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même de se servir du bâton, les plaideurs entourés de leurs parents et amis, de leurs cojurateurs qui font retentir leurs serments opposés. Le juge, qui a commencé sa journée par invoquer à l'église l'assistance divine, s'entoure d'assesseurs bien choisis; il doit veiller à ce que ni le portier, ni les assesseurs, ni lui-même ne soient séduits par les promesses ni les présents des accusés ou des plaideurs, car il est poursuivi jusqu'à son foyer par des tentatives de corruption. Il ne proteste pas seulement contre la vénalité de la justice, mais aussi contre la procédure par serment usitée en droit germanique et surtout contre la rigueur des pénalités. Il veut qu'on évite non seulement les supplices et la torture, mais même l'application de la peine de mort.

Enfin il termine son poème par les plus nobles exhortations à la mansuétude envers les pauvres, les faibles et les esclaves; puis il rappelle aux riches et aux puissants que tous les hommes sont égaux par l'origine, par le péché, par la rédemption. D'un bout à l'autre ce poème est un éclatant témoignage des services rendus dans ces temps si troublés par l'institution des Missi dominici et de l'influence bienfaisante exercée par l'Eglise sur le gouvernement carolingien. Remercions les historiens contemporains et l'école qu'ils ont glorieusement fondée de rappeler ces services à la justice, tardive mais sûre, de l'incorruptible avenir.

« De l'administration locale en France et à l'étranger », tel est le titre d'un travail que vous a lu M. Maurice Bourguin, l'un de nos correspondants, professeur agrégé à la Faculté des lettres de Douai. Quelles doivent être les limites du rôle de l'Etat dans la société ? C'est là, vous a dit notre confrère, une question très large, très controversée, et à laquelle se rattache le problème spé

cial de la décentralisation administrative, de l'indépendance plus ou moins grande à donner aux populations dans la gestion de leurs intérêts locaux. La décentralisation sans doute a l'avantage de développer partout l'esprit d'initiative, le goût des affaires publiques, le sentiment de la responsabilité personnelle; aussi la considère-t-on comme la condition et comme l'école de la liberté politique. Le gouvernement central, moins chargé, est aussi moins responsable et par conséquent moins exposé aux révolutions. Mais en revanche si la décentralisation est poussée trop loin, elle favorise les petites tyrannies des pouvoirs locaux, permet le gaspillage des finances locales et compromet l'unité nationale.

En France, poursuit M. Bourguin, c'est la royauté qui a créé la centralisation administrative en même temps. que le pouvoir absolu. Le système, développé sous la République, a atteint son apogée dans l'organisation administrative du Consulat et du premier Empire; mais depuis la révolution de 1830 nous avons toujours marché, par étapes successives, mais non sans soubresauts, dans la voie de la décentralisation.

Les traits qui, suivant notre confrère, caractérisent l'organisation actuelle de notre administration locale, sont: 1° distinction entre les conseils élus au suffrage universel (conseils généraux et conseils municipaux) chargés de prendre des décisions et de donner des avis, et les agents uniques qui préparent ces décisions et pourvoient à leur exécution, les uns (les préfets) nommés par le gouvernement, les autres (les maires) élus par les conseils municipaux; 2° double qualité chez ces agents. administratifs, d'agents du pouvoir central et de représentants du département et de la commune, chargés à la fois de l'administration des intérêts généraux (armée,

impôts généraux, police, etc.) et des intérêts locaux; 3o indépendance des conseils électifs qui statuent souverainement sur la plupart des affaires d'intérêt local.

Chez les Anglais, le système de la seff-administration fut toujours en vigueur. L'administration locale a été longtemps concentréè tout entière entre les mains de l'aristocratie territoriale, des juges de paix nommés à vie par le gouvernement et indépendants du pouvoir central. Mais depuis quelque temps, vous a dit M. Bourguin, une double tendance se manifeste dans leur législation d'une part, on a institué un bon nombre de commissions locales électives pour l'administration de services spéciaux, et l'on a étendu leurs attributions au détriment des juges de paix; d'autre part, on tend à centraliser en donnant au pouvoir central une plus grande influence sur ces administrations.

