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La vraie épreuve de courage

N'est que dans le danger que l'on touche du doigt. Tel le cherchait, dit-il, qui, changeant de langage, S'enfuit aussitôt qu'il le voit.

XLI.- -LE MULET SE VANTANT DE SA GÉNÉALOGIE.

Le mulet d'un prélat se piquait de noblesse,
Et ne parlait incessamment

Que de sa mère la jument,

Dont il contait mainte prouesse.

Elle avait fait ceci, puis avait été là.
Son fils prétendait pour cela

Qu'on le dût mettre dans l'histoire.

Il eût cru s'abaisser servant un médecin.
Étant devenu vieux, on le mit au moulin :
Son père l'âne alors lui revint en mémoire.

Quand le malheur ne serait bon
Qu'à mettre un sot à la raison,
Toujours serait-ce à juste cause
Qu'on le dit bon à quelque chose.

XLII. LE CERF SE VOYANT DANS L'EAU.

Dans le cristal d'une fontaine
Un cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,

Et ne pouvait qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,

Dont il voyait l'objet se perdre dans les eaux.

Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur:

Des taillis les plus hauts mon front atteint le faite ;
Mes pieds ne me font point d'honneur.

Tout en parlant de la sorte,

Un limier le fait partir.
Il tâche à se garantir;

Dans les forêts il s'emporte:
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,

Nuit à l'office que lui rendent

Ses pieds, de qui ses jours dépendent.

Il se dédit alors, et maudit les présents

Que le ciel lui fait tous les ans.67

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile ;
Et le beau souvent nous détruit.

Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;
Il estime un bois qui lui nuit.

XLIII. -LE LION MALADE, ET LE RENARD.

De par le roi68 des animaux,

Qui dans son antre était malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter,
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,

Foi de lion, très-bien écrite :

67. i.e., its horns renewing themselves every year. 68. In the name of the King.

Bon passe-port contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L'édit du prince s'exécute :
De chaque espèce on lui députe.
Les renards gardant la maison,
Un d'eux en dit cette raison :

Les pas empreints sur la poussière

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière ;69
Pas un ne marque de retour: 70

Cela nous met en méfiance.

Que sa majesté nous dispense :
Grand merci de son passe-port.

Je le crois bon: mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort.

XLIV. L'OISELEUR, L'AUTOUR, ET L'ALOUETTE..

Les injustices des pervers

Servent souvent d'excuse aux nôtres.
Telle est la loi de l'univers :

Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres.

Un manant au miroir prenait des oisillons.
Le fantôme brillant attire une alouette:
Aussitôt un autour, planant sur les sillons,
Descend des airs, fond et se jette

Sur celle qui chantait, quoique près du tombeau.
Elle avait évité la perfide machine,

69. Show to his den. 70. Points to return.

Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau,
Elle sent son ongle maline.71

Pendant qu'à la plumer l'autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé :
Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage;
Je ne t'ai jamais fait de mal.

L'oiseleur repartit: Ce petit animal

T'en avait-il fait davantage?

XLV. LE CHEVAL ET L'ANE.

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir :
Si ton voisin vient à mourir,

C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnait un cheval peu courtois ;
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu ;
Autrement il mourrait devant qu'être72 à la ville.
La prière, dit-il, n'en est pas incivile:
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.

Le cheval refusa, fit une pétarade;

Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avait tort.

Du baudet en cette aventure
On lui fit porter la voiture,73

Et la peau par-dessus encor.

71. We use ongle only as masculine; the feminine of malin is maligne; maline is a poetical license of La Fontaine. 72. For avant d'être. 73. Voiture means here load.

D

XLVI.-LE CHIEN QUI LÂCHE SA PROIE POUR L'OMBRE.

Chacun se trompe ici-bas:

On voit courir après l'ombre

Tant de fous qu'on n'en sait pas,

La plupart du temps, le nombre.

Au chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.

Ce chien voyant sa proie en l'eau représentée,
La quitta pour l'image, et pensa se noyer.74
La rivière devint tout d'un coup agitée ;

A toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps.

XLVII.-LE TORRENT ET LA RIVIÈRE.

Avec grand bruit et grand fracas
Un torrent tombait des montagnes :

Tout fuyait devant lui; l'horreur suivait ses pas;
Il faisait trembler les campagnes.

Nul voyageur n'osait passer

Une barrière si puissante;

Un seul vit des voleurs; et se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n'était que menace et bruit sans profondeur :
Notre homme enfin n'eut que la
peur.

Ce succès lui donnant courage,

Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage
Une rivière dont le cours,

74. And was nearly drowned.

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