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-La

correction et de la politesse, régnaient en souveraines. C'était comme un monde académique, entendant d'une oreille distraite les grands bruits du dehors, occupé de l'examen des idées et de la construction de systèmes. Les femmes étaient sensibles et sentimentales; martine était leur poète! les hommes respectueux au point de ne jamais même fumer devant elles. Nos pères, pour satisfaire à ce vice malséant, se réfugiaient, dit-on, dans les corps de garde de la garde nationale, cette fiction patriotique et militaire!

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La magistrature vivait en cravate blanche; les préfets donnaient leurs audiences en habit noir; en frac aussi se faisaient les visites de ville. Le langage, mesuré et châtié, habillait des idées graves et honnêtes. Température de serre chaude où le moindre courant d'air paraissait déplacé ! Les passions violentes étaient de mauvais goût; on n'osait mettre le nom sur les choses; Balzac, George Sand, Alfred de Musset dépassaient la moyenne de ce qui était admis: affectation de comme il faut un peu solennelle !

Quel favorable milieu pour l'éclosion d'une saine et belle littérature, plus remarquable, il est vrai, par l'éclat que par l'originalité !

Tel a été le milieu où a reposé notre berceau, où nous avons grandi.

Puis, tout à coup, le peuple fait entendre sa forte voix, renverse les traditions, les conventions et les systèmes et s'installe démocratiquement en maître au soleil de la vie publique. Presque au même moment, les frontières s'abaissent et les chemins de fer, les steamers, le télégraphe mélangent les peuples: la tranquillité de la vie publique et de la vie sociale était immédiatement atteinte !

Tout a changé depuis sous une impulsion irrésistible, et rien, en vérité, ne serait plus surprenant que de nous trouver semblables à nos pères.

Saluons nos auteurs, respectons-les, n'oublions aucune de leurs œuvres, car ils ont été excellents ouvriers, mais n'ayons pas l'archaïsme de nier les qualités du monde où nous vivons, et détournons-nous du pessimisme qui règne comme d'une chose néfaste et stérile entre toutes.

Voyez où nous en sommes sans qu'aucune influence autre que la force latente du développement contemporain nous y ait amenés!

La vie est devenue fiévreuse à mesure que les situations acquises ont été disputées par le flot montant des nouveaux appelés à la concurrence vitale. Les ambitions se sont accrues, généralisées, sous l'impulsion de la passion d'égalité, conséquence du régime démocratique, naturelle, au reste, au tempérament français et qui constitue un mobile puissant d'émulation, peut-être aussi de ruine intellectuelle et d'envie sociale. Le travail, alimenté par d'incessantes découvertes, surexcité par le besoin instinctif à l'homme de jouir de la vie, a refoulé l'aristocratie du rang, de la fortune, et celle mème de l'intelligence qui doit, aujourd'hui, pour faire régner son influence sur des masses insuffisamment préparées encore, se condamner à une somme d'efforts incessamment accrus.

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La lecture, en se généralisant, a vulgarisé la science et la démocratie émancipée, en possession du droit de suffrage pour tous, a voulu agrandir sa sphère d'action et refaire le monde à sa taille et pour ses besoins.

L'instrument de ce grand travail est le journal, politique, scientifique, littéraire, économique, technique, artistique, parlant aux yeux par des images exactes,

et versant, à flots, sur tous, des notions, des connaissances et des excitations nouvelles; le journal à la portée de toutes les bourses, pénétrant partout, aussi prodigue, hélas ! d'ivraie que de bon grain. Arme redoutable en même temps que bienfaisante qui n'a pas tué le livre, mais qui a rétréci son domaine et a la prétention de le remplacer par des notions trop souvent superficielles et falsifiées.

Le journal donne la parole à toutes les passions, à tous les intérêts, et s'inspire de l'opinion plus qu'il ne la dirige, car il est tenu de renouveler sans cesse son enquête sur les besoins si mobiles et si variés de notre société.