Dans la plupart des Etats du continent, on trouve pour la province et la commune, à côté du conseil électif, un comité permanent pris dans son sein et élu par lui qui est le véritable agent d'exécution. Dans la commune les attributions exécutives du comité s'appliquent à la fois aux intérêts généraux et aux intérêts purement municipaux; mais dans la province elles se restreignent aux affaires locales, les intérêts généraux se trouvant confiés à l'agent du pouvoir central, préfet ou gouverneur. La tutelle administrative, généralement restreinte, appartient au gouvernement sur la province, à l'agent du pouvoir central ou au comité permanent de la province sur la commune.

En France, vous a dit M. Bourguin en terminant, nous n'avons point d'institution analogue, car notre commission départementale, qu'on pourrait être tenté de comparer au comité permanent de la province à l'étranger,

n'est pas un comité exécutif. Certains publicistes, frappés du caractère exceptionnel que présente notre système d'administration locale au milieu des institutions des autres pays, reprochent à ce système d'être boiteux comme étant le résultat des dégradations successives d'un régime de centralisation exagérée. Ils voudraient séparer complètement la sphère des intérêts généraux de celle des intérêts locaux, et pour ces derniers, confier l'exécution des décisions des conseils à des comités permanents élus par eux. Mais cette séparation absolue ne serait-elle pas bien difficile pour certaines affaires, telles que l'assistance publique, la voirie, l'instruction publique qui n'ont pas un caractère tranché dans un sens ou dans l'autre? Le système même de conseils exécutifs a été expérimenté chez nous sous la Révolution, et l'expérience n'en a pas été heureuse, d'où l'on a conclu que, si délibérer est le fait de plusieurs, agir est le fait d'un seul. Enfin nos traditions, nos mœurs, notre constitution politique et sociale nous éloignent d'une décentralisation très prononcée; c'est surtout pour le département, création artificielle du législateur, ne correspondant pas à une communauté véritable d'intérêts et de traditions, qu'une décentralisation plus grande serait difficile et parfois dangereuse à réaliser.

<< Du mouvement communal dans l'Oise au XII° siècle », tel est le titre d'un savant mémoire que nous a lu M. Couard-Luys, l'un de nos correspondants; mémoire que je ne prétends pas analyser, mais dont je citerai le début et la conclusion. « Esquisser à grands traits les péripéties du mouvement communal dans l'Oise, vous a dit l'auteur, n'est pas s'enfermer dans le domaine de l'histoire locale. L'historien qui ne chercherait pas dans quelles conditions furent obtenues et quels résultats pro

duisirent les chartes communales de Beauvais, de Noyon, de Compiègne, de Senlis et de Clermont serait forcément incomplet ». Cette tâche, notre confrère se l'est imposée, et voici dans quels termes il a pu formuler sa conclusion: « Les grandes communes sont constituées

dans l'Oise au XIIe siècle ; leurs milices figureront avec « honneur à Bouvines en 1214, et tous les bourgeois << mériteront qu'on leur applique ces paroles adressées « par Louis XI à ceux de Beauvais qu'il appelle : « Nos « très chers et bien aimés les maires, les pairs, bour«geois, manants et habitants de la ville de Beauvais qui « n'ont cessé de montrer par effect la très grande loyauté qu'ils ont toujours eue et ont envers nos pré« décesseurs, nous et la couronne de France. >>

"

La France a perdu Augustin Thierry, mais l'âme de l'historien lui survit et demeure incarnée dans notre Ecole des chartes.

M. Thénard vous a retracé, avec de très grands détails, le tableau d'une session des Etats du Languedoc en 1649. Cette session, convoquée pour 1648, avait dû être ajournée à cause des troubles de la première Fronde. Parmi les Etats provinciaux de l'ancien régime, ceux du Languedoc, vous a dit M. Thénard, tenaient le premier rang tant par l'ancienneté que par le caractère de leurs règlements. Il y avait bien des assemblées provinciales ailleurs, formées aussi de représentants de la noblesse, du clergé et du tiers en Dauphiné, en Bourgogne, en Bretagne, mais aucune n'offrait un appareil aussi solennel que celle du Languedoc, véritable assemblée parlementaire et délibérante sinon toujours en réalité, du moins le plus souvent en apparence. A la date où se tenait la session dont M. Thénard a rendu compte d'après les procès-verbaux inédits, les Etats provinciaux étaient

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