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LES

BOUCHERIE, f. f

ES Boucheries étoient chez les Romains, fous le regne de Néron, de grands bâtimens publics, élevés avec une forte de magnificence, où des marchands vendoient la viande aux habitans de Rome. Ce font encore chez quelques Nations éclairées & jaloufes de conferver la falubrité de l'air dans leurs villes, de vastes périftyles ouverts de tous côtés & ifolés fur de grandes places, non au centre, mais aux extrémités des villes, avec une fontaine à chaque bout, pour y entretenir la propreté. Mais chez d'autres peuples, où la police paroît d'ailleurs fi perfectionnée à d'autres égards, ce font des rues infectées où les Bouchers ont leurs étaux des bâtimens refferrés dans des endroits peu aérés; là, les citoyens vont acheter de la viande déjà à demi corrompue par l'infection de l'air qui y regne. Il est une grande ville où l'on trouve des Bouchers prefqu'à chaque coin de rue, pour la commodité du public commodité contagieufe & fatale à tout le voifinage. Ils ont leur tuerie à côté de leur Boucherie; nouvelle caufe d'infection, par le fang, les tripes, les peaux qui exhalent fans ceffe une infinité de miafmes putrides.

ou

Ces inconvéniens ont été expofés & exagérés plufieurs fois, & prefque dans tous les temps. » Les Boucheries, dit un Politique moderne, font » nuifibles en elles-mêmes par les vapeurs putrides qui s'en exhalent fans » ceffe. Perfuadé de cette vérité, le Gouvernement devroit publier, une >> fois pour toujours, une défenfe obfervée très à la rigueur, de ne tuer » aucun animal, de quelque efpece & fous quelque prétexte que ce puiffe » être, plus près de cent toifes de tout lieu habité, même dans les villa» ges, à plus forte raifon dans les villes où il n'y a déjà que trop de cor»ruption de toute espece. «<

Dès le feizieme fiecle, Spifame en avoit fait le projet d'un arrêt.

PROJET D'ARRÊT

Par SPIFAME, Politique du XVI. fiecle,

Qui ordonne aux Bouchers de s'établir hors la Ville, & les droits de pied fourché pris fur la chair morte.

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LE

E Roi voulant purger fa ville de Paris des ordures & infections, >> puanteurs & périlz de la Boucherie, efcorcherie & fonte de greffes, qui » ont autrefois efté caufe de grande peftilence, a ordonné & ordonne » que tous Bouchers qui voudront fournir de chairs, & icelles débiter &

» vendre en détail en la Ville de Paris, demeureront hors la Ville & » Faulzbourg d'iceulx, & feront toutes leurs efcorcheries de beftes, fur la » riviere au-deffous à Paris à demie-lieue loings d'icelle Ville › pour le » moings, comme au village de Challiot, & feront contraincts ceux qui » ont héritaiges fur le bort de la riviere, tant du coufté du Pré aux Clercs » que du coufté dudi& Challiot, leur vendre telle quantité de terre qui » leur fera néceffaire pour les héberger, faire lefdictes tueries & efcorcheries, & accouftrer leurs chairs, lefquelles incontinent, ils envoyeront » diftribuer par les boucheries de Paris, pour les y faire vendre par leurs » femmes, ou autres telles femmes qu'ils y voudront commettre, fans » plus faire vendre & débiter lefdictes chairs par hommes, ne bailler l'u » fage de leurs couperetz, & gros coufteaux à leurfdictes femmes, » ne les induire à férocité beftialle, qui de la hardieffe que l'on prend >> par couftume fur chairs de beftes, difpofe à ufer de cruaulté, férité & > beftialité fur les hommes ; & permet ledict Seigneur à toutes perfonnes > voulant vendre & débiter chairs, le faire, pourveu que lefdictes beftes » foient tuées hors ladicte Ville, & ordonne que le revenu du pied four» ché fera prins fur la chair morte, entrant en Ville & Faulxbourgs, & » par les maisons defditz hors icelle Ville & Faulxbourgs, tout ainly que » à le bestial vif entroic en icelle ville. «

A

OBSERVATION S.

I.

