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Alors le Cardinal, d'accord avec le Pape, dans un confiftoire convoqué à cet effet, fupplia les Cardinaux d'intercéder pour qu'il lui fût permis de rentrer dans le monde, & de contracter mariage; les Cardinaux remirent la décifion de cette affaire au Pape qui accepta la démiffion des bénéfices de Céfar, & lui accorda la difpenfe qu'il demandoit. Aufli-tôt il mit bas la pourpre, & prit un habit à la françoise.

Il reçut, le même jour, dans cet habillement, Villeneuve que le Roi lui avoit envoyé pour le conduire en France. Il partit, emportant avec lui un tréfor immenfe; fon équipage étoit fi faftueux, qu'un grand nombre de fes chevaux étoient ferrés en or.

Le Roi lui fit l'accueil le plus gracieux; comme Céfar étoit attaché au nom de Valence qu'il retenoit, après en avoir quitté l'archevêché, il lui donna l'inveftiture de Valence en Dauphiné, avec une penfion de vingt mille livres, & autant pour entretenir à fon fervice une compagnie de cent lanfquenets: Céfar prit alors le titre de Duc de Valentinois, qu'il porta toute fa vie.

Sa maniere de négocier, contraire à l'efprit des François, fut fur le point de gâter ses affaires. Il avoit apporté de Rome la difpenfe de mariage que le Pape avoit accordée; mais afin d'engager le Roi à plus de promptitude pour l'accompliffement du fien avec l'infante de Naples, il imagina de faire croire que la difpenfe n'étoit point expédiée, & qu'il l'attendoit de jour en jour; mais l'Evêque de Cète qui favoit la vérité, dit au Roi, que la bulle étoit entre les mains de Cefar. Louis fit auffitôt affembler fes théologiens, qui déciderent qu'il fuffifoit qu'elle fût expédiée : le Roi fit déclarer nul fon mariage avec Jeanne, & époufa la Reine Anne. Alors le Duc de Valentinois préfenta de bonne grace la bulle au Roi; mais il fit empoisonner, peu de temps après, l'Evêque de Cète.

L'Infante reçut avec mépris la propofition de fon mariage avec Céfar; elle déclara qu'elle ne donneroit jamais la main à un prêtre, fils de prêtre, meurtrier, fatricide, abominable par fa naiffance, & mille fois encore plus par la méchanceté de fon caractere. Les uns difent que Frédéric lui avoit fuggéré cette réponfe; d'autres, que c'étoit le Roi de France lui-même qui craignoit que fi ce mariage s'accompliffoit, le Duc ne fe raccommodat avec fon beau-pere, ou qu'il ne fût un obftacle à la conquête de Naples; mais pour fe l'attacher, il lui fit époufer la fille du Roi de Navarre, & lui donna, en faveur de ce mariage, le collier de l'ordre de St. Michel; & Louis enfuite marcha à la conquête du Milanois.

Cette conquête fut auffi rapide que celle de Naples. Les Sforces furent trahis & abandonnés par leurs amis. Alexandre & le Duc triomphans, n'at-. tendirent plus que le moment de pouvoir exécuter leurs vaftes deffeins; ils firent dès-lors le plan de l'agrandiffement de leur maifon & de l'oppreffion des Princes d'Italie. Le Pape commença par déclarer dona Lucrece d'Arragon, fa fille, Gouvernante perpétuelle de la ville & Duché de Spo

lette. Elle venoit d'être abandonnée de fon mari dom Alphonfe, qui s'étoit retiré dans les terres des Colonnes, pour paffer enfuite dans le royaume de Naples. Elle entreprit, quelque temps après, de les réconcilier avec le Pape; & dom Alphonfe, entraîné par fes careffes, vint de lui-même se remettre entre les bras qui devoient l'étouffer. Le Pape fit préfent à fa fille, de Sermonette & des autres terres de Jacques Caëtan, Protonotaire Apoftolique, fils d'Honoré, qu'il fit enfermer aux prifons de Saint-Ange, qu'il fit empoifonner peu de temps après, & dont il fit étrangler le neveu.

