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d'autres, qu'au-lieu de foulager le malade, le remede qu'on lui donnera ne pourra que lui nuire, quoiqu'il ait opéré la guérifon de tel autre fujet qui paroiffoit attaqué de la même maladie. D'ailleurs, tous les Médecins conviennent qu'il n'y a que très-peu de remedes fpécifiques pour les différens maux; & malgré la multiplicité des recettes, tous ces remedes prétendus efficaces fe réduisent tout au plus à une douzaine, qu'encore même on ne doit employer qu'avec la plus grande prudence. Il eft vrai qu'à chaque vifite qu'il fait, un Médecin donne une ordonnance; non qu'il se flatte que le remede qu'il préfente guérira le malade, mais parce qu'il faut fatisfaire fon imagination, flatter fon efpérance & celle des perfonnes de la maison. Il faut cependant convenir que de nos jours les Médecins font plus éclairés, & fur-tout plus attentifs que leurs prédéceffeurs ne l'étoient autrefois, à ne pas tranfgreffer le cinquieme commandement du Décalogue; ils prefcrivent des remedes plus modérés, & qui, s'ils ne guériffent pas, du moins ne hâtent pas le dernier moment des malades. Tout bien confidéré, il paroît évident que la médecine n'eft autre chofe qu'une fcience purement conjecturale, & c'eft ce que prouve la diversité des fyftêmes; jadis on prodiguoit la faignée, de nos jours ce n'eft guere que dans les cas les plus preffans qu'on la prefcrit: faifoit-on mieux alors, fait-on mieux maintenant? Les anciens Médecins, à force de purgatifs, de firops & de drogues, affoibliffoient totalement l'eftomac, énervoient la machine, & fe préparoient de la pratique dans les groffes maladies qui réfultoient de cette méthode : ceux de nos jours ont pris une route oppofée, & qui certainement eft neilleure. De-là il faut conclure encore que quoique cette fcience foit toujours conjecturale, les Médecins font très-utiles, en ce que leurs confeils font très-fages pour prévenir les maladies; & qu'en confultant les indications de la nature, ils s'attachent à converfer avec elle, & à en aider les efforts pour chaffer les mauvaises humeurs par différentes crifes falutaires. Le Souverain doit donc les protéger, avoir foin qu'il y en ait dans fes Etats, mais feulement des Médecins judicieux, éclairés par la théorie & exercés dans la pratique. Quant aux mauvais Médecins, de tous les fléaux qui peuvent accabler la fociété, ils forment, fans contredit, le plus dangereux. Il vaudroit mille fois mieux qu'ils n'euffent fait aucune étude de cette connoiffance, & qu'ils fe contentaffent de ne preferire que des remedes de bonne femme; remedes qu'on a tort de mépriser, & qui fouvent operent mieux que tant de drogues qu'on achete fi cher, & qui tournent au préjudice du malade. Il eft des perfonnes auffi qui prétendent avoir des fecrets contre la fciatique, la colique, les hémorroïdes &c. : fi réellement ces fecrets guériffent, qu'importe que ceux qui les poffedent aient ou n'aient pas reçu le bonnet de Docteur? ce qui intéreffe le plus, c'eft de guérir, &, Médecin ou non, quiconque eft en état de rétablir la fanté de fes concitoyens, eft un homme estimable, utile & que le Souverain doit protéger.

Tome IX.

F

Quant à la chirurgie, eette science n'eft point du tout conjecturale, & par cela même elle eft plus eftimable que la médecine. Auffi ne fauroit-on donner trop d'éloges aux Princes qui ont foin de procurer à leurs peuples, & fur-tout aux hôpitaux, d'habiles Chirurgiens. On en peut dire autant des fages-femmes, & il feroit à défirer que les villes, ou le Prince dans chaque Etat, chargeât un Médecin ou un favant Anatomifte, habile accoucheur, de tenir une école pour les femmes que l'on choifiroit pour remplir ce miniftere. On ne fauroit concevoir combien de malheureux accidens caufe, fur-tout dans les petites villes, l'impéritie des fages-femmes, & le défaut de bon accoucheur : la difformité de la plupart des hommes n'a très-fouvent pour caufe que l'ignorance des fages-femmes ; il feroit d'autant plus facile cependant de former de bonnes accoucheufes qu'il y a quantité d'excellens livres fur cette matiere, & qu'il fuffiroit de n'admettre à cette profeffion que des femmes ou des hommes qui, dans un examen qu'on leur feroit fubir, donneroient des preuves de leur intelligence: c'est malheureusement à quoi on ne fonge feulement point dans quelques pays, où, en un mois, il meurt plus de nouveaux nés & de femmes en conches, qu'il n'en périt ailleurs en une année.

DE

S. XII.

Des Mathématiques.

