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qu'en plus d'un endroit on trouve de l'énergie, de la virulence, et des marques d'un esprit fin et aiguisé. D'ailleurs le patois populaire adopté par l'auteur communique à ses pensées je ne sais quel tour alerte et vivant qui donne encore quelque intérêt à des querelles et à des controverses théologiques aujourd'hui assez généralement dédaignées. M. Dutilleux vous a cité de ces harangues sarcelloises de nombreux passages qui donnent comme un avant-goût des étranges chansons de Vadé, le poète des halles. Quoi qu'il en soit, vous a dit notre confrère en terminant, on doit remercier M. l'abbé Gallet d'avoir remis en lumière, dans ses Recherches historiques sur Sarcelles, la personne d'un écrivain obscur, mais qui lutta au péril de sa liberté, de ses jours même peut-être, et non sans quelque succès, en faveur de la liberté de conscience, la plus sacrée de toutes et toujours menacée la première par des oppresseurs de toute robe et de toute

couleur.

Sapho, le dernier roman de M. Alphonse Daudet, a été pour M. Hepp le sujet d'une double étude littéraire et morale. A l'étude du roman lui-même notre confrère a joint une étude plus générale touchant le roman naturaliste tel qu'il s'étale aujourd'hui, dans les compositions de M. Zola et de ses nombreux imitateurs. L'analyse la plus audacieuse de toutes les particularités de la vie physique et de la vie sociale, devehue comme l'essence et la loi du roman contemporain, si elle peut quelquefois donner à la langue plus de précision, au style un coloris plus éclatant, cette analyse, vous a dit M. Hepp, est un symptôme de la décadence actuelle de l'esprit français; au lieu de se maintenir dans les sphères élevées de la poésie et du sentiment, au lieu de garder son rang, qui fut longtemps le premier dans la synthèse lumineuse et dans l'analyse

délicate, notre littérature semble, de parti pris, vouloir se rabaisser jusqu'aux réalités les plus plates et aux curiosités les plus malsaines. Qu'on y prenne garde, vous a dit M. Hepp en finissant, une semblable tendance, si elle n'était pas promptement étouffée par une réaction salutaire, changerait notre caractère national en substituant la grossièreté et la brutalité à la grâce et à la délicatesse.

M. Rodouan vous a entretenus des Remarques sur la Langue Française publiées en 1647 par Vaugelas, et récemment rééditées par M. Chassang, un grammairien érudit, doublé d'un homme de goût. Remettre en honneur ces antiques dissertations grammaticales qui n'ont rien de pédantesque, et dont l'auteur fut au XVIIe siècle un des arbitres et des législateurs les plus influents de notre langue, n'est-ce pas, vous a dit notre confrère, faire œuvre utile et méritoire dans un siècle où trop souvent nous la voyons presque systématiquement abandonnée à tous les hasards et à toutes les témérités d'une improvisation ignorante et d'un laisser aller sans scrupule?

M. Henri Simon vous a lu une Etude sur la septième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1878), non pas une étude complète, mais à peu près restreinte aux modifications orthographiques introduites depuis un demi-siècle par l'usage, ce maître souverain qu'il faut bien subir et qui, mieux que la grammaire « sait régenter jusqu'aux rois ». Je m'arrête ici, le travail de M. Simon devant figurer dans le prochain volume de notre collection de mémoires.

Vous devez à M. G. Haussmann l'analyse critique de Sévéro Torelli, la dernière œuvre dramatique de François Coppée. Après vous avoir exposé le sujet, discuté le plan de la pièce et la vraisemblance des principaux ca

ractères, il vous a lu quelques passages des scènes les plus applaudies, mais non les moins discutables peutêtre à son avis, notamment la scène outre Torelli et la courtisane. Vous ne savez que trop que la courtisane est devenue dans le roman la reine de notre littérature, et que le drame actuel ne pourrait ni n'oserait s'en passer. Vous devez à M. Courteville, outre l'analyse de plusieurs des volumes publiés par les Sociétés savantes des départements, plusieurs pièces de poésie, parmi lesquelles vous me permettrez de rappeler le Semeur qui n'est point sortie de votre mémoire ;