Lorfque Charles fit fon entrée à Milan, le Duc obtint de Sa Majesté la déclaration de fa protection contre les Vicaires de la Romagne; trois cents lances commandées par Yves d'Alegre, entretenues aux dépens du Roi ; quatre mille Suiffes fous les ordres du Baillif de Dijon, foudoyés par le Pape, & quatre mille cinq cens écus prêtés par la ville de Milan à la Chambre Apoftolique, que le Duc toucha. Celui-ci, de fon côté, & le Pape fon pere, de l'autre, ramaffoient des troupes pour dépouiller de leurs Etats les Vicaires de la Romagne. Ces Vicaires étoient des Seigneurs, Comtes, Marquis ou Ducs, qui avoient reconnu la fouveraineté des Papes, & reçu d'eux leurs inveftitures, à la charge d'un tribut annuel. Le Pape les fit accufer, en plein Confiftoire, de n'avoir point payé le tribut, d'avoir contrevenu aux conditions des inveftitures & aux devoirs de vaffaux; ils furent déclarés déchus de leurs feigneuries; & leurs Etats furent dévolus à l'Eglife, au nom de laquelle le Duc de Valentinois, en qualité de fon Général, devoit en faire le recouvrement, pour en faire recevoir enfuite l'inveftiture de Sa Sainteté. Les Seigneurs compris dans cet arrêt, furent les Sforces de Pezare, les Malatefta de Rimini, les Manfredi de Faënza, les Varanes de Camerin, les Riares d'Imola & de Forly, & les Montefeltres d'Urbin.

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Le Duc s'empara d'abord d'Imola : il mit enfuite le fiege devant Forli; mais c'en étoit fait des Borgia, fi le deffein d'un des fujets de Catherine Sforce, femme de Jerôme Riare, eût réuffi. Il avoit fuppofé des lettres de la Communauté de Forli au Pape, par lefquelles elle demandoit d'être reçue à capituler; il les avoit renfermées dans une canne creufe: elles étoient pénétrées d'un poifon fi fubtil, qu'il fuffifoit de les toucher pour en mourir peu d'heures après; mais le fecret fut éventé : cet homme hardi fe contenta de répondre au Pape, qu'il n'avoit eu d'autre deffein que de délivrer fa Souveraine, pour laquelle il donneroit mille vies, de la guerre que le Duc lui faifoit.

Pendant le fiege de Forli, le Cardinal de Borgia, coufin du Duc, vint le voir en paffant pour s'en retourner à Rome; il n'avoit jamais donné d'autre fujet à la haine du Duc, que d'avoir témoigné beaucoup d'amitié au Duc de Gandie. Le Duc de Valentinois parut flatté de fa vifite; le Cardinal fe mit en route le lendemain d'un fouper fplendide que le Duc de Valentinois lui donna. Il fe fentit incommodé à Urbin: il voulut vaincre fon

mal & revenir fur fes pas, pour féliciter fon coufin de la prife de Forli qu'il venoit d'apprendre; mais il mourut à Foffombrone du poison qu'on lui avoit donné dans le repas qu'il avoit fait avec le Duc.

Quiconque portoit ombrage au Duc, ou poffédoit des charges, des dignités ou des richeffes, étoit fa victime; il envoya du camp, des émiffaires à Rome, pour affaffiner dom Jean Cerigliano, Capitaine des Gendarmes de la garde de Sa Sainteté, qui ne pouvoit fouffrir les deffeins que le Duc formoit fur l'honneur de fa femme qui étoit de la maifon de Borgia : les affaffins gagés par le Duc lui abattirent la tête, après lui avoir donné un coup d'épée dans l'eftomac. Le Protonotaire de Viterbe fut attaqué en plein jour, & eut le bonheur de fe fauver du fer de fes bourreaux. Agnelli de Mantoue, Archevêque de Cofence, Clerc de la chambre & Vice-Légat de Viterbe, fut empoisonné par fes propres domeftiques, gagnés par les Borgia, auxquels le Prélat étoit devenu fufpect.

Ces affaffinats n'étoient pas les feules reffources qui fourniffoient aux frais de la guerre, & au luxe des Borgia. Alexandre refufoit non-feulement aux Cardinaux la permiffion de faire teftament, mais encore annulloit celles que fes prédéceffeurs avoient données, afin d'envahir les fucceffions. D'un autre côté, le dataire vendoit les bénéfices vacans; abus qui dégénéra à un tel excès, que les autres Souverains furent obligés de défendre cette fimonie dans leurs Etats, fous peine d'exil & de confifcation.

