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X.-LE LION ET LE MOUCHERON.

Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre!

C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.

L'autre lui déclara la guerre.

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie ?30
Un bœuf est plus puissant31 que toi;
Je le mène à ma fantaisie.

A peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;

32

Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle;
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,

Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais ;33 et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà sur les dents. 34

30. Makes me gloomy? This verb is now only used as a reflected verb- 31. Means here larger. 32. It flies off. 33 Which is not to be blamed for it. 34. Tired out.

L'insecte, du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée ;

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

XI.−

.—LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES.

Un lièvre en son gîte songeait,

(Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?)
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les gens de naturel peureux

Sont, disait-il, bien malheureux !

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite:
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis: cette crainte maudite
M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Eh! la peur se corrige-t-elle ?
Je crois même qu'en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnait notre lièvre,
Et cependant faisait le guet.

Il était douteux, inquiet:

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.

Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit: ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sautera dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire! Ma présence

Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?

Comment! des animaux qui tremblent devant moi !
Je suis donc un foudre de guerre !

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

XII.- -LE COQ ET LE RENARD.

Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.

Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,

Nous ne sommes plus en querelle:
Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse :
Ne me retarde point, de grâce :

Je dois faire aujourd'hui vingt postes35 sans manquer. Les tiens et toi pouvez vaquer,

Sans nulle crainte, à vos affaires ;

Nous vous y servirons en frères.

35. I have to walk twenty post-stages. a. Jump. b. Reenter.

Faites-en les feux36 dès ce soir,
Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour37 fraternelle.

Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle

De cette paix ;

Et ce m'est une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,
Qui, je m'assure, sont courriers

Que pour ce sujet on envoie :

Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends: nous pourrons nous entre-baiser tous.
Adieu, dit le renard; ma traite est longue à faire :
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. Le galant aussitôt
Tire ses grègues,38 gagne au haut,39
Mal content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur;

Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

XIII. LE CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE.

L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un corbeau, témoin de l'affaire,

Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau,

Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau,

36. Fires of joy. 37. Amour is sometimes feminine in poetry. 38. Takes flight. 39. Runs to some height.

Un vrai mouton de sacrifice:

On l'avait réservé pour la bouche des dieux,
Gaillard corbeau disait, en le couvant des yeux.
Je ne sais qui fut ta nourrice;

Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.

Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat.
La moutonnière créature

Pesait plus qu'un fromage; outre que sa toison
Était d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphème. 40

Elle empêtra si bien les serres du corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite.
Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau,41
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.

Il faut se mesurer; la conséquence est nette:
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L'exemple est un dangereux leurre :
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs ;
Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

-LE PAON SE PLAIGNANT À JUNON.42

XIV.

Le paon se plaignait à Junon.

Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison

Que je me plains, que je murmure:
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature;

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,

40. See Vocabulary. 41. Properly. 42. See Vocabulary. a. Ill agrees with.

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