de ces expériences, n'en font-ils pas de plus utiles encore relativement à la nature des terreins & aux moyens de les fertiliser? nos paysans, pour rendre les champs plus féconds, ne connoiffent d'autre moyen que le fumier, qui, par le foufre & le nître qui s'infinue dans le fol, donne de la vigueur aux plantes, & fait pouffer les herbes & les graines; mais un philofophe, ne pourroit-il pas d'expérience en expérience parvenir à découvrir quelque moyen plus fimple encore, & moins difpendieux de féconder un fol ingrat, ou du moins, d'en faire ceffer la ftérilité? Qui ne fait que les urines, les eaux de favonage & de leffive, les balayures des maifons, les feuilles d'arbre qui tombent vers le printemps, les cocons des vers à foie, qui reftent lorfqu'elle en eft ôtée, mille ordures qu'on jette dans les égoûts, & qu'on laiffe perdre, font pourtant d'excellens engrais qu'on devroit employer fur les terres ?

Toutefois, ce qu'il y a de plus important encore que les engrais, c'est que les payfans foient induftrieux, qu'ils ne craignent point la fatigue & qu'ils foient attentifs à ne pas perdre un moment de temps, fur-tout dans les faifons où la perte d'un jour eft funefte pour toute l'année, & prefque toujours irréparable. Mais pour rendre tels les payfans, il faut employer à propos la force & la récompenfe. Dans les pays même où ils font naturellement indolens & pareffeux; il feroit très-utile de faire venir des payfans étrangers qui, par leur exemple, appriffent aux pareffeux à foutenir la fatigue, en leur enfeignant en même temps une meilleure maniere de cultiver les terres. Ce qui feroit encore très-effentiel, feroit que les Princes fuffent toujours attentifs, du moins par l'entremise de leurs Magiftrats, à applanir tous les obftacles qui retardent ou peuvent retarder les progrès de l'agriculture, & à en procurer l'amélioration. Il y a des pays où, par exemple, il y a beaucoup de marais; il faudroit les faire deffécher, ou bien les convertir en viviers & en étangs : il est d'autres contrées, où par leur négligence, les payfans laiffent perdre une grande quantité d'eau, foit qu'ils ne fachent pas combien eft précieux ce tréfor qu'ils laiffent s'écouler, foit qu'ils ignorent avec combien d'avantage ils pourroient s'en fervir. A la Chine & dans le Pérou, où l'agriculture eft portée à un fi haut degré de perfection, on regarde, ou comme des fainéans puniffables, ou comme des imbécilles, ceux qui laiffent perdre la plus petite portion d'eau, pour peu qu'ils puffent s'en fervir à arrofer.

Sans s'appefantir ici fur les diverfes fortes de culture propres aux divers pays, & fur les meilleurs moyens de les y perfectionner, on fe contentera de dire avec M. Muratori, qu'en général, l'agriculture devroit être par Tome IX.

G

de mau

tout le principal & le continuel objet de l'attention des Gouvernemens; que s'il eft quelque claffe de citoyens qui mérite d'être traitée avec plus, de douceur & d'égards que les autres, c'eft fans contredit celle des payfans, dont les travaux forment le tréfor le plus riche des Etats. On dira que lorfqu'on charge le peuple, & qu'on l'accable par des impofitions exorbitantes, c'eft une fouveraine injuftice, que de ne pas diftinguer, dans la répartition des taxes, entre ceux qui ont des bonnes terres & ceux qui n'en ont que vaifes, attendu que c'eft là le moyen le plus infaillible de décourager entiérement cette claffe, au plus grand préjudice de la campagne & de l'Etat même. Ce ne fut pas ainfi que fe conduifit le bon & fage Numa, qui, au rapport de Denis d'Halicarnaffe, établit dans toutes les bourgades & hameaux un Intendant d'agriculture, dont la fonction étoit de vifiter les campagnes, & d'observer les terres bien cultivées, & celles qui l'étoient mal, de mettre par écrit fes obfervations, & de les envoyer au Roi ou à fes Miniftres, pour donner des louanges & des récompenfes à ceux qui fe montroient induftrieux & laborieux, ou pour réprimander & punir les pareffeux. Pourquoi dans les Etats modernes ne fonge-t-on point à un femblable établiffement. Les Rois ont des Miniftres pour la guerre, ont pour les finances, pour la marine, pour le commerce, pour les affaires étrangeres, & nulle part il n'y a un Miniftre créé exprès pour le département de l'agriculture, quoique tout le monde convienne que c'eft l'agriculture qui fait, & la richeffe & la plus folide grandeur des Etats, que c'eft elle, & elle feule qui enrichit le Prince, fes fujets, & de qui feule auffi réfulte le Bonheur public.

S. XV I.

Des Arts néceffaires ou utiles à l'Etat, & du Commerce.

ils en

DIFFÉRENTES caufes concourent à la décadence des Gouverne

mens; mais celle qui opere le plus inévitablement la ruine d'un État, eft ou que les arts y manquent, ou qu'ils y foient peu cultivés. C'eft cependant eux qui attirent les richeffes de l'étranger, & qui confervent & accroiffent le numéraire national. Or, toute l'économie du Gouvernement fe réduit à ordonner les chofes de maniere qu'il forte d'un Etat le moins d'argent qu'il fe peut, & qu'il y en entre le plus qu'il eft poffible. Ce que le Prince a donc de plus important à faire, eft de confidérer tout ce qui fait fortir l'or & l'argent de fon Royaume, afin d'empêcher cette expor tation, ou du moins, de la rendre auffi légere qu'il eft poffible: enfuite il doit s'inftruire & s'affurer des moyens d'attirer l'argent des autres pays dans fes Etats. Il eft des marchandifes & des denrées néceffaires, & qu'on ne peut fe procurer du dehors fans y faire paffer fon argent, à moins qu'on n'ait chez foi de quoi échanger avec ces marchandifes ou denrées étran

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