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rume de porter à la main un bâton, au haut duquel il y a un petit oiseau de bois. Ces religieux, contre la coutume des gens de leur efpece, font extrêmement pauvres. Ils habitent dans de méchantes huttes fituées le plus fouvent auprès de quelques pagodes. Lorsque les dévots viennent faire leurs offrandes, ce font eux qui les préfentent aux idoles. Leur maniere de les préfenter confifte à fe profterner, & à brûler l'encens. Après cette cérémonie, le dévot leur donne un peu de riz, ou quelqu'autre chofe de peu de valeur c'eft à-peu-près leur unique revenu. Cependant on affure que, malgré leur pauvreté, ils font très-charitables, & trouvent encore les moyens de pourvoir à la fubfiftance des veuves & des orphelins, avec ce qu'ils épargnent de leurs aumônes. Ces religieux font en très grand nombre, quoique leur métier ne foit pas fort bon; & quelquefois ils fe multiplient à un tel point, que le Roi de Tonquin, pour s'en débarraffer, eft obligé d'en faire des foldats. Une des fonctions principales de ces Bonzes, & qui fembleroit devoir les enrichir, c'eft de faire les réparations néceffaires aux ponts, & d'établir fur les grands chemins des lieux où les voyageurs trouvent des rafraîchiffemens. On dit que ces religieux Tonquinois ne font point, comme dans les autres pays, condamnés au célibat, & qu'on leur accorde la liberté de fe marier.

Les Bonzes ne font point au Japon, comme en quelques autres pays, des aventuriers qui cachent la baffeffe de leur origine fous un habit refpectable. Ce font la plupart des cadets de famille, qui n'ayant pas affez de bien pour tenir dans le monde un état conforme à leur naissance, embraffent cette profeffion honorable & lucrative.

On doit diftinguer les Bonzes, ou prêtres du Royaume d'Ava, de cette foule de fcélérats hypocrites, qui, fous un nom refpecté, fe jouent impunément de la crédulité de tant de peuples. Ils font humains, charitables & compatiffans. Un de leurs principaux foins eft d'entretenir la paix & l'union parmi les citoyens; d'appaifer les querelles, & de réconcilier les ennemis. Leur humanité éclate principalement envers les étrangers qui ont le malheur de faire naufrage fur les côtes d'Ava. Par la loi du pays, ils doivent être efclaves du Roi; mais, par leur crédit, les Bonzes engagent les Gouverneurs à relâcher un peu la févérité de la loi. Ils emmenent ces malheureux étrangers dans leurs couvens; leur fourniffent des habits & des vivres; prennent foin d'eux, s'ils font malades, &, lorsqu'ils font en état de partir, ils leur donnent des lettres de recommandation, par le moyen defquelles ils font bien reçus dans le premier couvent qui fe rencontre fur feur route. Ainfi, de couvent en couvent, ces étrangers arrivent à un port où ils s'embarquent. Une conduite fi généreufe, dans des Prêtres idolâtres, eft un bel exemple pour tant de Prêtres & de Moines qui, dans une religion dont la charité eft la base, ne font pas plus charitables que le rat hermite, dont parle la Fontaine dans une de fes fables, qu'il termine par ce vers :

Je fuppofe qu'un Moine eft toujours charitable,

BONZY, (le Cardinal de) Ambassadeur en plufieurs Cours de l'Europe.

