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Le galant en eût fait volontiers un repas;

Mais comme il n'y pouvait atteindre :

Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.

Fit-il pas34 mieux que de se plaindre ?

XX.-LE CYGNE ET LE CUISINIER.

Dans une ménagerie

De volatiles remplie

Vivaient le cygne et l'oison:

Celui-là destiné pour les regards du maître ;
Celui-ci, pour son goût: l'un qui se piquait d'être
Commensal du jardin ; 35 l'autre, de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisiner, ayant trop bu d'un coup,
Prit pour oison le cygne; et le tenant au cou,
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage.
L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.
Le cuisinier fut fort surpris,

Et vit bien qu'il s'était mépris.

Quoi je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe! Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main gorge à qui s'en sert si bien !36

La

coupe

Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe3
Le doux parler ne nuit de rien.

34. For Ne fit-it pas mieux. 35. Boarder of the garden. 36. Makes so good use of it. This refers to the ancient belief that the swan sang when near dying. 37. Closely behind us.

XXI.-L'ANE ET LE PETIT CHIEN.

Ne forçons point notre talent;
Nous ne ferions rien avec grâce:
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant.

Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,
Ont le don d'agréer infus avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,
Qui, pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître alla le caresser.
Comment! disait-il en son âme,

Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair38 à compagnon,
Avec monsieur, avec madame ;
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? il donne la patte;
Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien malaisé.

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non, sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton !39
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

38. Like. 39. A name borrowed from Rabelais : it signifies a stable-valet armed with a cane to chastise the ass.

XXII.-L'HOMME ET L'IDOLE DF BOIS.

Certain païen chez lui gardait un dieu de bois,
De ces dieux qui sont sourds, bien qu'ayant des oreilles :
Le païen cependant s'en promettait merveilles.

Il lui coûtait autant que trois :

Ce n'était que vœux et qu'offrandes,

Sacrifices de boeufs couronnés de guirlandes.
Jamais idole, quel qu'il40 fût,

N'avait eu cuisine si grasse ;

Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût
Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.

Bien plus, si pour un sou d'orage en quelque endroit
S'amassait d'une ou d'autre sorte,

L'homme en avait sa part; et sa bourse en souffrait : La pitance du dieu n'en était pas moins forte.

A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,

Il vous41 prend un levier, met en pièces l'idole,
Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole?
Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu ressembles aux naturels

Malheureux, grossiers et stupides:

On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
Plus je te remplissais, plus mes mains étaient vides:
J'ai bien fait de changer de ton.

40. Idole is now feminine. 41. A cosey dative used in some languages. This vous is not to be translated in English.

XXIII.-LE GEAI PARE DES PLUMES DU PAON.

Un paon muait: un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué
Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,
Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.

XXIV.-LE CHAMEAU ET LES BATONS FLOTTANTS.
Le premier qui vit un chameau
S'enfuit à cet objet nouveau ;

Le second approcha; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire.

L'accoutumance ainsi nous rend tout familier :
Ce qui nous paraissait terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue

Quand ce vient à la continue.

Et puisque nous voici tombés sur ce sujet :
On avait mis des gens au guet,

Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire

Que c'était un puissant navire.

Quelques moments après, l'objet devint brûlot,

Et puis nacelle, et puis ballot.

Enfin bâtons flottants sur l'onde.

J'en sais beaucoup, de par le monde, 42

A qui ceci conviendrait bien :

De loin, c'est quelque chose; et de près, ce n'est rien.

XXV. -LE RENARD ET LE BUSTE.

Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre ;
Leur apparence impose au vulgaire idolâtre.
L'âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit;
Le renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout sens; et, quand il s'aperçoit
Que leur fait n'est que bonne mine,
Il leur applique un mot qu'un buste de héros
Lui fit dire fort à propos.

C'était un buste creux, et plus grand que nature.
Le renard, en louant l'effort de la sculpture:
"Belle tête, dit-il, mais de cervelle point."

Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point!

XXVI. PAROLE DE SOCRATE.

Socrate un jour faisant bâtir,

Chacun censurait son ouvrage :

L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage;

L'autre blâmait la face, et tous étaient d'avis

42. Somewhere in the world.

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