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efpeces y font petites, mais fortes, nerveufes, & infatigables. On peut faire la même obfervation fur les fruits & les légumes qui dédommagent par un goût exquis de la petiteffe & du peu d'abondance.

Les beftiaux font le feul commerce proprement dit des habitans. Ils ne moiffonnent que le tiers des grains néceffaires à leur confommation; c'est par la vente de leurs beftiaux qu'ils fuppléent à ce que l'ingratitude du fol leur refuse. Doivent-ils payer leurs fermages, leurs tailles, les cens dont ils font chargés, les arrérages d'un contrat de conftitution, c'est toujours à leurs beftiaux qu'ils ont recours, & fans ce fecours on ne voit pas trop comment ils pourroient fatisfaire à tant de charges.

On compte dans la ville quatre mille & quelque cent perfonnes de tous âges, fexe & condition; & environ dix mille dans le refte du Duché : ce qui feroit en tout un peu plus de quatorze mille. En rabaiffant d'une part ce nombre à douze mille & portant d'un autre côté la fuperficie du Duché à dix lieues quarrées, on trouvera douze cents habitans pour chaque lieue. Le Milanois où la beauté du climat, la fécondité du fol & de longues paix favorisent la population, contient pareillement douze cents habitans par lieue quarrée. En France, fuivant les calculs les plus récens, on n'en compte que 883: d'après cette comparaifon, il paroît que la population du Duché de Bouillon furpaffe celle de la France, & s'éleve jufqu'à celle des pays les plus favorifés de la nature. C'eft fans doute un problême dont on trouvera la folution dans la douceur du Gouvernement & la fobriété de fes habitans qui vivent pour la plupart de pommes de terre, du lait de leurs vaches & de farines d'avoines, lorfqu'ils ont confommé le feigle de leur récolte qui, comme on l'a déjà dit, ne les nourrit que quatre mois de l'année..

Il y a dans la ville quelques négociants qui tirent de France des étoffes, des vins, des eaux-de-vie, du fucre, du caffé, &c. Le fyftême exclufif des puiffances voisines & l'établiffement des douanes & des bureaux qui le favorifent, déconcertent les fpéculations du commerce & s'opposent à ce qu'il s'éleve des manufactures dans le Duché de Bouillon. Le commerce des beftiaux eft le feul qui puiffe être cité; auffi les habitans ont-ils tourné toute leur induftrie de ce côté.

Il feroit cependant à défirer qu'elle ne fe bornât pas à cette unique branche de commerce, qu'au contraire elle fe multipliât & s'étendît à d'autres parties. Ils ont toute l'intelligence néceffaire pour y réussir, il ne feroit queftion que de les débarraffer des entraves qui enchaînent leur activité; ils ont même de l'aptitude pour toute efpece d'arts, de commerces & de profeffions. Ceux qui fortent du pays réuffiffent ordinairement. Les maifons religieufes voient avec jaloufie toutes leurs charges poffédées par des Ardenois. Ils font encore braves foldats, domeftiques fideles, commis intelligens, quelquefois même artiftes diftingués, fuivant que le hafard & les circonftances les déterminent vers une de ces profeffions.

Ils ont communément un air de lenteur que l'on feroit tenté de prendre pour indolence; mais leur tempérament eft robufte; ils fupportent la fatigue, fe livrent fans répugnance aux travaux du labourage, de l'exploitation des forêts, de la houe, de l'incinération; ils ne craignent point de fe mettre à l'eau pour les opérations du flotage dan's les faifons les plus rudes; moyennant le falaire modique de 25 fous par corde. Ils obéiffent fans contrainte, fe rendent aux corvées fans murmure; huit gardes, leurs compatriotes, les ont gardés & contenus pendant un fiecle dans le devoir; accoutumés à jouir de cette liberté civile qui eft l'heureux effet d'un bon Gouvernement, ils en ont contracté un peu de fierté; s'ils refpe&tent l'autorité ils n'encenfent point l'opulence, ils veulent être ménagés même par ceux qui les emploient cette efpece de roideur a fouvent indifpofé contre eux les étrangers de qui ils ne peuvent fupporter ni hauteur ni dureté.

Il y a dans la ville de la mifere comme par-tout ailleurs. Les mœurs font plus régulieres dans les villages tout le monde y poffédant quelques propriétés & des beftiaux, la culture y étant animée jusqu'à un certain point, on n'y connoît prefque point la mendicité; ce font au contraire les pauvres de Bouillon dont la pofition dans une vallée étroite & profonde n'eft point favorable à la culture, qui fe répandent dans les villages les jours des fêtes, affurés d'y trouver des fecours. La bienfaisance eft chez eux en recommandation. S'il y a un bourgeois malade, tous fes ouvrages font faits & fon bois eft rendu à fa porte par corvées.

Les mariages font en général affez paifibles : les maris exercent fur leurs femmes une espece de defpotifme bien éloigné des ufages des autres claffes de citoyens. Le pere de famille revenant le foir des champs, s'inftale dans une espece de fauteuil de bois, fe fait fervir par fa femme, qui fouvent ne mange qu'après fon mari, & préfere de donner fes foins à fes beftiaux.