A M. Lacombe, quelques pièces qu'il me serait difficile de ranger sous un titre commun, mais où domine la satire ;

A M. Maurice Vaucaire, un bon nombre d'œuvres de courte haleine qu'il me serait bien difficile de classer autrement que sous le titre de pièces fugitives: « sentimentalisme, romances, paysages mystiques, paysages mornes, impressions, sonnets japonais, voire même sonnets en prose», où l'on chercherait en vain les rigoureuses lois de la rime appliquées aux deux quatrains et aux deux tercets classiques. Le domaine un peu vague de la poésie légère devient ce parterre de La Fontaine, où sur différentes fleurs l'abeille se repose et fait son miel de toute chose.

A la date du 18 juillet, alors que j'errais sur les grèves et sur les dunes du Cotentin, votre vice-secrétaire, que je tiens à remercier ici de son inépuisable obligeance pour moi, inscrivait cette brève mention sur le registre de nos procès-verbaux hebdomadaires: M. le docteur Penard fait une communication intitulée : « A propos de vers. » Trouvant cette mention quelque peu énigmatique pour moi, j'ai prié notre confrère de me

tirer d'embarras, et bien m'en a pris. Une épître humoristique m'a fait connaître que, rêvant aux moyens d'inaugurer son entrée dans la Société et de payer, pour ainsi dire, son écot de bienvenue, après quelques considérations esthétiques sur l'art en général et sur la musique en particulier, il avait inopinément retrouvé, comme tout récemment photographiées sur les plaques bien préparées de son cerveau, des poésies qu'il ne soupçonnait pas avoir gardées dans sa mémoire et qui à son insu n'en étaient jamais sorties, tant l'impression première, l'unique peut-être, était demeurée vivante et profonde. Et c'est ainsi qu'il avait comme évoqué devant vous des airs, des mélopées, des gazouillements d'oiseaux chanteurs, véritables bijoux aussi frais qu'aux premiers jours tels sont, vous a-t-il dit, la Pétition de Casimir Delavigne pour faire admettre à la Salpêtrière une vieille protégée; la pièce de Victor Hugo: «Par votre ange envolée ainsi qu'une colombe » et le Perroquet de Naudet qu'il n'oserait réciter devant nos gens des Chambres et du pouvoir; la Levrette en paletot de ce bohême de Châtillon qu'il n'oserait présenter comme un modèle de poésie lyrique, mais qui certainement ferait chambrée complète à la salle Lévis; enfin le Naufragé de Coppée qui donne la chair de poule et fait vraiment image. Certes, malgré son admiration pour Victor Hugo, M. Pe-, nard a dû songer au « Qui depuis... » de Britannicus; il a confessé qu'il y avait un peu de convention et de parti pris dans son admiration pour les mélopées parfois traînantes et vagues de Lamartine. Qu'importe? M. Penard a causé, causé, causé, m'a-t-il dit et ne s'est tu que dans la crainte de vous endormir; permettez-moi de faire comme lui.

Vous vous rappelez tous qu'en juin dernier la Société

des sciences naturelles et celle des sciences morales se sont réunies pour célébrer leur cinquantenaire; et que la première des deux journées s'est terminée par la lecture de deux poésies de notre confrère, M. E. Chatonet : 1° la Danseuse de corde; 2° Promenade matinale dans le Parc. Vous vous rappelez aussi qu'à l'issue du fraternel banquet du lendemain, ces deux pièces ont été redemandées à l'auteur, et que celui-ci, cédant à d'unanimes instances, a bien voulu y en ajouter quelques autres qui n'ont pas été moins goûtées ni moins applaudies.

Nous espérions alors que, comme à l'ordinaire, le poète terminerait ce soir notre séance annuelle par la lecture de quelques-uns de ces chants, dont la mélodie charme les oreilles et dont la douce mélancolie pénètre les cœurs, non pour les amollir, mais pour les réconforter. Un mal cruel le tient éloigné de nous, mais à cette heure sa pensée est ici comme auprès de tous les siens. Espérons que la science achèvera une œuvre heureusement commencée, et pourra répéter le mot si modeste et si profond d'Ambroise Paré: « Je l'ai pansé, Dieu l'a guéri. »

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