Paris, ville d'affaires et de plaisir, comme le sont devenues les autres capitales, ne ressemble en rien à ce qu'il était. Sa population a presque triplé, son étendue a doublé et a donné asile à de nombreuses colonies étrangères. Il voit chaque jour le monde entier se déverser sur lui sans qu'il ait pour ainsi dire le loisir de se reprendre et de retrouver l'apparence élégante et l'esprit qui étaient les siens. S'il dirige encore, par la grâce du génie français qu'il résume avec un éclat incomparable, le goût et l'invention dans la littérature comme dans les arts, il a abdiqué la prétention de régir le monde en lui imposant ses manières de voir et de vivre. Il s'est fait tout à tous. Ses salons se sont humanisés au point d'admettre tous les mondes qui savent s'insinuer par la fortune passagère du rang ou de l'argent, humanisés jusqu'à avoir cédé même sur les traditions rigoureuses des préséances et de la politesse.

La province, aux mœurs si patriarcales autrefois, si recueillie, si réservée et chaste, afflue dans la ville rêvée et en emporte des goûts nouveaux, une allure plus vive mais aussi plus libre et frisant la licence. Elle se dé

niaise à son contact et lui sacrifie ses plus respectables préjugés.

La simplicité des goûts a disparu et les besoins d'argent sont devenus âpres.

Dans cette animation, dans cette instabilité perpétuelle, la vie domestique s'est transformée. L'esprit de nouveauté et d'inquiétude, la facilité du déplacement enlèvent les parents au foyer, et la génération nouvelle tend à perdre, avec la régularité de l'existence, le goût du devoir et l'habitude du respect pour des mœurs et des opinions à tout instant variables. Car l'esprit de la jeunesse, naturellement frondeur et indépendant, ne se courbe que sous la discipline de principes certains. L'éducation morale est donc devenue difficile : c'est une perte grave qu'une plus grande somme d'instruction ne remplacera pas, car l'éducation seule donne à l'homme la conscience de sa dignité et le dirige dans la vie.

Nous sommes devenus cosmopolites en tout. L'insuffisance, la diminution de la discipline sociale et les réalités de la poussée démocratique nous jettent dans les mœurs américaines. L'anglomanie nous envahit sans résistance, nous qui avions la vanité et le bénéfice de dicter les lois de la mode: ne va-t-elle pas jusqu'à imposer à nos jeunes gens des allures froides, gourmées et raides. en place de l'amabilité souple, libre et rieuse qui est dans notre nature! La science allemande nous pénètre peu à peu, malgré la lourdeur et le nuageux de ses formules, et ses recherches nous paraissent dignes d'une étude où l'on aimerait souvent rencontrer plus de fermeté et d'indépendance. L'esprit français risque d'y gagner du pédantisme et d'y perdre sa souplesse. Hélas! à l'heure présente nous ne dominons plus comme avant: les vaincus oublient aisément la fermeté dans la défaite!

Pour toutes ces causes, nous avons perdu beaucoup de notre originalité. La confusion des goûts, des mondes, des intérêts est telle que la direction de la société, soumise à une conception de l'autorité différente d'autrefois, échappe à l'intelligence, et que la banalité et le sansgêne sont comme une des marques de notre temps.

L'esprit est devenu pratique. La femme, sensible toujours, n'est plus sentimentale; l'homme est-il resté aussi respectueux qu'autrefois ?

Ah! Mesdames, si, avec votre influence rayonnante, dans un temps où le célibat a tant d'adeptes, vous vouliez redevenir sentimentales et exiger de nouveau pour l'amour la forme française gaie, fine, courtoise, discrète, polie, combien vite les hommes se détourneraient d'une certaine tendance à la brutalité masculine qui nous vient de l'étranger et qui vous diminue !

La littérature, obéissant aux tendances du milieu où elle se développe, s'est faite précise, indiscrète, violente, quelquefois par curiosité malsaine, souvent aussi par ce besoin de sincérité qui nous pousse, ayant rejeté les habitudes et les conventions du temps passé, à faire une enquête scientifique sur toutes choses pour rebâtir notre civilisation avec des matériaux mieux éprouvés.

La démocratie est de sa nature réaliste, simpliste, absolue engagée dans une lutte journalière pour établir sa souveraineté, elle envisage nettement les choses et se détourne des illusions, armes mauvaises dans la bataille pour l'existence.

Les systèmes soutenus par la foi et le sentiment forment-ils obstacle à l'émancipation de l'individu, à la satisfaction de ses désirs? On cherchera à renverser ces gênantes barrières et la science y aidera par ses découvertes et ses formules,

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