La fuperftition eft dans tous les pays le partage du peuple on craint ici les forciers & les revenans; les maladies reçoivent les noms des faints qu'on eft dans l'ufage d'invoquer pour en obtenir la guérison, ainfi on dit le mal St. Aggrappeau pour la colique, le mal St. Julien pour les ulceres, &c.

La faculté qu'ont les filles des bourgeois de tranfmettre à leurs époux & à leurs enfans le droit de bourgeoifie avec les avantages qui y font attachés, affure leur établiffement avec des étrangers; c'eft peut-être une des caufes de cette population qui furpaffe la proportion des fubfiftances du crû du pays. Tandis que l'Etat acquiert de nouveaux citoyens, quelques-uns s'éloignent pour la fortune qui leur a ri quelquefois, mais on voit peu d'émigration, & en général les naturels du Duché de Bouillon font amateurs de leurs foyers.

Ils font affez défians & rufés quand il s'agit de leurs intérêts; cepen

dant, ils font affez fideles à leurs engagemens, fi on en excepte les petits défordres inféparables de la fociété politique. Ils paffent pour honnêtes gens, ils ne fe font point prendre de juftice chez l'étranger. Cependant Paris en renferme plus de soo, dont plufieurs font connus avantageufement. Le Duché de Bouillon eft circonfcrit par la France & le Duché de LuxemBourg. Le feul commerce floriffant eft celui des beftiaux, il fera toujours de la fageffe du Gouvernement de favorifer les établiffemens de toute ef pece; mais il eft à craindre, il est même certain que fi quelques-uns prenoient faveur, les voifins s'y oppoferoient de tout leur pouvoir. Un feul. exemple fuffira pour donner une idée de la jaloufie exclufive du Gouvernement des Pays-Bas, c'eft que pour favorifer le débit de fes cuirs, il établi un droit de 80 ou 90 pour cent fur les fouliers qui paffent en tranfit de Liége für Bouillon ou de Bouillon fur Liége.

Le Duché de Bouillon paie annuellement à S. A. S. un don gratuit de 3000 liv. indépendamment de quelques autres droits feigneuriaux & régaliens & de ceux établis fur les confommations.

Il faut en outre qu'il fourniffe à toutes les dépenfes communes du pays; elles font arrêtées tous les ans dans une affemblée de Députés, & fe trouvent monter en la présente année à la fomme de 9064 liv. 12 fols, 3 deniers, non compris 3 liv. que paie chaque chef de famille pour racheter la garde; cette impofition, qui a retenu le nom de taille des bois, huiles & chandelles du corps-de-garde, parce qu'en effet le procès-verbal commence par cet article, fe répartit fous les yeux de la Cour fouveraine d'après un cadaftre général, en conféquence duquel chaque village eft cottifé la Cour envoie fes mandemens dans chaque communauté où les justices font une répartition particuliere, en obfervant d'impofer le tiers du mandement fur la tête d'un homme, un autre tiers fur les beftiaux & le troifieme tiers fur les immeubles.

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Les habitans de la Souveraineté, (ceux de Bouillon, de Noir - Fontaine, & des quatre Mairies exceptés), doivent un droit de pontenage ou de travers fur la riviere de Semoy lorfqu'ils font chargés en marchandises; & quand ces marchandifes fortent à l'étranger, elles paient des droits réglés par un tarif émané du Souverain. Ces droits font perçus par des Receveurs particuliers qui répondent à un Receveur-général à Bouillon. Celui-ci verfe entre les mains du Procureur-général de S. A. S. qui eft luimême comptable.

Les Sujets de S. A. S. font obligés aux termes même de leurs Chartres aux Corvées civiles & qui ont pour objet l'établiffement, les réparations & entretiens des grands chemins.

Lors du paffage de troupes étrangeres, ils fourniffent, par les ordres du Gouvernement, les logemens, la paille & les chariots néceffaires pour le tranfport des bagages, fauf à folliciter de la Puiffance requérante des indemnités que l'on obtient rarement.

On ne connoit point ici de corps de maîtrife, le commerce y eft parfaitement libre, celui des denrées eft cependant foumis à l'infpection d'un corps municipal, qui tient la main à l'exécution d'une ordonnance de police émanée du Souverain, fauf le reffort & l'appel en la Cour fouveraine qui exerce fupérieurement la grande police.

Son Alteffe Séréniffime jouit dans fa fouveraineté de tous les droits régaliens.

