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c'est l'activité qu'il a donnée au commerce; ce font les hôpitaux qu'il a fondés, les écoles de génie qu'il a établies pour la guerre & pour la marine; ce font les inventions & les découvertes utiles au bien de fon royaume qui ont rendu fa mémoire immortelle. Mais ces belles inftitutions blissemens heureux, ces grandes chofes qui ont fi juftement fait donner le nom de Louis XIV au fiecle où il a vécu, à qui cet illuftre Monarque en fut-il redevable? au beau génie de Colbert; à tant d'hommes de talens fupérieurs & d'un goût exquis qui formoient fon confeil, qui ne cherchoient tous que le bien, & n'y préféroient que le mieux. C'est à eux, c'est à ces grands Miniftres que les arts doivent leur perfection, parce que ce fut eux qui excitoient fans ceffe Louis à attirer, animer & récompenfer les grands artiftes, en forte que comme c'eft à eux que la France eft redevable de l'éclat & de la perfection de fes manufactures, on peut dire auffi que c'est encore à eux en très-grande partie, que les François doivent, & Moliere & Racine, & Boffuet, & Fénélon, & Caffini, & ces grands hommes, génies immortels, qui tout-à-coup porterent la gloire de la France à un fi haut degré de fupériorité.

Suivant la nature & la forme du Gouvernement, un Etat eft ou démocratique, ou ariftocratique, ou monarchique; cependant à les confidérer fous certain point de vue, on peut dire que dans tout Etat, même dans celui qui eft gouverné par un Prince, le peuple forme une fociété que l'on doit prendre pour une république, dont le Prince eft le chef, & dont les fujets font les membres ils doivent les uns & les autres contribuer au bien public, mais l'obligation eft fans contredit plus étroitement impofée au chef qu'aux membres; mais ce même devoir eft encore plus indifpenfablement prefcrit aux Miniftres, eux qui font comme les parties de l'adminiftration, & fur qui porte, après le Prince, tout le poids du Gouvernement. C'est donc à eux à aider le Prince dans fes plus pénibles fonctions, à lui à retracer fans ceffe fes devoirs, à l'aider fur-tout à mettre, autant qu'il eft en lui, le peuple dans la plus douce fituation, & à le rendre heureux.

Eft-il une méthode fûre de former d'excellens Miniftres; car la science du Miniftere ne peut s'acquérir par une méditation profonde, quand même on y joindroit un vrai zele & un ardent défir de faire le bien public: elle fuppofe encore la connoiffance exacte des hiftoires des anciens légiflateurs & de tous les grands hommes qui fe font diftingués à la tête des Gouvernemens. Avec toutes ces lumieres, encore un homme ne fera qu'un trèsmédiocre Miniftre s'il ignore ce qui fe paffe, ce qui s'observe dans l'intérieur des Gouvernemens étrangers, les divers caracteres & les intérêts des différentes nations actuelles. Il feroit donc effentiel que celui qui fe deftine, ou qu'on deftine au Miniftere, quand il auroit acquis un jugement fûr, un discernement exact & étendu, parcourût les Etats les plus policés de l'Europe, pour obferver tout ce qu'il y a de plus utile fur ce que le génie Part & l'induftrie ont produit & produifent tous les jours; les progrès qu'y

que

font les arts, le commerce, l'agriculture, la chirurgie, les manufactures; pour y étudier les mœurs, les loix des nations, &c. Il est bien difficile fous un Miniftre qui ne s'eft pas inftruit par une femblable méthode, le Gouvernement, quelque befoin qu'il ait d'être perfectionné, prenne une meilleure forme. Ce ne fut qu'après avoir fucceffivement vifité les différentes nations de l'Europe, que le Czar Pierre I défricha, pour ainsi dire, fes vaftes Etats, & en polit les habitans enfoncés jufqu'alors dans la nuit de la plus épaiffe ignorance.

S. I V.

De l'éducation néceffaire à ceux qui fe propofent de remplir les charges publiques.

IL feroit d'une importance extrême, que le Prince ou la république priffent un foin particulier de former des hommes, qui fuffent capables un jour de remplir pour le plus grand bien de l'Etat, les charges, les dignités & les offices publics. Il faudroit pour cela que l'on diftinguât de bonne heure, & que l'on choisit les fujets les plus intelligens dans toutes les claffes, dans toutes les conditions, & afin de les rendre propres aux charges & aux emplois, les uns du barreau, les autres du cabinet, ou pour en faire de bons Secrétaires d'Etat, d'excellens Ambassadeurs, ou des Intendans de commerce intelligens, il feroit indifpenfable que le Prince fournît à cette jeuneffe choifie, les moyens & les encouragemens les plus capables de les mettre en état d'acquérir les connoiffances néceffaires à ces différens postes: on voit par-là combien il feroit effentiel que le Prince non-feulement accordát fa protection, mais auffi qu'il eût une attention particuliere aux colleges, aux féminaires & aux écoles deftinées à élever la jeuneffe de toutes les conditions, des nobles, des bourgeois & du fimple peuple.

