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Philofophie, que perfonne ne veut tromper, eft fujette à s'égarer, fi moimême j'ai ofé rejetter d'anciennes idées pour en offrir de nouvelles, de quel droit pourrois-je vous imputer des erreurs qui fouvent n'ont été que celles de votre fiecle, de votre éducation, de vos flatteurs? Mais du moins je puis vous annoncer que le temps eft venu, où la vérité doit rompre toutes ces chaînes; qu'elle fe fera connoître à vous, fi vous la cherchez; qu'elle s'est déjà manifeftée parmi vos peuples, & leur a montré le but auquel ils peuvent un jour atteindre. Vous qui les devez conduire, vous êtes donc refponfables de leurs progrès, & fi votre vie n'eft pas affez longue pour les mener jufqu'à ce terme heureux; fongez que le nombre de pas que vous leur aurez fait faire, fera compté par la poftérité & deviendra la mefure de fon eftime. (M. le Chevalier de CHATELLUX), Auteur de l'excellent ouvrage intitulé. De la Félicité Publique, dont nous donnerons une analyfe fous le mot (FELICITÉ.)

I

ANALYSE:

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Du Traité du Bonheur Public, par MURATORI.

L en eft de la félicité publique à peu de chofe près, comme du Bonheur particulier; c'eft-à-dire, que l'un & l'autre ne peuvent réfulter que du concours de différentes caufes. Ce n'eft pas en effet être heureux que de jouir feulement des avantages de la fanté, quelque effentielle pourtantqu'elle foit au Bonheur; ce n'eft pas être heureux que d'être à l'abri de l'indigence, ou de remplir un pofte diftingué, ou même de s'être concilié f'eftime de fes concitoyens; puifqu'avec chacun de ces avantages, il eft poffible & fort ordinaire, qu'un homme foit très-malheureux. De même, Le Bonheur public ne confifte, ni dans les richeffes nationales feulement ni dans l'industrie ou le commerce, ni dans la force des armes, &c. : car les richeffes feules, ou le commerce feul, ou l'induftrie, ou la force & le nombre des armées, n'empêchent pas qu'un Gouvernement soit agité par le choc des factions, ou déchiré par les guerres civiles, ou menacé par les Etats voifins, &c. Quelle eft donc, ou quelles font précisément les caufes d'où réfulte le Bonheur, foit public, foit particulier? Il fe forme du concours de deux conditions, fans lefquelles il eft abfolument impoffible qu'il exifte; la premiere, eft d'avoir en abondance ces biens, dont la poffeffion contribue le plus aux aifances & aux commodités de la vie ; l'autre, confifte à être exempt des maux.

LES

S. I.

Qu'est ce que le Bonheur Public.

E5 hommes, les philofophes mêmes n'ont fi fort varié dans leurs opinions fur le Bonheur, ainfi que dans les définitions qu'ils en ont données, que parce que, prefqu'aucun d'eux n'a penfé aux véritables fonde mens de la félicité, ou à cette exemption des maux, fans laquelle il est phyfiquement impoffible d'être heureux. Auffi les uns ont placé le bonheur dans les richeffes, les autres dans les honneurs plufieurs dans l'autorité, le plus grand nombre dans les plaifirs, & les derniers font, fans contredit, ceux qui ont penfé avec le plus de jufteffe, puifqu'il eft évident que la jouiffance des plaifirs fuppofe néceffairement l'exemption des maux. Il eft bon néanmoins d'obferver que le Bonheur produit par les plaisirs eft fugitif, très-peu folide, & mérite plutôt le nom d'ivreffe ou de délire, que celui de félicité; qu'il eft prefque toujours acheté ou balancé par d'auffi grands déplaifirs. A fuppofer pour un inftant que ce fuffent les plaifirs, les richeffes, l'autorité qui produififfent le Bonheur, les plus heureux des hommes, feroient fans contredit ces Monarques puiffans, maîtres de tant d'Etats, & à qui tant de Peuples font affujettis: font-ils heureux pourtant? Il s'en faut bien; car du moins, ils feroient contens, & nul d'entr'eux ne l'eft; puifque leurs vaftes poffeffions, leur puiffance, & chez quelques-uns, le defpotifme le plus abfolu, ne peut éteindre la foif infatiable de leurs défirs.