LE Cardinal de Bonzy ceffa d'être Ambaffadeur dans un âge, où les

autres commencent à l'être, & fit voir qu'il étoit capable de cet éminent emploi avant que d'y entrer. Venife, l'école ordinaire des nouveaux Ambaffadeurs, lui fervit de théâtre; il y fit paroître fes incomparables qualités. La Cour de Madrid, qui eft fort réfervée à donner fon eftime aux étrangers, ne put la lui refufer; elle admira fon éloquence, fon jugement, fon efprit & fa conduite. Mais toutes ces grandes qualités brillerent avec bien plus d'éclat dans fon Ambaffade de Pologne, où il fallut combattre & vaincre des difficultés infurmontables. Jamais Miniftre ne négocia avec plus de facilité & avec plus de fuccès, & jamais Ambaffadeur ne laiffa fon maître plus fatisfait de fa maniere d'agir. Auffi fervoit-il un Prince, qui ne fe connoiffoit pas feulement en hommes, mais qui favoit auffi parfaitement récompenfer leurs fervices, & qui n'en pouvoit pas donner une plus illuftre marque, qu'en obtenant pour lui la pourpre, qui lui donna rang immédiatement après les Princes du fang, devant tous les autres Princes & Seigneurs du Royaume, & lui acquit dans le confeil, dans le confiftoire & dans le conclave, autant de réputation, qu'il en a acquis & laiffé dans les Cours étrangeres.

BORCK, (Gafpard Guillaume de) Ambaffadeur de Pruffe en plufieurs Cours de l'Europe, puis Miniftre des Affaires étrangeres.

BORCK

ORCK, un des plus habiles Miniftres politiques que la Pruffe ait eu, naquit à Gerfdorff, le 30 Août 1704, paffa du College dans le Ministere fut employé dans diverfes Négociations à la Cour de Drefde, à celle de Brunswick, en Angleterre, à Vienne, & de retour à Berlin, il fut fait Miniftre des Affaires étrangeres : il avoit une parfaite connoiffance des intérêts de toutes les Puiffances, & une imagination féconde en expédiens dans les circonftances même les plus critiques. Les heures qu'il donnoit aux mufes ont valu à fa Nation des traductions eftimées de la Pharfale de Lucain, & de quelques pieces du Théâtre Anglois. Il avoit étudié l'Hiftoire moderne en miniftre, & l'Hiftoire ancienne en favant. Il fut un des quatre premiers curateurs de l'Académie Royale de Pruffe, & mourut au commencement de Mars 1747. La famille de Borck, une des plus anciennes d'Allemagne, étoit établie en Poméranie dès le cinquieme fiecle, & défendit pendant plus de 600 ans cette Province contre les Venedes.

LES

BORGIA, (Céfar de) Duc de Valentinois.

ES plus grands vices & les plus belles qualités; les crimes les plus atroces, & les faits les plus héroïques; le caractere le plus odieux, & l'efprit le plus vafte; tels font les traits qui caractérisent Céfar de Borgia. Il eut pour pere le Cardinal Rodriguez Lenzolio, plus connu dans l'hiftoire des grands fcélérats, fous le nom d'Alexandre VI, & pour mere, la célébre Vanoza, qui joignit à la naiffance la plus obfcure, un cœur le plus corrompu, à l'efprit le plus intriguant, aux mœurs les plus dépravées, la beauté la plus féduifante, & la fauffeté la plus dangereufe. Elle eut cinq enfans de Lenzolio; le Duc de Gandie, Célar, François que l'Eglife a mis au rang des Saints, Geoffroi & Lucrece.

La Maison de Borgia étoit une des plus illuftres d'Espagne. Lenzolio obtint du Pape Califte III, fon oncle, le droit exclufif de porter les armes & le nom de Borgia. Les foins du miniftere n'empêchoient point le Cardinal-neveu de se livrer à la débauche que Vanoza partageoit avec lui. Quand le cœur de Céfar n'eût pas été naturellement porté à la dépravation, l'exemple des vices de fes parens devoit néceffairement le pervertir.

Au fortir de l'enfance, il fut deftiné à l'état Eccléfiaftique; fon pere obtint pour lui l'Archevêché de Pampelune, & l'envoya achever fes études à l'université de Pife, la plus célébre alors de toute l'Italie : il s'y diftingua; mais fon humeur guerriere fe déceloit dans tous fes exercices.

II y étudioit encore, lorfque la mort d'Innocent VIII laiffa le fiege vacant. Le facré College n'étoit alors compofé que de vingt-fept Cardinaux. Il en entra vingt-trois au conclave; & Lenzolio, qui gagna les uns par fes careffes, qui féduifit les autres par fon hypocrifie, qui en corrompit une partie par fes libéralités, réunit tous les fuffrages, fut élu, quoique jeune, & prit le nom d'Alexandre VI.