E toutes les fciences humaines, les mathématiques font, fans contredit, la plus étendue; elle embraffe une infinité de connoiffances, qui paroiffent n'avoir nul rapport avec elle. Car c'eft aux mathématiques que la géométrie, foit théorique, foit pratique, l'algebre, l'aftronomie, l'horlo gerie, l'art de la navigation, la géographie, l'optique, la ftatique, le gé nie militaire & civil, l'architecture, la méchanique, & une foule d'autres arts & d'autres connoiffances doivent leur existence en forte qu'un Souverain qui défire de faire fleurir ces arts différens dans fes Etats, n'a pas de plus infaillible moyen que celui d'y accueillir & d'y exciter par des honneurs & par des récompenfes l'étude des mathématiques. Par elle il aura bientôt des Aftronomes dont les recherches & les découvertes font d'une utilité fi effentielle à la navigation, à l'exacte diftribution du calendrier, à marquer avec jufteffe les méridiens, les longitudes, &c. La géométrie théorique ne s'occupe feulement point de lignes, de quarrés, de courbes, de triangles, & de combinaifons femblables, mais elle a, comme on fait, les plus grands rapports à l'utilité publique. Car on met aujourd'hui de la géométrie par- tout, & jufques dans la médecine; & il en résulte les plus grands avantages pour le public. En effet, lorfque la théorie de cette fcience s'unit à la pratique, elle s'étend dans les arts qui lui font fubordonnés, & ceffant de prendre les proportions dans un fens abftrait, elle s'affocie le rai

fonnement, confulte & reçoit le rapport des fens, explique les opérations particulieres de la nature ou de l'art, & produit tous les jours de nouvelles découvertes, des inventions neuves également utiles au progrès des arts & à la commodité ou à l'avantage de la fociété.

Sans l'étude des mathématiques, les Méchaniciens n'euffent jamais porté les progrès de leur art auffi foin qu'ils l'ont fait, & à cet égard on est forcé de convenir que les François ont été fort au-delà des autres nations. Quelle obligation les manufactures de France n'ont-elles point au célébre M. Vaucanfon, qui entr'autres machines de la plus grande utilité, en a inventé une pour fabriquer les étoffes de foie, & au moyen de laquelle une femme seule peut conduire dix à douze métiers. N'eft-ce pas également à l'industrieufe méchanique de M. Rabiqueau que le public eft redevable de ces lampes à réverbere dont Paris éprouve l'utilité; n'eft-ce pas au génie inventeur & induftrieux d'un autre François que l'on doit l'invention de ces nouvelles pompes fans cuirs, également utiles pour la marine de guerre, la marine marchande, les incendies & mille autres ufages? N'eft-ce pas à d'autres Méchaniciens que le public eft redevable de tant de découvertes, de tant d'inventions, qui fourniffent fans ceffe des reffources nouvelles & du plus grand avantage à tous les arts?

Quel eft donc le moyen d'avoir dans un Etat d'habiles ingénieurs, d'excellens architectes, des artistes industrieux? On l'a dit, c'eft de protéger & de récompenfer les Mathématiciens qui fe diftinguent. Un Prince fait encore beaucoup pour l'utilité générale & le Bonheur public, lorfqu'en établiffant une école de deffein, il y fait concourir les peintres, les architectes, les orfevres, les jouailliers, les maçons, les fculpteurs, les ménuifiers, en un mot tous ceux qui ont befoin, pour exercer leurs profeffions, de connoître le deffein,

C'EST

S. XIII.

De la Logique, de la Phyfique & de la Métaphyfique.

'EST de la réunion de la logique, de la phyfique & de la métaphyfique que fe forme la philofophie. A l'égard de la logique, il fuffit, pour être convaincu de fon utilité, de favoir, qu'à moins que d'en connoître & d'en fuivre les principes, on ne peut ni parler, ni raisonner avec justeffe fur quelque fujet que ce foit. C'eft par elle en effet qu'on distingue les principes certains des opinions douteufes, le fophifme des propofitions vraies, les erreurs, les préventions & les préjugés des autres & de nous, le bon & le mauvais, le beau & le difforme, le jufte & l'injuste : celui qui raifonne le mieux eft celui qui fait le mieux concentrer toute la force des fyllogifmes & des anthymemes, fans que la force s'en faffe fentir en aucune maniere. Parmi les qualités les plus néceffaires à l'homme, l'une des plus effentielles eft, fans contredit, de favoir raisonner avec juf

teffe & juger des chofes avec précision. Or, fans la logique, il eft absolument impoffible d'acquérir cette précision & cette jufteffe.

L'utilité de la métaphyfique n'eft fentie que par ceux qui fe livrent à des méditations profondes, s'élevent au-deffus de la matiere, cherchent à pénétrer jusques à l'exiftence de Dieu, à fes perfections, tentent de démêler la fpiritualité de l'ame & fon immortalité. Il eft conftant que quiconque fait fon étude de la théologie, ou traite des principes des actions humaines, ne peut abfolument fe paffer de la métaphyfique, & qu'il doit même en pénétrer les myfteres les plus fecrets. Mais ces myfteres font-ils réellement pénétrables? Les métaphyficiens affurent que oui, & c'est dommage qu'aucun d'eux n'ait pu parvenir encore à donner la plus légere preuve de cette affertion,

