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ger à la bataille d'Actium, je ne me fuis pas repofé fur un autre du » foin de vous fecourir. J'ai combattu moi-même je vous ai défendu au péril de ma vie; en voici les preuves" ajouta-t-il, en découvrant fa poitrine. En effet, une foule de glorieufes cicatrices parloient en fa faveur, Augufte rougit, & prit en main lui-même la défense de ce guerrier.

20. La Force & d'Aubigné, Seigneurs de la Cour de Henri IV, étoient couchés ensemble, près du lit de ce Prince. D'Aubigné, croyant le Monarque endormi, fe mit à fe plaindre, en l'accufant d'ingratitude, & difant à diverfes reprises à la Force qui fommeilloit: » notre maître eft le plus » vilain & le plus ingrat qui foit fur la face de la terre. " A ces mots, l'autre, accablé de fommeil, ne répondoit que par ceux-ci : » Que dis-tu, > d'Aubigné?" Le Roi qui ne dormoit pas & qui écoutoit ce dialogue, cria tout haut: » La Force, écoutes fi tu veux. N'entends-tu pas ce que » dit d'Aubigné, que je fuis le plus ingrat & le plus vilain du monde?" Dans la fuite, il n'en parla jamais ni à l'un ni à l'autre ; & ce fut toute la vengeance qu'il tira de cette injure.

Affamé du travail de la chaffe, ce Prince entra dans une hôtellerie fur un grand chemin, & fe mit à table avec quelques marchands. Après avoir diné, on parla de fa conversion; fon habit fimple l'avoit empêché d'être reconnu. Un marchand de cochons eut la hardieffe de dire» Oh! ne » parlons point de cela; croyez-moi; la caque fent toujours le hareng. Un inftant après, le Roi, s'étant mis à la fenêtre, vit arriver quelques Seigneurs, qui le cherchoient, & qui, l'ayant apperçu, monterent auffi-tôt à la chambre. Le marchand, voyant qu'ils l'appelloient Sire & Votre Majefté, fut extrêmement furpris, & eut donné tout fon bien pour n'avoir point lâché fon indifcrete parole. Henri IV, en fortant, lui frappa fur l'épaule, & lui dit : » Bon homme, la caque fent toujours le hareng; » mais c'est à votre égard, & non au mien. Je fuis, Dieu merci, bon » catholique; mais vous gardez encore du vieux levain de la ligue. " On lui parloit d'un Officier qui avoit été de la ligue, & qui étoit fort brave; & on lui difoit que, quoique Sa Majefté lui eut pardonné, il ne l'aimoit pourtant pas : » Je veux, dit-il, lui faire tant de bien, que je le » forcerai de m'aimer, malgré lui. "

21. Un Officier Général, homme un peu brufque, & qui n'avoit pas adouci fon caractere dans la cour même de Louis XIV, avoit perdu un bras dans une action, & fe plaignoit à ce Monarque qui l'avoit cependant récompenfé, autant qu'on le peut faire pour un bras caffé: » Je vou>> drois avoir auffi perdu l'autre, dit-il, & ne plus fervir Votre Majefté... » J'en ferois bien faché pour vous & pour moi, "lui répondit le Prince; & ce difcours, plein de bonté, fut fuivi d'une grace qu'il lui accorda fur le champ.

Bontemps, fon premier valet de chambre, lui demandoit quelque grace pour un de fes amis: » Quand cefferez-vous de me demander?" lui dit

le Roi. Bontemps fut étourdi du reproche: Louis s'en apperçut; & dans l'inftant même, il ajouta, en fouriant:» Et de demander pour les autres; » jamais pour vous? la grace dont il s'agit en faveur d'un de vos amis je vous l'accorde pour votre fils.