Au refte, par le Bonheur public, on n'entend point que dans un Etat, tous les particuliers, fans exception, doivent ou puiffent être heureux : car il y auroit de la folie, à penfer qu'un Gouvernement, quelque fage qu'on le fuppofe, puiffe garantir la plus grande partie du peuple de l'indigence, des afflictions, des douleurs, des infirmités, des diffentions des familles, des procès, ou bien des grêles, des tremblemens de terre, des inondations, des ftérilités, &c. Il faut entendre ici par le Bonheur public, la paix & la tranquillité dont un bon & fage Prince s'attache à faire jouir fon peuple, foit en prévenant & en écartant tous les défordres qu'il peut craindre, foit en affurant le repos, la vie, l'honneur & les biens de fes fujets, par fon attention à faire rendre une exacte juftice : tels furent les Titus, les Trajan, les deux Antonins, les Probus, les Alexandre Severe, & point du tout ce Conftantin, fi fauffement furnommé le Grand qui, dévoré d'ambition, fouillé de crimes, teint du fang de fes proches avide, injufte, fanguinaire, ofa, comme Titus, auquel il reffembloit fi peu, faire graver fur les monnoies ces paroles : Félicité publique, Bonheur des temps, Félicité du fiecle, Temps heureux : il eut rendu plus de juftice, à la vérité, fi au lieu de ces paroles, qui caractérisoient fi mal fon regne dur & tyrannique, il y eut fait graver ces mots : Difputes fcholaftiques, Ruine

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de l'Empire, Calamités publiques: Affaffinat d'un fils, d'un beau-pere, d'un gendre, d'une épouse. Mais s'il n'y eut jamais rien de commun entre l'atroce Conftantin & la félicité publique, à quel propos le citer dans un ouvrage fur le Bonheur public? Comment eft-il poffible que le fage & favant Muratori, ait affocié aux beaux noms de Titus, de Trajan, des Antonins, le nom fi juftement flétri de Constantin?

§. II.

Devoir effentiel impofe aux bons Princes de procurer le Bonheur Public.

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I les Souverains tiennent, comme ils le difent, & comme on doit le croire, leur puiffance de Dieu, c'eft pour fe conformer, autant qu'il eft en eux, à leur inftituteur, qui eft l'auteur & la fource du bien, & non l'auteur du mal; enforte que par cela même, que l'intention de Dieu eft que l'efpece humaine foit heureuse, les Princes font effentiellement obligés de travailler fans ceffe à la félicité des peuples, fur lefquels ils ne regnent qu'à cette condition. Mais comme la preuve de cette institution divine de la royauté n'eft pas fi clairement indiquée, qu'il n'y refte encore bien de l'obfcurité, tenons-nous en à ce qui s'eft vraisemblablement paffé jadis, lorfque les peuples ont cru, pour leur propre avantage, devoir fonder des trônes. Or, il est évident, que fi les différens individus de la fociété primitive fe font accordés à fe donner un maître, & à fe foumettre à un chef, ce n'a été, ni pu être que pour leur propre bien: d'où il fuit que les premiers Rois élus, cette condition a paffé tacitement à leurs fucceffeurs, à quelque titre d'hérédité ou d'élection qu'ils parviennent au rang fuprême. Eh quand même il feroit poffible de fuppofer que les hommes jadis en fe donnant un chef, ne lui aient pas prefcrit cette condition : en exifteroit-elle moins : & la nature ne l'a telle pas impofée à tout individu raifonnable, Prince ou Sujet, Monarque ou Laboureur? N'eft-ce pas la nature qui a gravé dans le cœur de tous les hommes cette loi facrée imprefcriptible: faites aux autres ce que vous défirez que les autres faffent pour vous? Quelle autre conféquence, un Roi peut-il tirer de cette loi, qu'il ne peut ni méconnoître, ni violer, fans fe rendre coupable, fi ce n'eft qu'il eft donc obligé d'aimer ses sujets, & de leur faire tout le bien qu'il peut leur procurer par le retour de tous les avantages qu'il retire de leurs fervices & de leurs contributions pour fa magnificence, fa grandeur, fes plaifirs & fa fatisfaction.

Il' eft incontestable que les fujets doivent leur fervice au Prince, qu'ils lui doivent des fubfides, foit de leurs biens, foit de leur induftrie, pour fournir à fes dépenfes & foutenir l'éclat de fa dignité; mais il est tout auffi inconteftable, & c'eft une convention tacite entre la nation & le fouve

rain, qu'il eft chargé de la défendre, autant qu'il le peut, de fes ennemis, de réprimer & de bannir de fes Etats, toute injuftice, toute infulte, toute vexation; de faire rendre juftice à tous également, aux petits comme aux grands, aux plus pauvres comme aux plus riches pauvres comme aux plus riches, de s'occuper perpétuellement non-feulement des moyens de prévenir & d'écarter les maux les afflictions, les troubles, les calamités qui peuvent arriver à fon peuple; mais encore du moyen de lui procurer tous les biens & tous les avantages dont il peut être en fon pouvoir de le faire jouir. Un Roi qui, oubliant ces obligations effentielles, ne regarderoit fes peuples que comme les inftrumens de fa propre fatisfaction, & qui acheteroit fa félicité l'infortune de ceux qui la lui procureroient, feroit un tyran détestable, un monftre couronné.

par

Un Prince qui, formé par les leçons de Machiavel, gouverneroit d'après fes principes, pourroit, à la vérité, à force de diffimulation, de crimes & de fcélérateffe, parvenir à fe faire craindre; & fe rendroit même trèsredoutable, ce feroit un être malfaifant, qui infpireroit en même temps la terreur & l'horreur mais il eft abfolument faux qu'un tel Prince parvint jamais à être heureux: il est également faux, qu'il pût fe flatter d'arriver à la véritable grandeur, car il feroit infenfible à la gloire; tout ce qu'il pourroit faire, ce feroit de prendre pour elle ce qui n'en eft pas même le fimulacre. Qui ne fçait en effet, qui ne fent que la gloire la plus vraie, la plus fûre, la plus flatteufe pour un Prince, & celle qui l'honore davantage, eft celle de bien gouverner fes peuples, de fe propofer & de favoir les rendre heureux.

