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Que les appartements en étaient trop petits.
Quelle maison pour lui! l'on y tournait à peine.
Plût au ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine !

Le bon Socrate avait raison

De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami; mais fou qui s'y repose:

Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

XXVII.-L'ORACLE ET L'IMPIE

Vouloir tromper le ciel, c'est folie à la terre.
Le dédale des cœurs en ses détours n'enserre
Rien qui ne soit d'abord éclairé par les dieux :
Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux,
Même les actions que dans l'ombre il croit faire.
Un païen, qui sentait quelque peu le fagot,43
Et qui croyait en Dieu, pour user de ce mot,
Par bénéfice d'inventaire,44

Alla consulter Apollon.

Dès qu'il fut en son sanctuaire :

Ce que je tiens, dit-il, est-il en vie ou non?
Il tenait un moineau, dit-on,

Près 45 d'étouffer la pauvre bête,

Ou de la lâcher aussitôt,

Pour mettre Apollon en défaut.46

43. i.e., who was in danger of being burned for not believing in the existence of God. 44. i.e., reserving to himself the liberty of subsequently examining the evidence. 45. We say now prêt To baffle Apollo.

Apollon reconnut ce qu'il avait en tête :
Mort ou vif, lui dit-il, montre-nous ton moineau,
Et ne me tends plus de panneau :

Tu te trouverais mal d'un pareil stratagème.
Je vois de loin, j'atteins de même.

XXVIII. -LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR.

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie ;
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c'est folie:

Car de le rattraper il n'est pas trop certain.

Un carpeau, qui n'était encore que fretin,

Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.
Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin :

Mettons-le en notre gibecière.

Le pauvre carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi? je ne saurais fournir
Au plus qu'une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir:

Je serai par vous repêchée ;
Quelque gros partisan47 m'achètera bien cher:
Au lieu qu'il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille

Pour faire un plat: quel plat! croyez-moi, rien qui vaille. 48
Rien qui vaille! eh bien! soit, repartit le pêcheur:
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,

47. At the time of La Fontaine, partisan meant a farmer of Royal revenues. 48. Nothing worth while.

Vous irez dans la poêle, et, vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire.

Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras : 49
L'un est sûr; l'autre ne l'est pas.

XXIX.--LE RENARD AYANT LA QUEUE COUPÉE. Un vieux renard, mais des plus fins, Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins,. Sentant son renard d'une lieue,

Fut enfin au piége attrapé.

Par grand hasard en étant échappé,

Non pas franc,50 car pour gage il y laissa sa queue;
S'étant, dis-je, sauvé sans queue, et tout honteux,
Pour avoir des pareils51 (comme il était habile),
Un jour que les renards tenaient conseil entre eux :
Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?
Que nous sert cette queue? Il faut qu'on se la coupe ::
Si l'on me croit, chacun s'y résoudra.

Votre avis est fort bon, dit quelqu'un de la troupe :
Mais tournez-vous, de grâce; et l'on vous répondra.
A ces mots il se fit une telle huée,

Que le pauvre écourté ne put être entendu.
Prétendre ôter la queue eût été temps perdu :
La mode en fut continuée.

49. A bird in the hand is worth two in the bush. 50. Not without having been damaged. 51. In order to have his. equals, i.e., that there may be other foxes without tail.

XXX.

-LE LABOUREUR ET SES ENFANTS.

Travaillez, prenez de la peine :

C'est le fonds qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu

de courage

Vous le fera trouver: vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût : 52
Creusez, fouillez, bêchez; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous53 retournent le champ,
Deçà, delà, partout; si bien qu' au bout de l'an,
Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort

Que le travail est un trésor.

XXXI.—LA FORTUNE ET LE JEUNE ENFANT.

Sur le bord d'un puits très-profond
Dormait, étendu de son long,5+

Un enfant alors dans ses classes.55

Tout est aux écoliers couchette et matelas.

Un honnête homme, en pareil cas,

Aurait fait un saut de vingt brasses.
Près de là tout heureusement

52. See Note 2, page 9. 53. See Note 41, page 25. 54. At his length. 55. A school child.

La Fortune passa, l'éveilla doucement,

Lui disant: Mon mignon, je vous sauve la vie ;
Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.
Si vous fussiez tombé, l'on s'en fût pris à moi,56
Cependant c'était votre faute.

Je vous demande, en bonne foi,

Si cette imprudence si haute

Provient de mon caprice. Elle part à ces mots.

Pour moi, j'approuve son propos.

Il n'arrive rien dans le monde
Qu'il ne faille qu'elle en réponde:
Nous la faisons de tous écots;

Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures;
On pense en être quitte en accusant son sort:
Bref, la Fortune a toujours tort.

XXXII. LES MÉDECINS.

Le médecin Tant-pis57 allait voir un malade
Que visitait aussi son confrère Tant-mieux.58
Ce dernier espérait, quoique son camarade
Soutînt que le gisant irait voir ses aïeux.
Tous deux s'étant trouvés différents pour la
cure,
Leur malade paya le tribut à nature,
Après qu'en ses conseils Tant-pis eut été cru.
Ils triomphaient encor sur cette maladie.
L'un disait: Il est mort; je l'avais bien prévu.
S'il m'eût cru, disait l'autre, il serait plein de vie.

56. They would have thrown the blame upon me. 57. Pessi who always anticipates the worst. 58. Optimist, hopes for the best.

T

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