Page images
PDF
EPUB

tôt, ou à un pavot fléchissant sous le poids de la pluie dont sa tête est chargée *.

Au reste, les sympathies et les antipathies naturelles l'on peut que peut observer dans les animaux de toute espèce, aussi bien que dans l'homme, ont leur principe dans l'instinct, qui, étant une modification essentielle de la sensibilité propre à chaque espèce, et un fait primitif de son existence, échappe, par conséquent, à tous nos moyens d'analyse.

La sympathie morale, que nous allons considérer, a donc en nous un principe du même genre, et que l'on ne doit pas davantage chercher à expliquer. Mais, à mesure qu'elle se développe avec toutes nos autres facultés, elle s'éloigne plus sensiblement de ce caractère instinctif qu'elle avait d'abord; les faits qu'elle présente se rapprochent de plus en plus des idées purement intellectuelles qui sont dues à nos autres facultés. Par ce moyen, elle devient plus susceptible de se prêter à l'application des procédés que nous employons dans les sujets ordinaires de nos recherches, et dès lors aussi on peut en classer avec plus de précision les phénomènes, et en déterminer, jusqu'à un certain point les lois.

[ocr errors][merged small]

§ 2. De la Sympathie morale: origine du sentiment de

l'humanité.

On entend plus spécialement par l'expression de sympathie morale (et c'est le sens que nous donnerons désormais au mot sympathie), cette disposition instinctive, et, pour ainsi dire, innée dans l'homme, en vertu de laquelle il est plus ou moins affecté de la douleur ou de la joie de ses semblables, et souffre ou jouit, en quelque manière, des peines ou des plaisirs dont il est témoin. L'expression vive et animée de ces sentiments opposés, en se manifestant sur les traits et dans tous les mouvements d'un homme qui en est fortement ému, suffit souvent pour produire des effets à peu près semblables sur celui qui le contemple*. C'est même de cette condition, ou de cette affection primitive et constante de la nature humaine, que la faculté générale dont nous parlons tire son nom **; elle semble desti

✦ Ut ridentibus arrident, ità flentibus adflent
Humani vultus,

(HORAT. De Art. poet.)

** Le mot compassio, qui ne se trouve que dans les auteurs latins des siècles de la décadence, est la traduction littérale du mot grec suμáðra (sympathie) : l'un et l'autre signifient une manière d'être affecté, commune à deux ou à plusieurs individus. Cicéron, ne trouvant pas dans la

née principalement à adoucir, dans les rapports nécessaires et si multipliés des hommes entre eux, ce que les sentiments et les besoins purement personnels pourraient avoir de trop âpre et de trop violent.

La sympathie est donc en nous la cause de ce sentiment général d'humanité, qui tend à garantir l'homme des maux ou des souffrances qu'il peut avoir à craindre de ses semblables, c'est-à-dire de celles qui, pour le nombre et l'intensité, sont souvent les plus cruelles et les plus redoutables. On peut dire aussi qu'en nous rendant généralement très pénible le spectacle de la souffrance, même dans les animaux, la nature semble avoir voulu que l'homme étendît jusqu'aux créatures d'un ordre inférieur cet instinct de répugnance à causer de la douleur, dont elle a fait une des conditions de notre sensibilité, et comme la première loi de notre constitution morale.

La pitié ou la compassion que nous éprouvons pour les infortunes de tout genre dont nous avons occasion d'être témoins, et même pour celles qui ne nous sont connues que par le récit que l'on nous en

langue des Romains d'expression directe pour rendre cette idée, a recours, dans ses lettres et dans ses traités philosophiques, au mot grec lui-même: cognoscet suam illam in meo dolore cvμwábav, neque tum mihi obscurȧm, neque post ingratam fuisse.

(CICER. Ad Attic., l. IV, epist. 15.)

fait, l'indulgence pour les torts qu'on peut avoir à notre égard, la clémence dont l'homme qui dispose d'un grand pouvoir peut user envers celui qui l'a offensé *, ne sont que des nuances ou des modes du sentiment de l'humanité. Celui qui, par ses actions et par sa conduite, se montre étranger à ce sentiment, semble donc renier sa propre nature; il semble se déclarer lui-même hors la loi de l'humanité, puisqu'il la méconnaît et la brave autant qu'il est en lui.

§ 3. Sentiment de l'égalité.

La sympathie, en apprenant à chacun de nous à se considérer, en quelque sorte, lui-même dans les autres hommes, à voir en eux des êtres qui sont non seulement ses semblables, mais ses égaux à bien des égards, lui apprend en même temps, et par la même raison, à concevoir qu'ils peuvent et qu'ils doivent même, à leur tour, se considérer en lui, voir en lui leur semblable et leur égal, sous bien des rap

* Les mots miséricorde et miséricordieux, dont on se servait anciennement pour désigner les actes de simple humanité faits par un prince, ou quelquefois par un seigneur féodal, ne se disent plus qu'en parlant de Dieu et de ses attributs. Il en sera probablement de même, un peu plus tard, du mot clémence, et, en général, des expressions qui s'appliquent à l'exercice d'un pouvoir sur-humain ou absolu, dans les sociétés humaines.

ports. Or, tel est le fondement ou la cause du sentiment que chacun de nous acquiert très promptement de l'existence d'une sorte d'égalité entre les hommes, sentiment qui donne presque immédiatement naissance à ceux de droit et de devoir.

:

Sans doute, il n'y a point, à parler rigoureusement, d'égalité possible entre deux individus de l'espèce humaine, soit sous le rapport des forces physiques, soit sous celui des facultés morales ou intellectuelles leurs degrés varient à l'infini d'un individu à un autre, mais leur nature est la même dans tous. Or c'est cette égalité de nature dont je dis que le sentiment ne saurait jamais s'effacer entièrement, même lorsque l'abus de la force nous contraint à le dissimuler, même chez ces hommes parvenus au dernier degré d'abjection, qui, de leur propre mouvement, de leur plein consentement, semblent s'être voués à une servitude ignominieuse.

4. Remords de la Conscience.

Mais ce sentiment de l'égalité n'existe pas moins dans l'homme violent et emporté par ses passions égoïstes et fougueuses, que dans celui qu'il outrage et dont il opprime la faiblesse. Car il ne dépend pas de nous d'étouffer entièrement un sentiment dont le Créateur a voulu faire l'une des conditions de notre existence. On peut l'affaiblir ou l'obscurcir, on peut

H

!

« PreviousContinue »