Le Duc de Vendôme avoit toujours avec lui Villiers, un de ces hommes de plaifirs, qui ie font un mérite d'une liberté cynique. Il le logeoit à Versailles dans fon appartement. On l'appelloit ordinairement VilliersVendôme. Cet homme condamnoit hautement tous les goûts de Louis XIV, en musique, en peinture, en architecture, en jardins. Le Roi plantoit-il un bosquet? meubloit-il un appartement? conftruifoit-il une fontaine ? Villiers trouvoit tout mal entendu, & s'exprimoit en termes peu mesurés. » Il est étrange, dit le Monarque, que Villiers ait choisi ma maison pour » venir s'y moquer de tout ce que je fais! L'ayant, un jour, rencontré dans des jardins » Eh bien! lui dit-il, en lui montrant un de fes nou» veaux ouvrages, cela n'a donc pas le bonheur de vous plaire ?... Non, répondit Villiers... Cependant, reprit le Roi, il y a bien des gens qui » n'en font pas fi mécontens... Cela peut être, repartit Villiers, chacun » a fon avis... On ne peut pas plaire à tout le monde," répondit, en riant, Louis XIV.

On lui rapporta qu'on avoit volé dans la chapelle du château de SaintGermain-en-Laye, une lampe d'argent. Il promit une grande récompense à celui qui découvriroit le voleur. Un des premiers Seigneurs de fa cour fe préfenta à lui, & dit que c'étoit fon pere qui, fe trouvant dans la plus affreuse néceffité, avoit commis ce facrilege.» Fort-bien, lui dit le Roi je vous entends, allez; je le punirai, de maniere qu'il ne volera plus." Il lui affigna fur le champ une penfion confidérable.

ON

BONZES, Prêtres Chinois.

N eft étonné des ravages que fait la fuperftition, même fous des Gouvernemens très-fages d'ailleurs; & l'on ne fauroit mettre trop fouvent fous les yeux de l'Homme d'Etat, le tableau défolant des fourberies & des impostures de ces hommes qui, obligés par état de conferver la Religion dans fa pureté, la corrompent par intérêt.

Les Bonzes de la fecte du dieu Fo ne font ni moins fourbes ni moins fcélérats que les autres prêtres idolâtres. Le même efprit d'intérêt anime tous ces Miniftres de la fuperftition, qui plus à portée que les autres de voir le ridicule de leur Religion, s'en fervent comme d'un voile respectable pour couvrir leurs débauches & leur avarice, & fe jouent impunément de la crédulité des peuples. Les Bonzes Chinois ne ceffent de prêcher qu'il y a dans l'autre vie des récompenfes réfervées pour les bons, & des pei

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nes deftinées aux méchans; mais ils corrompent cette doctrine très-faine en elle-même, en faisant accroire aux fimples que, pour mériter les récompenfes de l'autre vie, il n'eft pas abfolument néceffaire d'être vertueux, ni de contraindre fes inclinations; mais qu'il fuffit de leur faire du bien de leur bâtir des monafteres & de leur faire de copieufes aumônes, parce qu'alors ils tranfportent à leurs bienfaiteurs tous les mérites de leurs prieres, de leurs jeûnes & de leurs auftérités. Cette doctrine eft extrêmement commode pour les riches qui achetent avec leur argent la liberté de se livrer au vice impunément, &, en même-temps, très-avantageufe aux Bonzes qui, par ce moyen, s'enrichiffent aifément, &, par des débauches fecretes, fe dédommagent amplement des auftérités, qu'ils pratiquent en public. Si quelque riche avare veut garder fon argent, & faire fes bonnes œuvres par lui-même, ces impofteurs lui font entendre que tout ce qu'il peut faire fera inutile, & que le Dieu Fo ne manquera pas de punir fécrétement fa dureté envers les prêtres. Ils font fur-tout un merveilleux usage de la doctrine de la métempfycofe, pour épouvanter ceux qui refufent de leur faire du bien. Ils les menacent des plus défagréables tranfmigrations. Ils leur annoncent qu'ils pafferont, après leur mort, dans le corps d'un rat, d'une fouris, d'un ferpent, ou de quelqu'autre animal. Le P. le Comte rapporte qu'ils avoient fait accroire à un bon vieillard qu'il deviendroit après fa mort, cheval de pofte de l'Empereur. Ce pauvre homme étoit fi tourmenté de ce funefte avenir, qu'il en avoit abfolument perdu le repos. Ayant appris que les Chrétiens n'étoient point fujets à la métempfycofe, il réfolut, pour fe délivrer d'inquiétude, d'embraffer la Religion Chrétienne. Quelle que fut fa répugnance, il alla trouver le P. le Comte & lui dit naïvement qu'il aimoit encore mieux être Chrétien que cheval de pofte. Les Bonzes font accroire aux riches, (car un des avantages des pauvres de n'être point trompés) ils font, dis-je, accroire aux riches que les ames de leurs parens font paffées dans le corps de quelque vil animal, le rebut des hommes, où elles fouffrent mille maux. Ils s'offrent de les foulager par leurs prieres, & de leur procurer un état plus doux. Les Chinois, dont le refpect pour les morts eft extrême, croiroient faire un crime, s'ils refufoient de donner de l'argent aux Bonzes pour délivrer leurs parens. Le P. le Comte nous fournit encore un autre exemple de la fourberie de ces prêtres. Un jeune homme tendrement aimé d'un Prince du fang, étant venu à mourir, le Prince, fenfiblement touché de cette perte, demanda aux Bonzes s'ils favoient en quel corps l'ame de fon favori étoit paffée. Ces impofteurs lui perfuaderent qu'elle étoit paffée dans le corps d'un jeune Tartare, & s'offrirent de le lui faire avoir, au moyen d'une fomme d'argent confidérable. Le Prince, charmé de cette heureuse aventure, ne se fit pas prier pour donner aux Bonzes tout ce qu'ils voulurent. Quelque temps après, ils lui amenerent un enfant que le Prince crédule reçut avec autant de joie que fi c'eût été son favori. On trouve dans le même auteur quelTome IX. P