Il y a dans le Duché de Bouillon quelques belles terres & feigneuries qui relevent de S. A. S. & lui font foi & hommage en fa Cour fouveraine & féodale. On y compte également beaucoup de petits fiefs qui méritent peu de confidération. L'hommage le plus célébre & qui mérite le plus d'être cité, eft celui rendu en 1359 en la Cour fouveraine, en préfence des Pairs & hommes de fiefs par Venceslas VII, Roi de Bohême, Duc de Luxembourg & de Brabant, en perfonne, de la feigneurie & pairie de Mirowart; mais cette belle terre & toutes celles du même ordre, font perdues pour le Duché de Bouillon elles ont été envahies par les Ducs de Luxembourg qui ont compris, dans tous les tems, de quelle importance il étoit pour le commerce & les communications de cette Province, de s'en affurer la poffeffion à quelque prix que ce pût être. Le Duché de Bouillon a été ainsi fucceffivement dépouillé de la terre de St. Hubert, & des villages de Dohan, les Hayons, Muneau, Bertrix, & de la baronie d'Hierges.

Les peuples poffédent ici comme ailleurs propriétairement des prés, des champs, des étangs, des moulins, &c. Les terres reftées en communes appartiennent au Souverain, aux Seigneurs & propriétaires des fiefs qui en ont toujours difpofé & difpofent encore à titre d'inféodation, d'accenfement, fauf l'ufage des Communautés.

Le Souverain a fes bois, les Seigneurs & les Communautés ont les leurs. Ceux de S. A. Sme, ont été divifés en vingt-cinq coupes, contenant chacune à-peu-près quatre-vingt arpens..

La terre eft cultivée avec des bœufs les jumens & les jeunes chevaux qui en fortent, ne font ordinairement appliqués qu'à la herfe, jufqu'à ce que le propriétaire trouve l'occafion de les vendre. Une raifon prife dans la qualité des productions du pays, a déterminé à donner la préférence pour les bœufs; c'eft que le foin généralement parlant eft très-fin, très

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court, & peu substantiel, & que la paille de feigle eft plutôt rafraîchiffante

que nutritive.

On n'emploie point d'autres engrais que le fumier des beftiaux ; les marnes, les pierres calcaires & toutes les autres matieres fertilifantes de cette efpece font inconnues. Les boues des rues & les vafes des étangs fe répandent fur les prairies avec fuccès; mais cet engrais, froid de fa nature, ne peut animer la végétation dans un fol qui peche par le même défaut; auffi fe garde-t-on bien de lui confier du grain.

Il a déjà été obfervé que les grands chemins s'établiffent & s'entretiennent par le moyen des corvées. Indépendamment de ce fecours, les Députés du Duché ont confenti à une impofition de 2000 liv. par année, pour porter à fa perfection la chauffée qui conduit de Bouillon à Sedan.

Les propriétaires des maifons en ville font obligés d'entretenir une toise de pavé fur toute la longueur de leurs héritages; les Officiers municipaux fourniffent au furplus de la dépense.

Les paroiffiens font chargés de l'entretien des tours & clochers feulement, tout le furplus demeurant à la charge des gros Décimateurs & des Curés.

Le Gouverneur du Duché fait affembler les milices bourgeoifes & les paffe en revue toutes les fois qu'il le juge néceffaire pour le bien du fervice. Il commande la compagnie colonelle de ladite milice. Cette troupe, compofée d'un Capitaine en fecond, d'un Lieutenant fecond, d'un Portedrapeaux & de cinquante-cinq hommes, ne le cede à aucune autre pour la tenue, la difcipline & l'exécution des manœuvres relatives au genre de fon fervice. Elle fait celui de la place à la décharge des milices bourgeoifes, qui fourniffoient ci-devant un détachement tous les jours pour garnir les corps-de-gardes de la ville.

Les juftices fubalternes connoiffent des matieres de police & des matieres civiles, jufqu'à la fomme de 60 livres, fauf l'appel en la Cour Souveraine. Les affaires criminelles font portées & inftruites directement en ladite cour, pour y être jugées en dernier reffort. La forme de procéder eft réglée par une ordonnance particuliere du mois de Juin 1723, calquée fur celle de 1667, fuivie dans le Royaume de France. Le Duché, qui a fes Chartres, eft régi par une coutume qui renvoie au droit écrit & commun pour tous les cas non-prévus par icelle. La promptitude & le défintéreffement avec lefquels la juftice y eft rendue, offrent fans doute de grandes facilités aux plaideurs, & peuvent contribuer à multiplier les procès; mais on eft dans l'opinion qu'il y a moins d'inconvénient, que les Magiftrats foient interrogés par cent plaideurs inquiets, que de voir un citoyen écarté de leurs tribunaux par les frais & les taxations de toutes efpeces, qui dans d'autres pays en rendent l'abord fi difficile.

Les affaires de la ville font régies par un corps municipal, compofé de Bourguemeftres, d'Echevins, & de Confeillers de ville; celles des villages le font par des Commis élûs à la pluralité des voix, & qui reçoivent le nom de Gens de Police. Les premiers rendent compte de leur adminiftration en présence de la Cour Souveraine, & les autres par-devant le Procureur-Général de S. A. Sme.

Les Officiers municipaux de la ville de Bouillon, outre cette administration, ont encore fous le reffort de la Cour Souveraine une jurifdiction de police, qui a pour objet la taxe des denrées, la propreté des rues, la fiTome IX.

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