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on n'avoit pas feulement daigné nommer le Roi, n'étoit figné que d'un Auditeur de Rote. Le Roi fut choqué de la fierté du Pontife: cependant, réfolu de le gagner, il employa toutes les careffes imaginables. Le Chevalier Eliot fut chargé de porter la réponse fuivante, écrite de la main

du Roi.

» Quant à la fufpenfion d'armes que le Pape lui demandoit, qu'il ne > pouvoit donner aucune réfolution là-deffus, fi la France n'y confentoit. » Quant au Concile général, que, quoiqu'il en jugeât la convocation utile » & néceffaire, néanmoins il croyoit que ce n'en étoit pas le temps, vu » l'état des affaires. Qu'il étoit vrai que l'Angleterre avoit fouhaité un » Concile, mais que les affaires de l'Europe étoient alors dans un autre » état, les intérêts de l'Empereur étant aujourd'hui trop confondus avec » ceux des Luthériens d'Allemagne. Quant à la citation & à l'appel en queftion, qu'un fimple particulier pouvoit bien envoyer à Rome pour y » être jugé par Procureur; mais qu'un Prince comme lui avoit d'autres » mefures à garder, étant indifpenfablement obligé de conferver inviola»blement les droits de fa couronne & les privileges de fes fujets. Que » les uns & les autres demandoient, en conformité des canons anciens & » de la pratique de toute l'églife, que les caufes matrimoniales fuffent jugées par les Eccléfiaftiques du Royaume. Que le ferment qu'il avoit » fait à fon avénement à la couronne ne lui permettoit pas de fe foumet»tre à un Tribunal étranger, fans le confentement de fes Etats, & qu'il » espéroit que le Pape ne voudroit pas fouffrir que l'on violât les droits de » fon Royaume, établis depuis fi long-temps. «<

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Le Roi ne fe contenta pas de cette lettre, il voulut qu'Eliot s'étendit davantage fur la néceffité de juger l'affaire dans le Royaume; &, pour rendre les raisons plus convaincantes, il le pourvut de bonnes lettres de change en faveur de ceux qui fe laifferoient perfuader. Anne de Boulen lui donna auffi quatre diamans de mille écus chacun, pour en faire préfent à ceux qui fe déclareroient pour le divorce. Outre cela, le Chevalier Eliot reçut des ordres exprès de fe démettre de la prétention que la caufe fe traitât en Angleterre, pourvu qu'on l'affurât qu'elle feroit décidée à Rome en fa faveur. Eliot fut fi éloquent que le Pape parut perfuadé. Il écrivit auffi-tôt en Angleterre, par le premier courrier, que l'affaire étoit en bon état; mais le lendemain la faction de l'Empereur l'emporta, & le Cardinal-Neveu fit fentir à Eliot l'inutilité de fa préfence. 11 revint en Angleterre, où il trouva le Roi prêt à conclure fon mariage, qui ne voulut pas feulement écouter le rapport de fa négociation. Sixte V, alors encore Moine, prévoyant les fuites de l'obftination du Saint Siege, ne put s'empêcher de dire » que peu importoit à l'Eglife de Dieu que » Henri VIII eût pour femme ou Catherine, ou Anne de Boulen. «<

Le 9 de Septembre le Roi donna à fa maîtreffe le marquifat de Pembroke, un palais fuperbement meublé, une cour nombreufe & au- deffus Tome IX.

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de toutes les Princeffes du fang, avec un préfent de vingt mille guinées pour fes menus plaifirs; fomme prodigieufe pour ce temps-là. François I, après avoir follicité le Roi, pendant trois ans, à terminer fon divorce, obtint une entrevue avec lui à Boulogne dans le mois d'O&tobre. Il le preffa encore davantage par les plus fortes confidérations, & lui promic de le feconder de tout fon pouvoir; il fit complimenter enfuite Anne de Boulen par un gentilhomme, & lui envoya une bague de deux mille piftoles. Henri, perfuadé par le Roi de France, entraîné d'ailleurs par fon amour, époufà fecretement fa maîtreffe, le 14 de Novembre, par le miniftere d'un Chapelain nommé George Day, qui fut dans la fuite Evêque de Chichester. On ne prit pour témoins que les perfonnes les plus affidées au Roi & à la nouvelle époufe, & les plus propres à garder le fecret. On perfuada au Roi que fon mariage avec Catherine étoit suffisamment caffé, après que tant de Canoniftes, Théologiens & Synodes l'avoient déclaré nul, fans qu'il fût néceffaire d'attendre la formalité d'une fentence de la Cour de Rome. Malgré cela, le Roi fe ménageoit toujours avec le Pape, & lui fit de nouvelles propofitions qui furent rejettées.