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ques autrès faits, qui prouvent non-feulement la fourberie, mais la méchanceté & la cruauté de ces prêtres. Ils faififfent, dit ce pere, des hommes & des femmes qu'ils enferment, pieds & mains liés, dans une machine au-deffus de laquelle on n'apperçoit que leur tête dans cet état, ils les conduisent au bord d'une riviere, & les précipitent au fond de l'eau, fans que perfonne fe mette en dévoir de s'oppofer à cet attentat. Ils font entendre aux fpectateurs que ceux qui font ainfi noyés de leurs mains, jouiffent, après leur mort, d'un état très-heureux, & que les perfonnes, qu'ils viennent de jetter dans l'eau, leur avoient demandé inftamment cette faveur. Les Bonzes perfuadent encore au peuple de brûler des papiers dorés, des étoffes de foie, affurant que, dans l'autre monde, tout cela sera transformé en or, en argent & en habits véritables, dont leurs parens morts profiteront. On voit quelques-uns de ces impofteurs aller par les rues, traînant avec fracas de groffes chaînes d'une longueur énorme. Ils s'arrêtent à chaque porte, & crient d'un ton lamentable: » Voyez combien nous fouf»frons pour expier vos péchés ! « D'autres fe frappent rudement la tête contre des cailloux, dans les places publiques, & fur les grands chemins. Quelques-uns ont fur la tête du feu dans lequel brûlent quelques drogues propres à lui donner de l'activité. On en voir à qui l'on a formé exprès la tête en pointe, dans leur enfance, pour les faire remarquer des paffans. Ils ont un grand chapelet, pendu au col, & fe tiennent fur le bord des chemins. Il y a plufieurs de ces religieux mendians, qui font revêtus d'un habit fait de pieces de différentes couleurs, femblable à celui de nos arlequins. Leur tête eft couverte d'un énorme chapeau, qui reffemble à un parafol. Ils font affis le long des chemins, les jambes croifées, & avertisfent les paffans de leur donner la charité, par le fon d'une cloche qu'ils frappent avec un bâton. » Je rencontrai un jour, dit le P. le Comte que » nous avons déjà cité, au milieu d'un village, un jeune Bonze de bon » air, doux, modefte & tout propre à demander l'aumône & à l'obtenir. » Il étoit debout, dans une chaife bien fermée, & hériffée dedans de lon»gues pointes de clous fort preffés les uns auprès des autres, de maniere > qu'il ne lui étoit pas permis de s'appuyer fans fe bleffer. Deux hom» mes gagés le portoient fort lentement dans les maifons, où il prioit les » gens d'avoir compaflion de lui: Je me fuis difoit-il, enfermé dans » cette chaife, pour le bien de vos ames, réfolu de n'en fortir jamais, jufqu'à ce que l'on ait acheté tous ces clous (il y en avoit plus de » deux mille), chaque clou vaut dix fols; mais il n'y en a aucun qui ne foit une fource de bénédictions dans vos maisons. « Il y a des pénitens qui ont paffé des mois entiers dans de pareilles cages; apparemment qu'on ne fe preffoit pas d'acheter leurs clous. Quelques-uns de ces charlatans s'enfoncent dans les joues des alênes d'outre-en-outre, menaçant, d'un ton pathétique, tous les paffans de fe martyriser ainfi jusqu'à mourir, s'ils s'obstinent à ne leur rien donner. On peut mettre au rang de ces moines men

