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de fon Prince. (a) » Quand il eut pris, dit-il, la Romagne, confidérant » qu'elle avoit eu des Seigneurs avares, qui avoient plutôt dépouillé que policé leurs fujets, & que les vols, les factions, les meurtres régnoient dans » la Province, il jugea que, pour la pacifier & la rendre obéiflante au bras royal, il y falloit établir un bon Gouvernement. Il choifit pour cela, un Remiro d'Orco, homme cruel & actif, à qui il donna tout pouvoir. En peu de temps, ce Gouverneur remit tout en bon état, & s'acquit une » très-grande réputation. Mais depuis, le Duc craignant qu'une autorité si > exceffive ne devint odieuse, érigea au milieu de la Province une chambre civile, où chaque ville avoit fon avocat; & comme il voyoit que les rigueurs du paffé lui avoient attiré de la haine, il s'avifa un matin de faire pourfendre Remiro, & de faire expofer fur la place de Cezene, les pieces de fon corps plantées fur un pieu, avec un couteau enfanglanté » à côté, pour montrer au peuple, que les cruautés commifes ne ve» noient point de lui, mais du naturel violent de fon miniftre; ce qui en » effet furprit, & contenta tout ensemble les esprits. »

Certainement on eft faifi d'horreur en voyant un Prince cruel fe fervir d'un homme auffi barbare que lui pour égorger le peuple, & immoler enfuite ce Miniftre pour avoir trop bien exécuté fes ordres féroces. Ce n'eft pas là faire l'apologie du crime, c'est le montrer dans toute fon atrocité, pour le faire mieux abhorrer.

(a) On s'eft fervi de la traduction d'Amelot..

BORN E, f. f

ON mer des Bornes autour des maifons, fur-tout aux portes cocheres

& à l'angle des murs qui font le coin des rues; on en met auffi le long des murs des jardins & autres murs de clôture dans les villes, pour les préserver du choc violent des carroffes & des groffes voitures dont les roues en les heurtant, pourroient les endommager, les ébranler, les enfoncer même & les renverfer. La précaution eft néceffaire, mais le but est mal rempli par l'usage prefque général où l'on eft d'appliquer ces bornes immédiatement contre les murs. La Borne ainfi contigue au mur, fait corps avec le bâtiment de forte que, quand elle vient à être heurtée violemment, le bâtiment en reçoit une forte fecouffe qui l'ébranle, & ces fecouffes multipliées avancent fenfiblement la ruine de l'édifice. Dans une ville comme Paris, où les voitures font en grand nombre, les rues étroi tes & les carrefours fréquens, les Bornes des angles ou coins des maifons, font prefque continuellement heurtées par les voitures on en peut juger

par la double empreinte qu'y marquent en paffant les effieus tant des grandes que des petites roues. Les Bornes qui font le long des murs ne font pas plus épargnées, & on eft affez fouvent obligé de les renouveller pour fentir combien le mur en reçoit de dommage. On pareroit cet inconvé nient en éloignant ces Bornes d'un pied du bâtiment. A cette diftance la Borne feule recevroit le choc dont l'impreffion ne fe tranfmettroit plus au mur. Lorsqu'une voiture entre dans une maison, & qu'elle heurte les Bornes appliquées immédiatement aux deux côtés de l'entrée, ceux qui font dans la maison fentent par la fecouffe qu'ils éprouvent eux-mêmes, combien le bâtiment en eft ébranlé. Des Bornes pofées un peu en avant lui épargneroient ces coups violens

Les rues font étroites & ces Bornes avancées les retréciroient encore davantage. Je conviens qu'elles retréciroient la voie ou le paffage des voi tures; mais ce qui eft un grand avantage pour le peuple des grandes villes, elles ménageroient aux gens qui vont à pied un chemin où ils n'auroient rien à craindre des voitures. Le peuple prendroit naturellement ce paffage entre les Bornes & le mur, quelqu'étroit qu'il fût, parce qu'il y feroit en fûreté. Cet avantage me paroît affez grand & affez important pour n'être pas négligé par une police attentive au bien du pauvre peuple. Il fuffiroit feul pour autorifer une loi qui prefcriroit que les Bornes fuffent désormais placées de la maniere que je l'indique. Si les rues fe trouvent trop étroites pour cela, c'eft un malheur. Au moins il y en a plufieurs où l'on pourroit les placer ainfi, fans aucune efpece d'inconvénient.