Deux mois après le mariage fecret, Anne de Boulen devint groffe; ce qui fit croire à tout le monde que le Roi n'avoit fatisfait fa paffion qu'après fon mariage. Cette idée n'eft pas vraisemblable. Comment eft-il poffible qu'un Prince auffi voluptueux que Henri VIII, eût paffé fept ans auprès d'une maîtreffe auffi belle qu'Anne de Boulen, fans avoir jamais enfreint les loix de la continence? Quoi qu'il en foit, le Roi, résolu d'achever le divorce, & de rendre public fon nouveau mariage, fit affembler un fynode général. Le docteur Crammer, dont le Roi avoit acheté le fuffrage en lui donnant l'Archevêché de Cantorbery, déclara que l'intention de Sa Majefté étoit, que tous les Eccléfiaftiques du Royaume lui prêtaffent le même ferment de fidélité & d'obéiffance qu'ils avoient prêté au Pape. Toute l'Affemblée prêta ferment, & déclara » que le Roi pouvoit légi» timement fe féparer de la Reine Catherine, puifqu'il avoit des preuves » certaines que fon mariage avec elle étoit nul, ayant été fait contre les » formalités requifes." Le même jour, Crammer fe tranfporta dans le Comté de Bedfort, où étoit Catherine, pour la citer à venir entendre la fentence du divorce, en présence du Roi. La Reine, fans le voir ni l'entendre, lui répondit par un Secrétaire, » qu'ayant relevé appel en Cour » de Rome, du prétendu divorce que le Roi fon époux demandoit, elle >> ne pouvoit reconnoître d'autre tribunal en cette caufe que celui de Ro» me. Sans égard à fes proteftations, Crammer déclara, en qualité de Primat d'Angleterre, » Que Henri demeuroit féparé de Catherine de corps » & de biens. Que leur mariage étoit déclaré nul, & les deux parties mi» fes en leur premiere liberté.

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Le 10 Mai, le Roi envoya des Ambaffadeurs extraordinaires aux Princes étrangers, pour justifier fa conduite. Il ordonna à Milord Monjoye

de déclarer à Catherine, qu'elle ne pourroit plus porter la qualité de Reine; mais feulement celle de Princeffe douairiere. Le même jour, le Pape excommunia l'Archevêque de Cantorbery, & caffa toutes fes procédures. D'un autre côté, l'Ambaffadeur de l'Empereur propofa une ligue entre les Princes Chrétiens, pour châtier la rebellion du Roi d'Angleterre contre l'Eglife & le Saint Siége.

Henri fe moqua de toutes ces vaines menaces. Le 13 de Mai, veille du jour de Pâques, il fit publier à fon de trompe fon mariage avec Anne de Boulen, qu'il logea dans le palais de Witehall: enfuite il fit menacer Cathe»rine que, fi elle ne renonçoit à la qualité de Reine, il déshéritoit fa fille Marie." Elle répondit que perfonne ne pouvoit lui ôter la qualité de Reine que » Dieu en la faifant mourir, ou le Pape, par une fentence de divorce.