A la premiere nouvelle de l'élévation de fon pere, Céfar fe livrant aux vues les plus ambitieufes, fe rendit au Vatican, où le Pape le reçut, avec fes autres enfans, au milieu des Cardinaux. Céfar fe profterna à fes genoux; mais Alexandre, loin de flatter fon ambition, l'exhorta de ne point former de trop vaftes projets, & lui fit entendre, ainfi qu'à fes freres, qu'il n'avoit épuilé tous les moyens humains pour parvenir au Saint Siege, qu'afin de faire oublier par fa conduite, fes fautes paffées; que le feul obftacle qu'il craignoit, étoit de s'occuper trop des intérêts de fa famille; qu'il trembloit pour l'ame de Califte, fon oncle, qui avoit trop fait pour la fienne: il leur rappella les bienfaits dont il avoit comblé la Maifon de Borgia, au préjudice des pauvres; qu'il avoit accumulé fur la tête de fon neveu le Duché de Spolette, & d'autres domaines démembrés de l'Etat Eccléfiaftique; qu'il avoit commis à fa foibleffe le généralat de l'Eglife, la vice

Chancellerie, la Préfecture de Rome; qu'il avoit élevé, par la follicitation de fon neveu, aux dignités fuprêmes, des gens qui ne le méritoient pas; qu'il avoit entrepris une guerre, qui pouvoit devenir funefte au Saint Siege, dans le deffein de dépouiller le Roi d'Arragon du Royaume de Naples en faveur de fa maifon il fit remarquer la juftice des jugemens de Dieu qui, malgré les foins de Califte pour la fortune des Borgia, n'avoit pu les garantir de la vengeance de la Nobleffe Romaine. Il termina fon difcours, en affurant à fes enfans, qu'ils ne devoient compter fur ses secours, qu'autant qu'ils fuivroient la route qu'il leur traceroit; mais qu'ils ne devoient pas croire que fon amour pour eux le rendit le miniftre de leurs paffions.

Après ce difcours hypocrite, il donna fa bénédiction à Céfar, qui courut dépofer dans le fein de fa mere, le chagrin dont il étoit dévoré; elle le raffura par la connoiffance qu'elle avoit d'Alexandre, & par les careffes qu'elle lui prodigua. Le Pape, qui ne le trouvoit pas encore digne du chapeau, fe contenta de lui donner l'Archevêché de Valence, & quelques dignités Eccléfiaftiques; mais Céfar fut moins touché de fes bienfaits, que jaloux des honneurs féculiers dont Jean, Duc de Gandie, fon frere aîné, fut comblé. Malgré le défintéreffement que S. S. avoit d'abord marqué pour fa famille, elle promut Céfar au cardinalat, la feconde année de fon pontificat; & craignant que le défaut de fa naissance ne fût un obstacle, Alexandre féduifit des témoins qui dépoferent que Céfar étoit fils de Dominique Aramano, mari de Vanoza.

Lorfque Céfar, qu'on appelloit le Cardinal de Valence, commençoit à voir fes efpérances fe réalifer, & qu'il formoit les plans les plus vastes, il fe vit arrêté, pour un temps, par un nouvel ordre de chofes. Charles VIII, Roi de France, excité par les follicitations de Ludovic le More, Duc de Milan, & par Alexandre même, méditoit la conquête du Royaume de Naples fur lequel l'adoption que Jeanne avoit faite de Louis, Duc d'Anjou, fils du Roi Jean, lui donnoit de grandes prétentions. Alexandre avoit engagé Charles dans cette guerre, afin de forcer le Roi de Naples d'avoir recours à S. S. ce qui arriva. Alphonfe implora fa protection; le Pape la lui promit; & le Roi de Naples confentit au mariage de Dona Sancha fa fille naturelle, avec dom Geoffroi; pourvut le Duc de Gandie d'une terre de douze mille ducats de revenu; lui promit les premieres charges qui vaqueroient dans les fept principales villes du Royaume, & au Cardinal de Valence les plus riches bénéfices de fes Etats.

