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donc ici quelques observations propres à compléter ce que nous avons dit ailleurs sur ce sujet *.

§ 3. De l'Attention.

Nous faisons un acte d'attention toutes les fois que nous avons conscience d'une idée, d'un fait quelconque de notre esprit, à l'exclusion de tout autre. Or, c'est précisément cette dernière condition qui est elle-même un fait de la volonté, laquelle précédant ou suivant tout acte d'attention, y est toujours unie. L'effet de l'attention est de fixer, en quelque sorte, les idées de différents genres dans notre entendement, de manière que non seulement il en conserve un souvenir fidèle, mais que souvent il en est, pour ainsi dire, modifié d'une manière particulière et constante. Car l'attention ne s'exerce pas seulement sur des idées ou sur des objets simples ou peu étendus; elle s'applique aussi aux sujets les plus composés, à des systèmes d'objets ou d'idées quelquefois fort compliqués, dont elle découvre la liaison ou l'enchaînement. Aussi prend-elle différents noms à raison de l'emploi que nous en faisons, et ces noms indiquent autant de modes distincts de l'exercice de cette faculté.

Ainsi, elle s'appelle contemplation, lorsqu'elle s'arrête pendant un temps sur un ensemble d'objets

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plus ou moins considérable, ou même sur quelque objet isolé; considération, lorsqu'elle s'attache à quelque groupe d'objets ou d'idées faisant partie d'un ensemble ou d'un système plus étendu; méditation, lorsque passant d'une idée ou d'un objet à un autre, dans le même groupe, ou dans le même système, elle en reconnaît la liaison et les rapports divers. Enfin, appliquée aux objets du monde extérieur, aux faits de la nature physique, elle prend plus particulièrement le nom d'observation; comme on lui donne celui de réflexion, quand elle s'applique aux faits de l'ordre intellectuel ou moral. Sans doute nous n'observons pas constamment, soit en parlant, soit en écrivant, ces nuances délicates de la signification des mots employés à exprimer les divers modes de l'attention. Mais cela n'est pas toujours nécessaire, parce que l'acception des termes est plus souvent déterminée par leurs rapports entre eux, et par les autres accessoires du discours, que par la valeur propre de chaque mot pris isolément *.

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« On ne peut découvrir la vérité, dit un philosophe célèbre, que par le travail de l'attention, «< parce qu'il n'y a que le travail de l'attention qui << ait la lumière pour récompense **. » Il est bien

**

*

Voyez sect. II, chap. II, § 14.

Malebranche, Traité de Morale, Ire part., chap. VI, § I. « L'attention de l'esprit, dit-il encore, est une prière

évident, en effet, que les plus sublimes découvertes dans les sciences, comme les plus admirables productions dans les arts, ou l'exécution des plus vastes desseins et des plus grandes entreprises, n'ont pu être que le résultat d'une force extraordinaire d'attention, c'est-à-dire d'une volonté énergique et constante, appliquant à chacun de ces objets l'attention, sous toutes les formes diverses que nous venons de décrire.

Il n'y a guère que ceux qui y ont sérieusement pensé, qui puissent comprendre que c'est par une suite continuelle d'efforts, ou d'actes d'attention, que l'homme apprend à se servir de ses sens et de ses inembres; et que chacun de nous à appris à voir et à entendre, comme il a appris à marcher. Cependant, si nous voulons prendre garde à ce qui se passe en nous, lorsque nous entreprenons d'exécuter une suite de mouvements volontaires, tels que ceux qui sont nécessaires dans la pratique d'un art, comme la danse, le dessin, la musique, l'escrime, etc., il nous sera facile de reconnaître combien il nous a fallu faire d'actes particuliers d'attention, résultats d'autant de volontés singulières, combien il nous a fallu y mettre d'ordre et de méthode, en analysant les mouvements un peu compliqués, et les décom

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naturelle, par laquelle nous obtenons que la raison nous « éclaire. » Ibid., chap. V, § 4.

posant, pour ainsi dire, en mouvements plus simples et plus élémentaires, avant que nous fussions parvenus à exécuter, sans y penser et presque sans le sentir, ces longues suites de mouvements qui paraissent toujours si merveilleux, par leur justesse et leur précision, à ceux qui n'y sont pas exercés. Dans ce cas, à la vérité, ce n'est pas nous ordinairement qui faisons les analyses et les décompositions dont je viens de parler : c'est le maître que nous choisissons pour nous enseigner l'art que nous voulons apprendre. Au lieu que, quand nous avons appris à voir, à toucher, à comprendre et à parler notre langue maternelle, nous faisions nous-mêmes ce travail de maître, ou plutôt, nous étions sous la direction du premier et du plus habile des maîtres. La nature, en limitant nos moyens d'action et d'exécution, et en appelant, par le besoin, notre attention, tantôt sur un objet, tantôt sur un autre, sur quelque partie d'un même objet, ou sur quelqu'autre, nous apprenait à les connaître séparément, et à les réunir ensuite par un seul et même acte d'attention.

Et remarquons ici que chaque acte de la faculté d'agir est accompagné d'un acte de la faculté intellectuelle, qui dirige les mouvements; c'est la condition indispensable pour qu'ils s'exécutent avec ordre et avec régularité. Ni le musicien qui joue un concerto de violon ou de clavecin, ni le danseur qui figure dans un ballet, ne pourraient charmer notre

oreille ou nos yeux par ces longues suites de mouvements qui nous causent quelquefois de si vifs plaisirs, si leur intelligence, appliquée d'abord à diriger l'exécution de chaque mouvement élémentaire, pour ainsi dire, ne la surveillait encore, à l'insu même de l'artiste, malgré la promptitude souvent inconcevable avec laquelle tous se succèdent. Tel est, pour le dire en passant, le pouvoir de l'habitude sur nos mouvements volontaires : la fréquente répétition les rend infiniment plus faciles et plus rapides; et quoique cette rapidité même nous en ôte souvent la conscience distincte, néanmoins l'habitude nous met à même d'en disposer plus sûrement et plus librement. Or, dans ce cas, l'habitude est évidemment le résultat de la volonté et du mode particulier d'action de cette faculté dont nous parlons en ce moment, c'est-à-dire de l'attention. La même observation peut s'appliquer, comme nous l'allons voir, aux autres modes de la volonté, sur lesquels l'habitude a une influence du même genre.

$ 4. De la Mémoire.

La mémoire n'est pas exclusivement un mode d'action de la volonté, mais dans bien des cas ses opérations sont dans la dépendance de cette faculté, et l'on ne saurait nier qu'il n'y ait une infinité de souvenirs volontaires, quoiqu'il y en ait aussi beau

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