Le Duc de Valentinois eût été plus funefte à l'Italie que tous les barbares qui l'ont fi fouvent faccagée, fi l'inconftance des Milanois qui rappellerent leurs anciens Souverains, n'eût obligé Trivulce de retirer au Duc une partie de fes troupes. Se voyant obligé de fufpendre fes deffeins, il revint à Rome, où fon entrée eut l'air d'un triomphe; le fafte de fa marche furprit: ce fut à l'occafion de cette entrée, qu'il prit cette devife orgueilleuse : Aut Cæfar, aut nihil; Ou Céfar, ou rien. Quelques jours après, la charge de général, ou de gonfanonier de l'Eglife, lui fut conférée, & le Pape y joignit la rofe d'or.

Les troupes Françoises étoient dans l'inaction, après la conquête de Milan: le Pape & le Duc en demanderent au Roi, pour fuivre leurs entreprifes fur la Romagne; mais il falloit de l'argent : les reffources ordinaires des impofitions, des fucceffions envahies & procurées par des affaffinats & par le poison, de la vente des charges, de la fimonie & du fifc n'étant pas fuffifantes, ils eurent recours à d'autres moyens. Le Pape fulmina deux bulles, fous prétexte d'une guerre contre les Turcs. La premiere imposoit, pour trois années, un dixieme fur les revenus des Eccléfiaftiques, de quelque nature qu'ils fuffent. Par la feconde, les Juifs étoient chargés d'un vingtieme fur leurs biens pendant trois ans. Ces reflources furent encore infuffifantes; le luxe & les débauches du Duc entraînoient à plus de dépenfes que la guerre même. Il puifa dans le tréfor des indulgences, on les mit à prix d'argent, & on les accorda à tous les fideles d'Italie, qui, n'ayant point

été

été à Rome pendant le jubilé, paieroient le tiers de ce que le voyage leur auroit coûté. On fit femblant d'armer quantité de galeres, pour les envoyer aux Vénitiens; mais tout le zele dont on s'étoit paré, fe réduisit à un Ave Maria, qui fut ordonné dans toute la Chrétienté, établissement qui fubfifte encore.

Ces impôts odieux n'interrompirent point le cours des affaffinats. Les deux tyrans firent empoisonner Caëtan, qu'ils retenoient dans le château Saint-Ange. Pour ôter tout foupçon, ils lui firent des funérailles magnifiques; mais fa mere & fes fœurs qui étoient à fon convoi, l'ayant découvert hardiment, firent voir à leurs amis, & à toute la maifon du Cardinal Farnese, le malheur de leur famille, & la cruauté de leurs ennemis.

L'alliance des Borgia avec la France, leur rendoit infupportable celle du Roi de Naples. Dom Alphonfe d'Arragon, que Lucrece avoit réconcilié avec fon pere, fe livroit de bonne-foi à fà feinte amitié & à celle du Duc; un jour, après un combat de taureaux, où le Duc & le Prince avoient donné des preuves de leur adreffe, le Duc le conduifit fur un palier de l'efcalier de S. Pierre, fous prétexte d'avoir à lui parler à peine Alphonfe s'y fut-il rendu, qu'il fut environné & frappé par une foule de gens armés; les affaffins le croyant mort s'enfuirent, foutenus par quarante cavaliers. Le peuple accourut, & trouva Alphonfe refpirant encore; on le porta dans fon palais. Pour fe juftifier aux yeux du public, le Duc fit arrêter un oncle du Prince, qui n'étoit venu demeurer à Rome, que par amitié pour fon neveu; il le chargea du crime, & lui fit couper la tête. Le Prince recouvroit la fanté, & enlevoit au Duc le fruit de fon affaffinat; ce monftre le fit étrangler dans fon lit: il lui fit d'honorables funérailles, & fit emprifonner quelques chirurgiens & quelques médecins. Lucrece apprit fa mort avec chagrin, fit éclater fes plaintes & fe retira à Népi, jufqu'à ce que le temps qui confole de tout, eût calmé fes dou

leurs.