Le premier de Juin, la nouvelle Reine fut couronnée avec l'appareil le plus magnifique. Les Grands & le peuple s'emprefferent à l'envi de luï témoigner la joie que leur caufoit fon avénement à la couronne. Le lendemain, le Roi la mena à Hamptoncourt, la plus belle maifon de campagne qu'il y eut alors en Europe. Le Cardinal Wolfey l'avoit fait bâtir & le Roi la lui avoit confifquée. En y entrant, la Reine ne put diffimuler fa joie, & dit à Henri:» Le Cardinal, mon ennemi, qui a fait bâtir » cette belle maison, ne croyoit pas que j'y entrerois un jour en qualité de » Reine; mais malgré lui, votre amour m'y a conduite, mon cher époux." Le bruit de fa groffeffe s'étant répandu depuis feulement que Henri l'avoit épousée, lui acquit l'eftime du peuple, qui admira fa vertu. Le 8 de Sep tembre 1533, elle accoucha d'une fille qui fut nommée Elifabeth, dans la chambre que le Cardinal Wolfey appelloit la vierge, parce que perfonne n'y avoit jamais logé, & qu'elle étoit ornée de quantité de riches tableaux de vierges Saintes. La Reine dit » qu'on pouvoit alors appeller avec raifon » cette chambre la vierge, puifqu'une vierge y venoit de naître, au propre » jour que l'Églife Romaine célebre la nativité de la Vierge." Catherine de fon côté dit, » que cette fille étant le fruit d'un adultere abominable » & n'étant venue au monde que par un coup de la malédiction de Dieu, elle ne pouvoit être qu'un monftre terrible contre l'Églife."

La jeune Princeffe fut tenue fur les fonts par le Duc & la Ducheffe de Norfolck; & la Reine, pour fe faire mieux valoir, déclara qu'elle vouloit nourrir fon enfant; mais Henri, qui ne penfoit qu'à fes plaisirs, ne le permit pas. Luther & Calvin voulurent profiter de la divifion qui étoit entre le Roi & la Cour de Rome; mais rien ne put ébranler le zele de Henri pour le Saint Siége. Il écrivit, au fujet de fon divorce, une lettre fort foumise à l'Empereur, qui lui répondit » qu'il aviferoit à ce qu'il au»roit à faire," François I venoit de marier fon fils avec la niece du Pape Clément. Henri faifit le moment favorable, & conjura François I de faire fa paix avec le Pontife. Le Roi de France envoya à Rome du Bellai, Evêque de Paris. Cet habile Prélat négocia l'affaire avec beaucoup de prudence;

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mais lorsqu'il étoit fur le point de réuffir, le Pape mourut le 25 de Septembre; & le 13 d'Octobre fuivant, les Cardinaux Impérialistes élurent Alexandre Farnefe, qui prit le nom de Paul III. Ce nouveau Pontife grand défenfeur des immunités eccléfiaftiques, déclara, dès qu'il fut fur le trône, » qué Henri chafferoit Anne de Boulen; qu'il reprendroit Cathe»rine, fon époufe légitime, & qu'il enverroit un Ambaffadeur à Rome » pour demander pardon des fautes qu'il avoit faites. "En même temps, il ordonna aux Secrétaires de la chambre de dreffer la bulle d'excommunication. On voulut lui représenter les fuites dangereufes d'une telle rigueur; mais il répondit avec dédain: » l'Eglife aura plus de gloire de perdre deux Royaumes que de fouffrir une brebis galeufe dans fon troupeau... a Enfin il déclara par une bulle » que le Roi Henri avoit encouru l'excom»munication majeure, dont il ne pouvoit recevoir l'absolution que du » Pape, après une pénitence, reftitution des dommages caufés & amende » publique. De plus il déclare Henri déchu de fa couronne, fes enfans »nés ou à naître de fon mariage illégitime avec Anne de Boulen, inca»pables de fuccéder à la couronne : ordonne, fous peine d'excommuni»cation, que perfonne n'eût à le reconnoître pour Roi, &, fous les mêmes » peines, à la nobleffe, de fe foulever & de prendre les armes contre » lui, comme étant rebelle à Jesus-Chrift, & perfécuteur de l'Eglife. Il » enjoignit de plus aux Evêques, Curés & Archevêques du Royaume de » l'excommunier tous les jours de fête, après l'Evangile de la Meffe: » exhortant enfin l'Empereur, en qualité de protecteur de l'Eglife, de » tenir la main à l'exécution de cette fentence, par la voie des armes; » & le Roi de France, en qualité de Prince Très-Chrétien, de n'entretenir » aucune correfpondance avec un tel ennemi de l'Eglife. << Pour irriter davantage l'efprit du Roi, on ordonna à tous les Curés des environs de Calais de publier l'excommunication.