Quant à la phyfique, on peut dire qu'à la confidérer relativement au bien public, la premiere partie, ou la phyfique générale, qui traite des premiers principes des chofes, eft ftérile pour la fociété, qui n'en retire aucun ou du moins que très-peu d'avantages. Car enfin à quoi fervent tant de différens fyftêmes formés & détruits tour-à-tour par les philofophes, foit anciens, foit modernes? Qu'importe que les atomes foient ou ne foient pas les principes des chofes, que la matiere foit ou ne foit pas divifible à l'infini? &c. A quoi fervent ces vaines difputes, ainfi que celles fur les tourbillons & le vuide? Soyez une fois bien convaincu qu'il n'eft pas poffible qu'il y ait du mouvement fans quelque vuide, & vous en faurez affez. Ce n'eft point de cette premiere partie qu'on retire & qu'on peut efpérer quelque utilité; c'eft de la phyfique particuliere ou de celle qui traite des élémens, de la lumiere, & fucceffivement de cette infinité de corps céleftes & terreftres animés & inanimés, les propriétés & la variété des animaux & des végétaux, l'admirable organisation de l'homme &c. Voilà, fans contredit, la plus importante partie de la phyfique, & celle qui eft du plus grand fecours pour la médecine, l'agriculture, l'économie, la navigation, le commerce & généralement pour tous les arts, les befoins & les commodités de la vie enforte qu'à cet égard les plus heureuses nations font celles qui, comme la France, l'Angleterre, la Pruffe, la Suede, quelques Etats d'Italie &c. poffedent au milieu d'elles ces établiffemens fi utiles des Académies des fciences, dont le continuel objet eft de procurer tous ces biens & tous ces avantages.

:

De toutes les occupations auxquelles les hommes qui veulent contribuer au bien de leurs femblables, peuvent fe livrer, il n'en eft point fans contredit de plus eftimable que l'étude des chofes naturelles pour en découvrir les caufes, les effets, la force, l'effence &c. car dans cet empire, une vérité conduit toujours à une autre, & les plus importantes, de l'existence defquelles on ne fe doutoit pas, ont été le résultat des expériences qu'ont faites & publiées les Philofophes des derniers temps. Quel nouveau monde nous a fait découvrir l'électricité, & quelle ample

matiere des méditations les plus profondes pour les Philofophes qui nous. fuccéderont? Qui peut prévoir jufqu'où nos defcendans porteront leurs découvertes, d'après celles que l'on a déjà faites fur la progression du mouvement, la dilatation du feu, de la lumiere, & de cette étonnante quantité de divers phénomenes produits par l'électricité.

Il n'eft guere probable que dans la fuite on ait beaucoup a découvrir dans la Botanique, puifqu'il femble, d'après les découvertes que les modernes ont faites dans cette partie de la Phyfique, il ne refte plus rien à défirer fur la connoiffance des arbres & des plantes: toutefois, fi tous les végétaux font connus, toutes leurs différentes propriétés ne le font pas encore, & cette découverte ne peut être que de la plus générale & la plus importante utilité. D'ailleurs il refte aux Philofophes à donner plus d'application qu'ils n'en ont donné jusqu'à préfent à l'agriculture, qu'ils ne se font pas affez attachés à perfectionner, en apprenant aux cultivateurs à corriger les défauts qui s'y trouvent, foit relativement aux diverfes qualités des fols, foit relativement aux propriétés des grains & des légumes. On écrit cependant beaucoup, peut-être même on écrit trop fur cette matiere; on donne une infinité de nouvelles méthodes fur l'art de labourer, & nulle inftruction fur les meilleurs moyens de conferver jufques à leur maturité les grains ou les plantes que l'on dépofe dans la terre, Il paroît néanmoins que le fervice le plus effentiel, qu'à cet égard on peut rendre au public, feroit d'enfeigner la maniere & les moyens de délivrer les champs de tant d'infectes, de tant de bêtes voraces & meurtrieres, dont les unes fous la terre, les autres deffus, s'exercent à ruiner & rendre inutiles tous les travaux, toutes les peines des cultivateurs. Quel bien ne feroit pas aux hommes la majefté philofophique, & elle daignoit s'abaiffer jufqu'à chercher un moyen de détruire toutes ces peftes du labourage! c'est ce qu'ont fait en partie en France, les très-eftimables Auteurs des Dictionnaires des Arts, du Commerce, d'Economie, des Citoyens &c. c'est à quoi s'occupoir auffi le refpe&table Mr. de Reaumur, auquel les habitans de la campagne ont des obligations fi fort effentielles, ainfi que les artiftes qui lui doivent tant de précieuses inventions.

I

S. XIV.

De PHiftoire, de l'Erudition, de P'Eloquence & de la Poéfie.

L fuffit de connoître les différens objets de ces diverfes branches de la littérature, pour fe convaincre de la grande & fenfible influence qu'elles ont fur le Bonheur public. On peut apprendre fous des maîtres, la philofophie morale, la politique, l'art militaire &c. mais l'hiftoire eft dans toutes fes parties fort au-deffus des maîtres: car c'eft elle qui nous fair voir dans les actions d'autrui ce que la théorie des inftructeurs enfeigne

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