L'obfervation que nous faifons ici eft fi fimple, & en même-temps fi effentielle à la confervation des bâtimens, qu'il feroit étrange qu'elle eût échappé à la pénétration des architectes qui bâtiffent continuellement. Il faut donc que la crainte d'embarraffer les rues par ces bornes avancées l'habitude fouvent plus forte que la raifon, ou quelqu'autre confidération les aient empêchés de mettre en pratique le bien qu'ils voyoient & fentoient. Cependant plufieurs ont mis des Bornes de cette maniere autour des grands édifices qu'ils ont conftruits, & ce n'étoit pas affurément pour la décoration, mais pour l'utilité, pour empêcher l'approche des voitures. J'ai remarqué auffi que, dans la rue de Vaugirard à Paris, les Carmes ont avancé les Bornes qui font le long du mur de leur jardin, tandis que de l'autre côté de la rue, les Bornes font appliquées immédiatement contre le mur du jardin du Luxembourg. Ces Bornes avancées d'un côté préfervent le mur de tout choc violent, & font d'une grande commodité pour les gens de pied. Elles leur rendent le même fervice que les trottoirs de Londres,

Si l'on me répete encore que la plupart des rues de Paris & des grandes villes, font trop étroites pour fouffrir que l'on avance ainfi les pierres qui font contre les maifons; j'en conclurai que Paris & les grandes villes font des amas confus de maisons bâties fans ordre, fans intelligence, &

prefque fans aucune des vues de propreté, de commodité & de falubrité qui, felon les regles d'une bonne police, auroient dû préfider de tout temps à la fondation des villes, à la conftruction des maifons, à l'alignement des rues. Ainfi l'on s'autorife des fautes paffées pour y en ajouter de nouvelles; & le mal qui a été fait lutte toujours, avec un fatal fuccès, contre le bien que l'on voudroit & que l'on pourroit faire.

BORNE, marque qui fert à terminer un champ, à fixer les limites d'un territoire, d'une Province, d'un Etat, & à diftinguer ou féparer des terreins contigus.

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L y a des Bornes naturelles, comme une riviere, une forêt, une chaîne de montagnes; & des Bornes artificielles, comme des murailles, des rem parts, des foffés, ou même des pierres de diftance en diftance, & quelquefois des lignes imaginées depuis un terme, dont on eft convenu, jufqu'à un autre. Quelques pays ont des Bornes naturelles; telles font l'Espagne & P'Italie, qui font l'une & l'autre environnées de la mer comme des prefqu'ifles, & jointes au continent, celle-ci par les Alpes, & celle-là par les Pyrénées. Telles étoient auffi les Gaules, lorfqu'elles étoient bornées par le Rhin, les Alpes, la mer Méditerranée, les Pyrénées & l'Océan. Mais les Bornes de l'Allemagne font artificielles, & ont varié en divers temps.

Numa, Roi des Romains, afin que chacun fe contentât de ce qu'il avoit, fans envier le bien d'autrui, établit des Loix touchant les Bornes des terres; il ordonna à tous les particuliers de les arpenter, & d'y planter des pierres, qui fuffent confacrées à Jupiter Terminal. Tout le monde devoit s'affembler chaque année en un certain jour, pour y offrir des facrifices. Si quelqu'un ôtoit ou tranfportoit ces pierres, fa tête étoit dévouée au Dieu des Bornes; en forte que le premier venu pouvoit le tuer, comme coupable de facrilege.

En général les Bornes chez les anciens, étoient facrées & inviolables, L'ufage en étoit fort ancien. Les Hébreux l'avoient reçu des Egyptiens; & Moïfe, dans le livre du Deuteronome, en parle comme d'une loi univerfelle. Il n'ordonne pas aux enfans d'Ifraël de placer des Bornes fur les confins de leurs héritages. Il leur défend feulement de la part du Seigneur, de changer ces Bornes, & de les transplanter dans la vue d'agrandir leurs terres; non affumes & transferes terminos proximi tui, quos fixerunt prio

in poffeffione tua. Nous avons auffi une preuve particuliere de l'ancienneté de cet ufage dans le Latium, par la maniere dont Virgile décrit le combat d'Enée avec Turnus. Celui-ci, effrayé par de triftes préfages, & n'étant plus à lui-même, prend une pierre d'une groffeur prodigieufe, qui fervoit de Borne à un champ, & ramaffant toutes fes forces pour l'élever, il la jette contre fon ennemi.

Numa ne fit vraisemblablement que rétablir les anciennes loix, qu'on avoit peut-être trop négligées. Il ajouta de nouvelles peines à celles qu'on prétend que Tatius avoit déjà prononcées, contre ceux qui refufoient de s'y foumettre. Ne regardant pas néanmoins le fupplice comme un garant affez für de l'exécution de la loi, pour la rendre plus fainte & plus inviolable, il perfuada au peuple, qu'il y avoit un Dieu particulier protecteur des limites, & vengeur des ufurpations.

Le bornage des différentes poffeffions de chaque propriétaire eft une chose fi effentielle que le Gouvernement doit le faire avec tout le foin, l'attention & la promptitude poffibles, & conftater cette opération par des cartes très-détaillées de chaque paroiffe. On ne doit rien ménager pour y parvenir, & ne pas perdre de temps. Cela eft indifpenfable pour toutes les parties du Gouvernement.

Sans cette opération, il ne fera jamais poffible de former un cadaftre certain, de fixer avec certitude & égalité la portion que chaque propriétaire de terres doit payer, d'établir un ordre & un fyftême général, de procurer à chaque individu, cette tranquillité effentielle au bonheur; de terminer ces procès éternels qui ruinent fi mal à propos les familles, &c.