Il en eft de la gloire exactement comme du Bonheur: on la cherche on la place précisément où elle n'eft ni ne peut être la gloire des Rois conquérans, eft d'envahir des Provinces, de porter le fer & la flamme, la défolation & la mort dans les contrées étrangeres, de remplir la terre entiere du bruit effrayant de leur nom mais quelqu'éclatante que foit cette fureur guerriere, ce n'eft là rien moins que de la gloire; car qu'est-ce qu'une célébrité acquife au prix du fang & des larmes de fes propres fujets, auffi bien que des ennemis. Quelle gloire penfe acquérir un Roi qui contraint fes fujets à prodiguer leurs vies pour des guerres entreprises fans juftice? Quelle gloire croit acquérir un Souverain qui, pour entretenir sa faftueufe magnificence, le nombre & le bon état de fes troupes, la fomptuofité de ses palais, dépouille, opprime fes peuples, & les rend miferables? De ces réflexions, concluons que tout Souverain qui néglige de travailler au Bonheur public, ou qui facrifie ce Bonheur à fes goûts, fes caprices, manque à la plus effentielle de fes obligations. Concluons-en auffi que ce qui honore le plus un Souverain, ce qui donne le plus grand luftre à fon mérite & à fa véritable gloire, c'eft fon amour pour fes peuples, & fon inclination conftante à leur faire du bien, ou par eux-mêmes, ou par ceux qui les repréfentent.

§. III.

S. III.

Les Miniftres font obligés de procurer le Bonheur Public.

LORSQU'UN Prince monte au trône, ce n'eft plus pour lui le temps,

quand même il en auroit la volonté, d'apprendre dans les livres & dans les faftes de l'hiftoire la fcience du Gouvernement. Il faut qu'il agiffe alors, qu'il décide, & regne par lui-même: mais comme bien ou mal inftruit, il ne fauroit tout voir, tout ordonner, il eft indispensablement obligé de confier une partie de l'administration à des citoyens éclairés qui, en qualité de miniftres, gouvernent au nom de leur maître. Or, le premier devoir de ces miniftres, eft de prêter au Prince le fecours de leurs lumieres, & de lui fuggérer tout ce qui peut tourner d'avantage à fa gloire; & le confeil le plus louable, le meilleur qu'ils puiffent lui donner, eft celui de délivrer fon peuple des maux qu'il éprouve, & de le combler de biens: car c'eft l'exemption des maux & la jouiffance des biens, qui forment la félicité publique. Par malheur, pour les nations, ce n'eft pas là communément la maniere de penfer des Miniftres, qui, pour la plupart, regardant leur élévation comme une voie de s'enrichir & d'agrandir leur famille, ne fongent qu'à une chofe, à tirer du pofte qu'ils occupent le plus d'avantages qu'ils peuvent. Dans cette vue, la crainte de perdre la faveur qui les a élevés, les empêche de contredire jamais le Souverain; en forte qu'ils mettent toute leur étude à flatter fes volontés, à encenfer fes idées, à applaudir à fes caprices. Comment voudroit-on que de tels miniftres s'attachaffent avec un zele patriotique, à faire ceffèr certains abus qu'ils ont intérêt à perpétuer, à réprimer certains défordres, à la faveur defquels leur crédit fe foutient? Comment voudroit-on qu'ils travaillaffent efficacement pour le bien général, qui leur importe peu? C'eft beaucoup fi de fauffes idées, de mauvaises manœuvres, dirigées par leur intérêt où par quelqu'autre paffion, ne dictent point les jugemens qu'ils portent, ou les confeils qu'ils donnent, & fur-tout dans l'administration des finances, foit du Prince, foit de l'Etat.

Il faut convenir néanmoins qu'il eft d'excellens Miniftres, très-éclairés & refpectables par leur intégrité. Il en eft qui, fans négliger les avantages légitimes qu'ils peuvent retirer de leur élevation, s'occupent effentiellement du fervice du Prince & du bien de l'Etat; tels font ceux que l'on voit conftamment attentifs à extirper les abus, réprimer les défordres, étendre le commerce national, à faire refleurir les anciens arts, & à en introduire de nouveaux reconnus utiles. Ce ne font ni les guerres, ni les conquêtes, qui ont immortalifé le regne de Louis XIV; ce font les arts, qu'il a rendus fi floriffans, & qui, par fes bienfaits, ont été portés fi loin; c'eft fon attention à favoriler & animer les fciences & les lettres; Tome IX.

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