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dians, quelques charlatans vagabonds, qui, pour en impofer au peuple, vont de ville en ville, montés fur des tigres qu'ils ont apprivoilés, fans avoir ni chaînes ni mufelieres pour les retenir. Ils font ordinairement fuivis d'une troupe de gueux dévots, qui par pénitence, fe heurtent les uns les autres, comme des béliers, & fe donnent de grands coups de tête. Il y a auffi à la Chine des Bonzes de la fecte de Laokun: ils font tagés en quatre ordres, qui ne font diftingués que par la couleur des habillemens. Les uns font vêtus de noir, avec un grand chapelet pendu à la ceinture; ce qui leur donne quelque reffemblance avec quelques-uns de nos religieux Européens. Les autres couleurs font le blanc, le jaune & le rouge. Ils ont pour fupérieurs un Général & des Provinciaux. Ils vivent dans des couvens entretenus par la libéralité du Prince & la charité des peuples. Ils font vœu de chafteté; mais ils ne l'obfervent guere. Si cependant on les furprend avec une femme, leur incontinence eft rigoureusement punie. On perce avec un fer chaud le col du malheureux moine on paffe dans l'ouverture une chaîne très-longue; &, dans ce trifte équipage, on le conduit tout nud dans les rues de la ville. On continue cet exercice, jufqu'à ce que le coupable ait reçu de la charité publique une fomme d'argent confidérable, dont le couvent profite. Il n'eft pas permis à un patient de fou tenir la chaîne avec la main pour, en diminuer le poids : il eft fuivi d'un autre moine, armé d'un fouet, qui ne lui laiffe jamais prendre ce léger foulagement. Tous ces religieux fortent rarement feuls; c'est l'usage, chez eux comme chez plufieurs moines d'Europe, d'aller toujours deux à deux. La fonction particuliere des Bonzes de la fecte de Laokun eft de prédire l'avenir, d'exorcifer les démons, & de chercher la pierre philofophale. Celle des Bonzes de la fecte de Fo eft de préfider aux cérémonies funebres. Parmi ces religieux & ces gueux pénitens, il y en a quelques-uns qui affectent une austérité plus grande, & fe retirent dans le creux des rochers, où ils vivent comme des hermites. Le peuple, qui ne juge que par l'extérieur les regarde comme de grands faints; &, grace à la pieufe crédulité des Chinois, ces impofteurs ne manquent de rien dans leur folitude: on a foin de leur porter des vivres & des aumônes en abondance.

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Les Bonzes Chinois laiffent croître leurs cheveux, & ne fe rafent jamais. Ils fe vantent de pouvoir faire tomber la pluie, quand il leur plaît; mais cette vanité leur coûte quelquefois bien cher. Lorfqu'un Bonze promet de faire pleuvoir, fi, dans l'efpace de fix jours, il n'accomplit pas fa promeffe, on lui donne la baftonnade comme à un fourbe.

Les Bonzes du Tonquin portent un bonnet rond, de la hauteur de trois pouces, derriere lequel pendun morceau de la même étoffe, & de la même couleur, qui leur defcend jufques fur les épaules. Quelques-uns fort revêtus d'un pourpoint fur lequel font attachés plufieurs grains de verre de différentes couleurs. Ils ont le col environné, d'une espece de collier qui reffemble à un chapelet, & qui eft compofé de cent grains. Ils ont cou

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