› pour

Quelque degré de perfection que foit portée la Police de Paris, on peut encore défirer la réforme de l'abus, dont fe plaint Spifame. En effet, toutes les bêtes tuées par les Bouchers ne devroient point entrer dans Paris vives; outre l'embarras, & quelquefois les défordres que ces animaux causent dans les rues, les étables où on les reçoit, les lieux où on les loge, répandent une infection peu compatible avec la falubrité de l'air néceffaire à une grande ville, où les maisons entaffées les unes fur les autres, ne laiffent aucune liberté au vent de purifier ces endroits : d'où il arrive que les habitans refpirent tous les miafmes putrides qui en fortent. C'eft donc avec beaucoup de raison, qu'il demande que ces tueries foient conftruites hors Paris. Si on a bien pu, de nos jours, tranfporter la cuiffon des tripes à l'Ifle Maquerelle, fi on a bien pu pendant plufieurs Carêmes faire l'abatis des beftiaux deftinés à la confommation de cette Ville gros Caillou, on pourra bien établir les tueries pendant toute l'année hors de fes murs. Les raifons que pourroient alléguer les Bouchers, ne méritent aucune confidération. L'intérêt public eft trop féfé dans l'état actuel.

au

On prétend avoir remarqué qué, dans les temps de pefte, les Bouchers en étoient rarement atteints. On auroit pu faire des obfervations de la mê

me nature, relativement à d'autres artifans occupés de métiers plus ou moins puans. On feroit mal fondé à en conclure que ces métiers font falubres pour leurs voifins. Plufieurs font nourris à la puanteur, dit un habile médecin, & en reçoivent moins de danger, mais il eft difficile & dangereux de s'y accoutumer.

I I.

Quoique l'on ait fenti dans tous les temps les avantages qu'il y auroit pour la falubrité de l'air & la propreté des villes à en éloigner les métiers puans; quoique l'on ait toujours prétendu qu'il convenoit fort à la bonne police de reléguer les tueries hors des villes, ou au moins à leurs extrémités, d'autres confidérations ont fait juger qu'il étoit plus expédient de difperfer les tueries & les Boucheries dans les différens quartiers d'une grande ville telle que Paris. Parmi ces confidérations, celle qui a frappé: le plus, & qui paroît avoir décidé le Magiftrat, eft tirée de la tranquillité publique. Chaque boucher a des garçons, ce font des gens violens, indifciplinables, & dont la main & les yeux font accoutumés au fang. Il y auroit du danger de les mettre en état de fe pouvoir compter; fi l'on en‹ ramaffoit onze à douze cents en trois ou quatre endroits, il feroit difficile de les contenir, & de les empêcher de s'entr'affommer; le temps même : peut amener des circonftances où leur fureur fe porteroit plus loin. Au-: lieu donc de raffembler ces fortes de gens, il femble qu'il foit du bon ordre & de la falubrité de les difperfer un à un, comme les autres marchands.

Ce raifonnement eft-il auffi concluant qu'on le fuppofe? Le mal que l'on craint eft-il auffi réel que celui que l'on fouffre? Les garçons bouchers font-ils plus tapageurs que les autres? Voyons-nous que leur métier les porte plus que les autres, au meurtre de leurs femblables? Montrent-ils plus de fureur dans les émeutes & les guerres civiles? C'eft à-peuprès comme fi l'on difoit que les hommes accoutumés à fe nourrir de viande, font plus portés à manger d'autres hommes, que ceux qui ne fe nourriffent que de fruits & de laitage. La nuance eft & peu de chose qu'elle ne peut pas faire une raifon prépondérante.

D'ailleurs ceux qui défirent qu'on relegue les Boucheries & les tueries hors des villes, font bien éloignés de propofer de réunir onze à douze-cents tueurs d'animaux en trois ou quatre endroits. Les Bouchers diftribués › fur la circonférence d'une grande ville comme Paris, feroient moins raffemblés qu'ils ne le font aujourd'hui, qu'ils en occupent le centre & les différens quartiers. Les corps-de-garde multipliés fur cette circonférence, & le guet tant à pied qu'à cheval qui veille dans les fauxbourgs, comme dans l'intérieur de Paris, font plus que capables d'empêcher les attroupemens, & de réprimer la pétulance de ceux qui fe porteroient à quelque violence. Il pourroit donc bien y avoir moins de réel que d'imaginaire

dans

dans la raison qui paroît feule autorifer la pratique actuelle. On ne demande point que les bouchers foient raffemblés, mais plutôt qu'ils foient difperfés, éloignés; qu'on ne tue point dans les villes; & que, s'il y faut vendre pour la commodité du public, les Boucheries foient de grands périftyles ifolés fur de grandes places bien aérées, où il y aura plufieurs fontaines; que les femmes feules puiffent vendre; que chaque bouchere foit tenue d'avoir un grand baquet d'eau fraîche auprès de fon étal pour y entretenir la propreté ; que ces étaux foient lavés, & la place balayée tous les jours; que, s'il eft poffible, les côtés de ces grandes places foient plantés de grands arbres, car les végétaux contribuent beaucoup à purifier l'air ces arbres empêcheront l'odeur de la viande de parvenir jufqu'aux maifons des environs, ou du moins ils en affoibliront beaucoup la contagion c'eft déjà quelque chofe que de diminuer un mal que l'on ne peut pas détruire entiérement; que la viande ne foit point portée aux étaux à toute heure du jour, mais feulement à la plus grande fraîcheur de la nuit, fuivant la faifon. J'ai vu presque tout cela pratiqué dans quelques villes de Hollande qui s'en trouvent bien, tandis qu'ailleurs on refpire la mort par cela même qui devroit contribuer uniquement à entre

tenir la fanté & la vie.