BORNEO, Ile d'Afie dans la mer des Indes, & l'une des trois Ifles de la Sonde.

L'ISLE

'ISLE de Borneo, éloignée de Malaca de deux cents quarante milles, eft coupée en deux par la ligne équinoxiale, & a mille fix cents cinquante milles d'Italie de tour. Toutes les côtes en font occupées par des Mores appellés Malais, qui après plufieurs années de poffeffion, y ont établi des Rois. Mais le dedans du pays eft poffédé par des Payens, appellés Beajous, auxquels la prédication de l'Evangile n'étoit pas encore parvenue depuis plus de deux cents ans, que le chemin des Indes eft ouvert, parce que tout le monde les avoit crus barbares, fauvages & nullement propres à être perfuadés. Les Mores font gouvernés par plufieurs Rois, dont les principaux font ceux de Manjar-Maffen, de Succadan, qui eft Seigneur d'une riviere où l'on trouve de très-beaux diamans, de Borneo & autres. Les Beajous n'ont point de Rois, mais des Princes & d'autres chefs. Ceux qui font fujets du Roi de Manjar ou qui demeurent fur fes confins, lui paient tribut.

Tout le pays et très-fertile, & abonde en riz qui eft le meilleur de toute l'Afie. Pour les fruits, outre la grande abondance, ils font tous dif férens des nôtres d'Europe, & pour la couleur & pour le goût, & pour la groffeur. Il y a auffi une grande quantité de caffe, de cire, de camphre le meilleur du monde, du poivre noir & blanc qu'on appelle varian

qui fert pour la médecine, de la laque de fourmi & plufieurs excellen

II

tes teintures. Elle produit auffi des herbes aromatiques, des racines de bois noir, & une autre efpece qui fent comme le bois d'aigle, du calambouch. y a des forêts prodigieufes, où l'on trouve quantité de bois pour bâtir des vaiffeaux, & d'où l'on retire beaucoup de poix & de réfine. Ils négligent les métaux, parce qu'ils ne favent pas les fondre; on y ramaffe cependant l'or en poudre qui fe trouve dans le fable de plufieurs rivieres

de l'IЛle.

Le pays furpaffe tous les autres pour la diverfité prodigieuse de beaux oiseaux. On y voit beaucoup d'animaux à quatre pieds, d'une figure extraordinaire & inconnue en Europe. Il y en a un entr'autres qu'on ne doit pas paffer fous filence, que l'on appelle beajous, c'est-à-dire, homme fauvage; il reffemble fort à l'homme dans toutes les actions extérieures qui marquent quelque paffion. Celui que j'ai vu étoit grand comme un babouin, mais il avoit la panfe fi grande, que ne pouvant fe lever fur les jambes, il étoit contraint de fe traîner fur les feffes. Lorfqu'il changeoit de place, il emportoit fa natte avec lui, pour fe coucher deflus. On y voit auffi des finges de plufieurs couleurs; les uns rouges, les autres noirs & blancs, qu'on appelle oncas, & qui font les plus eftimés: ils ont une raie noire qui commence fur le fommet de la tête, & defcendant fous le menton forme un cercle affez beau. Il y a encore un autre animal dans l'ifle qui a une fourrure fort femblable à celle du caftor. Les Beajous tirent de ces finges les meilleures pierres de bezoars qui foient au monde. Ils les frappent affez légérement avec leurs dards, afin qu'ils ne meurent pas fur le champ: mais pendant que cette plaie les rend foibles & malades, la pierre fe forme dans leurs entrailles, & on les tue pour la prendre.

Les mœurs & la religion des Beajous font remplies de fuperftitions, ces peuples étant fort attachés aux augures. Ils n'adorent point d'idoles, & les facrifices qu'ils font de bois de fenteur & de parfums font offerts à Dieu feul, qu'ils croient devoir récompenfer les bons dans fa gloire, & punir les mauvais dans l'enfer. Ils n'époufent qu'une feule femme; & regardent le manque de foi dans le mariage, tant d'un côté que d'un autre, comme un crime fi haïffable qu'ils le puniffent de mort. Les femmes y font fort modeftes & retirées, fur-tout les filles que leurs époux ne voient jamais avant le jour du mariage, que quand elles leur portent leur dot. Les Beajous font ennemis du vol & de la fraude, & reconnoiffans du bien qu'on leur a fait. Ils vivent entr'eux dans une grande charité & union, jufques-là que lorfqu'un homme a recueilli ce qu'il a femé pour fon propre ufage, ce qui fe trouve de refte dans les vallées & dans les montagnes, eft commun à tous. Ils ont quelque chofe de noble dans leurs plaifirs, & aiment à acquérir de l'honneur à la chaffe; ils tâchent d'y attraper quelques cornes pointues qu'ils poliffent & portent enfuite pour ornement à leur ceinture. Cette ceinture n'eft autre chofe qu'une longue bande de Tome IX.

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