Il est vrai qu'à leur fortie des écoles, & après leurs études, les jeunes gens n'ont communément rien appris de ce qu'il faut favoir, foit pour le Gouvernement d'un Etat, foit pour remplir les charges publiques, car cette fcience eft très-différente de celle qu'on apprend dans les écoles. Mais il y auroit deux moyens à prendre; l'un feroit de veiller fur la jeune nobleffe, lorfque fortie des colleges, elle eft en quelque forte abandonnée à elle-même; l'autre feroit de former une éducation particuliere au moyen de laquelle ceux des jeunes gens, tant nobles que fimples bourgeois, en qui on reconnoîtroit plus de talens & d'élévation, pourroient afpirer & parvenir aux plus grandes charges & jufqu'au Gouvernement de l'Etat.

Cette néceffité de l'attention du Prince fur la jeune nobleffe, eft d'autant plus effentielle, que l'on ne fait que trop que parmi les jeunes gens de cette claffe, il eft commun d'en voir qui à beaucoup d'ignorance, joignent un penchant décidé à l'orgueil, au libertinage, au jeu, à tous les vices. Dans les fiecles barbares, l'éducation étoit plus négligée relativement

à l'efprit, & celle de la jeune nobleffe confiftoit toute à s'exercer à des joûtes, des tournois & autres exercices des armes. Il paroît, malgré la rudeffe de cette éducation, qu'on favoit mieux alors quels font du moins les amusemens les plus convenables aux jeunes citoyens de cette claffe. Car enfin plufieurs, & même le plus grand nombre d'entre eux, ne font rien moins que capables de faire prendre à leurs idées un vol bien élevé, ni de fe livrer à une forte application; mais ils peuvent tous donner à leurs corps des exercices honnêtes, & cultiver les arts qui leur conviennent.

Dans le Gouvernement ariftocratique, tout noble a droit de parvenir à l'administration; mais comme il ne peut y parvenir qu'autant qu'il s'eft fait une réputation de fageffe & de vertu, à force de fréquenter les fages, les entendre parler & de s'entretenir avec eux des affaires d'Etat, il parvient, par cet apprentiffage, plus ou moins long fuivant les preuves qu'il donne de fon intelligence, à le rendre propre aux grandes chofes. Il en est tout autrement dans les Monarchies; il eft donc néceffaire que le Prince prenne une autre méthode pour former de bons éleves. Nous avons des académies & des fociétés de beaux efprits qui cultivent la poéfie & l'éloquence, & il n'eft pas douteux qu'on ne pût tirer de-là de bons fecrétaires pour les cabinets des Princes & des Seigneurs. Nous avons d'autres académies de phyfique expérimentale, d'aftronomie, de mathématiques, de médecine & de chirurgie, & ce font fans contredit les plus utiles des établiffemens : or, qui doute qu'un efprit accoutumé à apprécier le vrai, le folide des chofes, à diftinguer les apparences de la fubftance des chofes, tels que font la plupart des membres de ces académies, ne fuffent auffi faire ufage de leur discernement dans les affaires publiques. Mais pourquoi le Prince ne fonderoit-il pas un établiffement fans contredit plus utile? Qu'y auroit-il de plus important qu'une académie où l'on étudiât les regles füres d'un Gouvernement fage; car fi d'un côté, le bon Gouvernement fait le Bonheur du peuple; de l'autre, le bon Gouvernement dépend d'une complexion d'idées & de connoiffances de différens genres. Il feroit donc à défirer que l'on fît un choix de jeunes gens reconnus de bonnes mœurs, d'un jugement fûr, d'une pénétration vive & qu'on en composât une académie, dont l'objet & le travail confifteroient à difcuter les divers fujets qui ont rapport aux moyens les plus propres de gouverner, fagement le peuple, foit pour l'avantage du Prince, foit pour le plus grand bien de l'Etat; il faudroit qu'une perfonne habile distribuât par degrés aux jeunes membres de cette académie, les matieres que chacun d'eux auroit à traiter, & qu'un Miniftre affiftât aux affemblées qui fe tiendroient en des temps marqués, pour annoncer & louer les fuccès & l'émulation de ceux qui fe montreroient avec plus d'éclat.

Les études qui feroient le principal objet des jeunes gens reçus dans une telle académie, feroient le droit public, l'hiftoire ancienne & moderne, la connoiffance détaillée des différens Etats & des Princes qui les gouvernent, les traités d'alliance & de paix, ainfi que les autres actes publics,

les divers intérêts des Souverains, les coutumes & les mœurs de différentes nations, les réglemens les plus fages concernant le commerce, les vivres les monnoies, les impôts. Toutefois comme l'étude & l'acquifition même de toutes ces connoiffances, ne fuppofe pas la grande expérience néceffaire à un Miniftre, il faudroit qu'après un exercice des talens des jeunes académiciens, & fuivant les progrès plus ou moins rapides qu'ils auroient fait, on plaçât les uns au bureau des dépêches fous un premier Directeur, qu'on employât les autres en qualité d'Ambaffadeurs & d'Envoyés qu'on fit de quelques-uns des Juges & des Gouverneurs pour les villes & les provinces; & après qu'ils fe feroient exercés dans ces différens emplois, on les éleveroit à des grades fupérieurs.