Cet objet de police eft de la derniere importance. Nous invitons tous les bons citoyens à nous communiquer leurs lumieres fur ce que l'on pourroit faire de mieux pour parer aux inconvéniens de l'état actuel des choses & fur les moyens d'exécution; nous les prions fur-tout de bien pefer les craintes qui jufqu'ici ont empêché les changemens défirés. Nous ne prétendons pas avoir raffemblé fur cette matiere tous les éclairciffemens dont elle eft fufceptible; notre zele mérite d'être fecondé. La bonne volonté des Magiftrats a des droits à tout ce qui peut l'éclairer. Quoique trop fouvent les projets qui leur font préfentés foient d'une indif crétion portée jufqu'à l'absurde; si dans la multitude des mémoires qui leur font remis, ils trouvent une bonne idée, ils la faififfent, ils en profitent, & elle les dédommage amplement de toutes les vaines imaginations dont ils ont effuyé la lecture ou le récit. Le mot TUERIE fuppléera à celui-ci, & nous y expoferons avec la même droiture les nouvelles connoiffances que nous pourrons acquérir fur cet objet.

Q

BOUFFON, f. m.

UE doit penfer la faine Politique fur le fujet des Bouffons à gages qui, dans les temps de barbarie, infectoient les Cours de la plupart des grands Princes de l'Europe? Quelle idée peut-on fe former de l'efprit & du cœur d'un homme qui, pour un vil intérêt, dégrade l'humanité au point Tome IX.

Y

de faire le métier d'infenfé à titre d'office? C'étoient des ames de boue de mauvais plaifans, des railleurs infipides, des perfonnages plats, & qui, malgré tant de mauvaifes qualités, ne laiffoient pas que d'avoir la plus grande influence dans les affaires, parce que leur langue étoit vénale au plus offrant, & que leur critique, toute abfurde qu'elle pouvoit être, laiffoit des traces profondes dans l'efprit des Souverains. Je détourne mes yeux de ces objets hideux, qui n'auroient pas mérité de place dans cet ouvrage, s'ils n'avoient produit des effets trop funeftes; mais je ne veux plus avilir mes pinceaux à peindre des monftres; & je finis cette matiere en donnant, au nom de la Politique, un confeil à tous les grands Princes: c'eft de ne point décourager les hommes de mérite, les gens en place, les perfonnes occupées à des travaux utiles pour la patrie, en les raillant, ou en les méprisant pour le défaut de quelques agrémens, ou en leur préférant à tout moment des Favoris qui ne favent qu'amufer, que plaire, & que le rendre agréables.

BOUGEANT, (Guillaume-Hyacinthe) né à Quimper le 4 Novembre 2690, mort à Paris le 7 Janvier 1743.

LE Pere Bougeant, Jéfuite, fembloit plutôt fait pour refter dans le mon

de, & y faire l'agrément de la fociété par fon caractere, la douceur de fes mœurs, & les graces de fon efprit, que pour languir dans l'obfcurité d'un Cloître, au milieu des petiteffes & des momeries de la vie monaftique. Cependant il se fit Jéfuite en 1706, & fit beaucoup d'honneur à fon ordre par des ouvrages eftimés. Ceux dont nous devons parler ici font fon Hiftoire des guerres & des Négociations qui précédent le Traité de Weftphalie fous les Minifteres de Richelieu & de Mazarin, 2 vol. in-12. & fon Hiftoire du Traité de Weftphalie, en 4 vol. in-12. ou 2 vol in-4to. Il compofa ces ouvrages fur les mémoires qui lui furent fournis par la famille du Comte d'Avaux, & fur d'autres qu'il fut fe procurer d'ailleurs. Le premier parut dès 1727, & fut & fut réimprimé avec le fecond en 1744. Tous les deux écrits avec autant d'élégance & de goût, que de fageffe, de dignité & de difcernement, paffent pour des morceaux précieux par les faits intéreflans qu'on ý trouve, & les réflexions fenfibles qui les accompagnent fobrement; par le développement des caracteres & des rufes des Négociateurs, par la difcuffion des vrais intérêts des Princes, par la faine politique dont les principes. Y font adroitement expofés.

Aucun Traité n'eft auffi célébre que celui de Weftphalie. On voit dans l'Hiftoire de Bougeant tous les refforts de ce chef-d'œuvre d'une politique très-délicate & très-variée. L'ordre des matieres qu'on y traite fuit affez les événemens & les années; mais l'art de lier & de narrer en exclut le

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