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pas à elles à leur inspirer les premiers sentimens de vertu, à les garantir des préjugés funestes à l'humanité? Agricola dut à sa mère cette sobriété de sagesse si difficile et si rare, qui fait éviter l'excès, même dans le bien. Louis IX, François I.er et Henri IV, offrent de nouvelles preuves de l'importance de l'éducation donnée aux enfans par leurs mères: Louis IX fit régner la justice et l'humanité; François I.er fut le père des lettres, et il ne lui manqua, pour être le premier prince de son tems, que d'être heureux; Henri IV fut le père de ses sujets, et la France n'a point eu de meilleur ni de plus grand roi.

A voir l'espèce d'éducation que reçoivent les jeunes Demoiselles, on serait tenté de croire qu'elles ne doivent pas vieillir: car on ne leur apprend rien qui puisse répandre des agrémens sur le dernier âge. Toute saison de la vie a ses épines, pour quiconque n'a aucune ressource en soi-même. Les lettres sont les meilleures armes de la vieillesse. Elles ont embelli les derniers jours de Madame Duboccage. Plus que nonagénaire, elle avait encore une cour brillante; sa conversation était agréable, et même pleine de grâces; peu de tems avant sa mort, j'ai écrit sous sa dictée des vers charmans.

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Pour une amie des lettres, la vieillesse est le soir d'un beau jour.

Si vous allez, dans ce mois, herboriser à la campagne, je vous engage d'observer exactement le tems de la fleuraison des plantes que vous mettrez dans votre corbeille. J'en ferai autant de mon côté. La communication de ces notes nous fera connaître la différence de la température des lieux que nous habitons. N'oubliez pas, dans vos promenades, de vous munir d'un crayon et de quelques feuilles de papier. L'air balsamique du printems, le doux chant des oiseaux, l'émail des prairies, et l'ombre des bois, inspirent d'heureuses pensées. Ne méprisez pas mon conseil, vous éprouverez que les Muses ne se plaisent pas moins dans les champs que Flore. Adieu, chère Élise, persévérez dans vos goûts pour les lettres et pour la botanique.

La Harpe me semble avoir écrit lorsqu'il a dit :

pour vous,

Les arts dont tu reçois une grâce nouvelle,
Te rendront plus heureuse en te rendant plus belle.

A LA MÊME.

Niort, le 27 prairial an 11.

LORSQUE l'on m'a remis votre dernière lettre, j'étais occupée à parer mon jardin d'une plante, nouvellement en fleur, que j'ai rencontrée dans mes promenades champêtres. C'est l'Ophrys ou Orchis mouche, ainsi nommée sans doute parce que la fleur ressemble à une mouche qui vole. La campagne que vous habitez vous offrira cette belle plante, dans les terrains dont le sol est crayeux. Elle est de la vingtième classe de Linné; la tige en est garnie de feuilles, et la lèvre du nectaire, légèrement divisée en cinq lobes... C'est assez s'occuper aujourd'hui de botanique. Je viens à la partie de votre lettre, où vous parlez de l'influence que les femmes ont exercée en France; et, puisque vous l'exigez, je vais vous dire ce que je sais à ce sujet.

Les femmes des anciens Gaulois eurent pendant long-tems l'administration des affaires civiles et politiques. Elles jouissaient d'une si grande réputation de justice et de sagesse, que dans un traité d'Annibal avec leur nation,

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un des articles portait : Si quelque Gaulois a sujet de se plaindre d'un Carthaginois, il se pourvoira devant le sénat de Carthage établi en Espagne; si quelque Carthaginois se trouve lésé par un Gaulois, l'affaire sera jugée par le conseil suprême des Femmes Gauloises. Sous le gouvernement des femmes, les Gaulois firent trembler l'Italie, et prirent même la ville de Rome. Cependant les Druïdes usèrent avec tant d'adresse de l'empire que la religion leur donnait sur les esprits, qu'ils parvinrent à s'emparer du souverain pouvoir. Ils ne laissèrent aux femmes qu'une petite partie de l'autorité qu'elles avaient exercée. Celles-ci, arbitres autrefois de la paix, de la guerre, et juges des différends survenus entre les Vergobrets, ou de ville à ville, n'eurent plus que le droit de juger les affaires particulières pour fait d'injures. Des fonctions du sacerdoce, elles ne retinrent que celles qui concernaient la divination; encore les partagèrent-elles avec les Druïdes. L'étude les consola de ces pertes. Elles tinrent des écoles, et donnèrent aux femmes les mêmes leçons que les jeunes Gaulois recevaient de leurs prêtres. Il y avait des Druïdes dans les Gaules, à l'époque de l'invasion de ce pays par les Francs.

Subjugués par la force, les Gaulois eurent la

gloire, à leur tour, de subjuguer leurs vainqueurs par de plus douces armes, celles de la persuasion. Cette révolution fut l'ouvrage d'une femme Clotilde, épouse du roi Clovis I.er, lui fit embrasser la religion chrétienne. Les Francs, peuple idolâtre, s'empressent de suivre l'exemple de leur roi. Les Armoriques qui s'étaient soustraits à l'empire romain, se donnent à Clovis, ainsi que les Romains qui gardaient les bords de la Loire. La qualité de catholique rend ce prince cher au reste des Gaulois. La moitié de l'Europe, dit Voltaire, doit aux femmes son christianisme.

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Au septième siècle, le monastère de SainteCroix de Poitiers, qui avait été fondé par Sainte Radégonde, épouse de Clotaire I.er conserva le souvenir précieux des études. Batilde, veuve de Clovis II, eut la régence pendant la minorité de son fils Clotaire III. Le gouvernement de cette princesse fut celui de la douceur, de la prudence et de la justice. Batilde garantit d'exactions arbitraires les pères de famille qui avaient plusieurs enfans, fit des lois sévères pour réprimer les abus, travailla à la réformation des moeurs, et, après dix années d'une administration pleine de sagesse, elle se retira dans le monastère de Chelles qu'elle avait fondé.

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