Il ne manquoit plus que de l'argent au Duc, pour rentrer dans la Romagne; le Pape réfolut, pour lui en procurer, de faire une promotion de douze Cardinaux; de fon côté, le Duc puifa dans les bourfes de fes amis avec ces fecours il continua les conquêtes que le retour des Sforces. avoit interrompues. Jean Sforce, l'ancien mari de Lucrece, lui abandonna Pezare. Pandolfe Malatesta le laiffa maître de Rimini. Aftore Manfredi, jeune-homme de dix-huit ans, défendoit Faënce, quoiqu'abandonné des Bentivoglio, des Florentins & des Vénitiens; il fut fi bien fecondé de fes fujets & de quelques foldats raffemblés à fes frais, que le Duc fut obligé de lever le fiege, quoiqu'il eût également employé la rufe & la force: furieux d'avoir échoué contre un enfant, il mit fes troupes en quartiers dans les villes voifines; & en attendant, il s'exerça à de nouveaux crimes. L'amour eft la foibleffe des grandes ames; quelquefois il s'y change en vertu fouvent il en eft la fource; mais dans les ames atroces, l'amour Tome IX.

R

n'eft qu'une paffion brutale; une phrénéfie funefte. Elifabeth de Gonzague, Ducheffe d'Urbin, envoyoit à Venife, avec une fuite honorable, une de fes Demoifelles, qui, à une grande naiffance, joignoit une plus grande beauté; elle alloit époufer Jean-Baptifte Carracciolo, colonel- général de l'infanterie Vénitienne. Le Duc de Valentinois vit Elifabeth, lorfqu'elle traverfoit la Romagne. Il fit partir de Cezena un détachement de cavalerie qui la lui amena, après avoir tué ou mis en fuite tous ceux qui l'accompagnoient. Un des fuyards apporta cette trifte nouvelle à Carracciolo. Cet époux pénétré jusques au fond du cœur, courut au palais ducal, où ayant trouvé le doge Barbarigo & le Confeil des dix, il leur dit qu'il alloit sacrifier à fa vengeance une vie qu'il avoit dévouée à la République; il leur expofa avec des traits de flamme ce qui venoit de lui arriver. Le doge & le confeil furent indignés; on effaya de l'appaifer on promit de le venger; on envoya le fecrétaire du confeil au Duc de Valentinois, pour lui faire des reproches de la part de la République, & pour réclamer Elifabeth: on écrivit au Pape qui ne fit aucune attention aux plaintes du Sénat. Céfar fe contenta de promettre de faire rechercher le coupable, nia qu'il le fût, & répondit à l'Ambassadeur de France, qui lui faifoit les plus vives remontrances, que pouvant avoir de bon gré les plus belles femmes, il n'étoit pas vraisemblable que pour en avoir une, que pour en avoir une, il eût voulu fe il eût voulu fe porter à une telle violence. Il jouoit ainfi le Sénat qui, ayant le Turc fur les bras, remit fa vengeance à un autre temps.

Le Duc de Valentinois, aux approches du printemps, recommença à battre Faenze, qui après une défenfe fuivie & obftinée, fut obligée de capituler, du confentement de Manfredi, à condition qu'on ne toucheroit aux biens ni aux perfonnes des habitans, & que Manfredi auroit la liberté de fe retirer où il voudroit. Le Duc exécuta le premier article; mais il retint Manfredi dont l'amour de fes fujets, les liaisons avec les Vénitiens la parenté des Bentivoglio, & fur-tout la beauté la plus parfaite de fon temps, cauferent la perte. Le Duc le fit conduire au château Saint-Ange; & quand il l'eut forcé à fervir à fes infames plaisirs, il le fit jetter dans le Tibre. On l'y trouva au bout d'un an, ayant une pierre au col, & près de lui deux jeunes gens attachés ensemble par la main, l'un de quinze & l'autre de vingt-cinq ans.

Le Duc qui avoit pris le titre de Duc de la Romagne, entreprit de chaffer les Bentivoglio de la ville de Bologne; mais n'en pouvant venir à bout à force ouverte, il trouva le moyen de leur fufciter des confpirations. afin de les exciter à faire périr les confpirateurs, & d'affoiblir ainfi leurs propres Etats: il fe lia avec ces Princes, en obtint deux mille fantaffins & deux cents hommes d'armes qu'il joignit à fept cents hommes d'armes & à cinq mille hommes de la meilleure infanterie de toute l'Italie ; & avec ces troupes il effaya de s'emparer de la Tofcane, & d'étendre fes Etats de l'une à l'autre mer. Il fit entendre aux Ambaffadeurs, que fon

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