S. V.

Des vues que doivent avoir les Princes, les Miniftres & les hommes de Lettres pour procurer le bien public.

I

L n'eft pas de Souverain qui, à moins d'une force fupérieure, ne puisse rendre fon peuple heureux. Quant aux Miniftres ou Confeillers d'Etat, ils doivent feconder le Prince dans cette vue relative au bien général : mais comme ils pourroient bien n'être point affez éclairés dans l'art d'apprendre au Prince les meilleurs moyens de procurer la félicité publique, ils devroient, & ils le pourroient aifément, s'adreffer à des Philofophes en état de leur apprendre ces moyens, & à leur indiquer la voie la plus facile de les mettre en ufage.

Il n'exifte guere, ou pour parler avec plus de vérité, il n'exifte aucun Gouvernement qui foit entiérement exempt de tout abus, de tout défordre; il en cft même quelques-uns de ces abus qui font fi anciens & fi fort invétérés, qu'il ne vient pas même dans l'idée du peuple, qu'il foit utile ou néceffaire de les corriger; il en eft même quelques-uns qu'on croiroit très-pernicieux d'extirper. Cependant il ne faut qu'un difcernement jufte pour connoître ce qu'il y a de déréglé, de pernicieux ou de peu louable dans le Gouvernement d'une nation, dans fes mœurs & dans fes ufages. Ce qu'il y a de plus difficile, c'eft de favoir augmenter les avantages & la richeffe d'un pays; il ne fuffit pas là d'un difcernement jufte pour en découvrir ou en imaginer les moyens. Une province eft dépourvue de bras; il faut bien de l'habileté, bien du travail pour venir à bout d'y en tranfporter des pays éloignés; il faudra bien de l'activité, bien de l'efprit pour y introduire & y maintenir ces reffources étrangeres. C'eft acquérir de grands droits à l'eftime, à la confiance du Prince, & à la reconnoiflance publique, que d'indiquer le fecret de rendre l'Etat floriffant par l'industrie, la richeffe, & une abondance générale de toutes choses. Mais par malheur, au lieu de femblables fecrets, les confeils des Souverains abondent en perfonnes,

qui ne s'attachent qu'à fournir les moyens de rendre les fujets malheureux. Par un malheur plus déplorable encore, dans la plupart des Etats, au lieù de rechercher, d'accueillir, de combler de careffes les citoyens utiles, qui s'attachent à découvrir les différentes maladies dont le Gouvernement eft affecté, & qui s'appliquent aux moyens de les guérir, on leur impofe filence, on les perfécute, on les accufe de vouloir mettre des bornes à la puiffance fupérieure; en forte que de toutes les conditions, la plus périlleuse eft fans contredit celle de réformateur en fait de politique; on eft boiteux, on bronche à chaque pas, & l'on ne veut abfolument point apprendre à marcher droit. Il y a même des pays où tout ce qui porte un caractere de nouveauté, paffe pour odieux, & cela parce qu'il y a des nouveautés qui font mauvaises, comme s'il s'enfuivoit de-là qu'il ne pût y en avoir de très-bonnes & d'infiniment avantageufes au public. Ce feroit un excellent & refpectable édit que celui par lequel un Prince ordonneroit, que déformais nul Miniftre indifcret n'auroit la liberté d'arrêter le zele des Auteurs qui voudroient mettre au jour ce qu'ils auroient conçu pour le bien public, pourvu qu'ils ne le fiffent qu'en confervant le respect dû à la Religion & au Prince. En attendant un tel édit, qui vraisemblablement ne paroîtra jamais, on dira ici, quels différens points de vue doivent fe propofer les Souverains, leurs Miniftres & Confeillers d'Etat pour procurer, autant qu'il eft en eux, la félicité publique.

C

S. VI.

De la Religion.

E n'eft feulement point être abfurde, mais auffi complettement infenfé que de nier l'existence de Dieu: or, comme il n'eft pas à fuppofer que perfonne fe refufe intérieurement aux preuves, que chaque homme porte en foi de l'existence de Dieu, de fa bonté, de fes perfections, if n'eft perfonne non plus qui ne puiffe & ne doive connoître les devoirs de la créature envers l'Etre fuprême, lefquels font de l'aimer, de lui rendre un culte digne de lui, & d'obéir aux loix faintes, juftes, conformes à la droite raifon, qu'il nous a impofées. Cette connoiffance de Dieu & de nos devoirs, foit relativement à lui, foit relativement à notre prochain, forme ce qu'on appelle la Religion, qui fe divife en naturelle & révélée; celleci n'étant autre chofe que la Religion naturelle, éclairée de la révélation divine. C'est une vérité généralement connue que le Bonheur d'un peuple, dépend principalement du maintien des bonnes mœurs, de la rectitude des actions humaines & de la pratique des vertus: or, à qui appartient-il d'enfeigner & de faire pratiquer les vertus, fi ce n'eft à la Religion, qui ne fe borne pas à régler le vrai culte de Dieu, mais qui prêche & perfuade la régularité des mœurs & toutes les vertus ?

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