L'approche de Charles remplit de crainte Alexandre & fon fils; mais leur effroi redoubla, lorsque les Colonnes s'étant déclarés pour le Roi de France, à fon entrée en Italie, enleverent au Pape la Roche-d'Oftie. Alexandre & Céfar délibérerent d'envoyer vers Charles, Afcagne Sforce malgré la haine qui les divifoit, pour négocier un accommodement. Le Roi ne voulut écouter aucune propofition en faveur d'Alphonfe ni du Pape;

mais pour raffurer Alexandre & le Cardinal de Valence, il déclara que fon premier objet étoit de combattre les Turcs, & de retirer de leurs mains la Terre-Sainte & les autres pays qu'ils avoient envahis; que, comme le Royaume de Naples lui appartenoit par droit de fucceffion; comme d'ailleurs quelques places de ce Royaume pouvoient faciliter l'entrée & la fortie des terres des Infideles, il prétendoit s'en mettre en poffeffion; le chemin de Naples étant plus court & plus aifé, en paffant par Rome & par quelques villes de l'Etat Eccléfiaftique : il exhortoit Alexandre, le facré college des Cardinaux de lui donner le libre paffage & les vivres en payant; mais que fi l'on lui refufoit l'un ou l'autre, il effaieroit de le prendre de vive force.

Alexandre, Céfar & le Duc de Gandie rejetterent cette demande; mais l'Italie plioit; les Cardinaux de la Rouere, Afcagne, Savello & Colonne, les premiers du facré College, par la naiffance, le crédit & les richeffes, étoient auprès de Charles. Le Pape appella dans Rome les troupes qu'il avoit levées pour le fervice d'Alphonfe, fit diftribuer aux Romains "des armes & de l'argent, & dépêcha le Cardinal de Montréal vers Alphonfe, pour faire venir avec fon armée, dom Ferdinand d'Arragon, fon fils; après quoi, il fit arrêter prifonniers les Cardinaux Afcagne, Saint-Sévérin & Lunat, Profper Colonne, & Jérôme Touteville, qui étoient du parti du Roi. Ce premier pas excita fon audace; il fit arrêter avec scandale par fes troupes, les Ambaffadeurs François, le jour que Ferdinand entra dans Rome; mais il leur rendit la liberté le lendemain, en leur ordonnant d'annoncer au Roi fon refus pour les vivres & pour le paffage dans fes Etats.

Cependant, lorfque les François entrerent dans l'Etat Eccléfiaftique, Alexandre reprit les voies d'accommodement auprès de Charles, qu'il chercha encore à tromper, en confommant le temps en négociations. Enfin ne pouvant rien obtenir, & voyant qu'il lui étoit impoffible de fe défendre, il confentit aux demandes de Charles, & congédia dom Ferdinand à qui il offrit un fauf-conduit. Le jeune Prince indigné de cette offre, lui répondit fiérement en montrant fon épée, que ceux de la maifon d'Arragon n'en recevoient jamais d'autre que celui qu'ils portoient.

Le Roi Charles fit fon entrée dans Rome, le dernier jour de l'année 1494; elle fe fit à la clarté des illuminations de toutes les rues, qui retentiffoient des noms de France, de Colonne & de la Rouere. Le Pape lui envoya un maître de cérémonies, qui, pendant la marche, ne ceffa de parler au: Roi de la maniere dont il devoit fe comporter avec fa Sainteté; mais le Roi qui n'y faifoit aucune attention, fe contenta de lui marquer beaucoup de curiofité fur l'état où se trouvoit le Pape, & fur-tout fur le caractere & les projets du Cardinal de Valence.:

Ce Prélat lui rendit fes devoirs, & employa toute fon éloquence, pour Lui perfuader que le Pape ne s'étoit lié avec les ennemis de S. M. qu'à

caufe

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