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Le Parlement affemblé fit un acte, à la réquifition du Roi, par lequel il ôtoit au Pape toute l'autorité qu'il avoit eue jufqu'alors en Angleterre, & en revêtoit Henri. Ce Prince, prévoyant qu'il alloit s'attirer les armes de Rome & de l'Empire, fongea à faire de l'argent, & confifqua tous les biens eccléfiaftiques, meubles & immeubles, facrés & profanes. On fit pendre tous ceux qui refuferent de reconnoître le Roi en qualité de Chef de l'Eglife Anglicane. Il tourna enfuite tout fon reffentiment contre la Reine Catherine, lui ôta la plus grande partie des perfonnes qui étoient à fon fervice, & défendit aux autres de l'appeller autrement que Princeffe de Galles. Catherine rejetta tous ceux qui lui refuferent la qualité de Reine, & fut plufieurs jours réduite à fe fervir elle-même. Elle tomba malade. Alors le Roi ordonna au Duc de Suffolck, qui la gardoit comme une prifonniere, de lui faire donner des gens pour la fervir, & lui fournir toutes les choses néceffaires.

Anne étoit au comble du bonheur; cependant elle n'étoit pas fans in

quiétude. Elle vouloit que fa fille Elifabeth fut déclarée la feule héritiere. au préjudice de la Princeffe Marie. Elle commença d'abord par publier qu'il y avoit de certaines prophéties qui promettoient la couronne à Marie, après la mort du Roi. Lorfque ce bruit fe fut un peu répandu, elle fe présenta au Roi, toute éplorée, & lui dit le fujet de fa douleur. Pour la confoler, Henri promit non-feulement de déshériter Marie, mais encore de la faire mourir. Rien ne coûtoit à ce Prince cruel pour affouvir fes paffions ou les caprices de fon époufe. Cependant, lorsqu'il fe préparoit à faire empoifonner la jeune Princeffe, il changea tout-à-coup de fentiment, & fe contenta de faire publier à fon de trompe, que Marie étoit incapable de fuccéder à la couronne, & qu'Elifabeth étoit fa légitime héritiere. Il voulut que tous les ordres des Magiftrats vinffent la reconnoître en cette qualité, quoiqu'elle fût encore au berceau.

Catherine ne put réfifter à des coups fi fenfibles. Elle fut attaquée d'une colique violente, & mourut le 3 de Janvier 1536. Le Roi la fit enterrer fans aucune pompe dans la Cathédrale de Péterborough, & ne marqua pas d'abord le moindre regret, quoique, deux jours avant fa mort, elle lui eut écrit cette lettre pleine de tendreffe:

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„, Sire, mon très-cher Roi, Seigneur & Epoux, je fuis fur le point de ,, remettre mon ame entre les mains de la miféricorde de Dieu; & ainfi elle va être délivrée de ce corps, auquel vous avez caufé tant de peines " & d'afflictions. Mais, quelque grandes qu'elles aient été, elles n'ont jamais été capables, je ne dirai pas d'éteindre, mais non pas même de refroidir l'amour que j'ai toujours eu pour vous, & qui durera jufqu'au tombeau. C'est ce qui m'oblige à vous écrire aujourd'hui cette lettre, pour vous exhorter en qualité de votre époufe, & vous avertir en qualité de Chrétienne, de penser à votre falut éternel, qui vous doit être plus cher que la couronne périffable que vous portez, &

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que toutes

les grandeurs du monde. Je n'ai point manqué, mon cher époux & mon Roi, de prier le Pere des lumieres pour vous afin qu'il vous infpirât de bons fentimens pour le falut de votre ame, en vous éloignant de ces plaifirs fenfuels qui m'ont coûté tant de larmes & de chagrins, & qui vous ont précipité vous-même en un abyme de défordres & ,, d'inquiétudes. Au refte, je vous pardonne de bon cœur tout ce que vous avez fait contre moi; & je prie Dieu qu'il veuille auffi vous pardonner en fon infinie miféricorde. Avant que de rendre le dernier foupir, je vous fupplie de ne pas me refufer une grace que toutes les loix du ciel & de la terre vous obligent à m'accorder; c'eft d'avoir foin de la Prin,, ceffe Marie, votre fille & la mienne. Si vous n'avez pas voulu vous montrer bon mari en mon endroit, montrez-vous au moins bon pere au fien. Je vous prie encore d'avoir foin de mes trois demoiselles & de mes domeftiques, qui m'ont fi fidélement fervie, & d'avoir la générofité de leur faire payer tout ce qui leur eft dû de leurs gages, & d'y

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