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tiques, que quelques savants regardent comme le neuvième livre des Topiques (ou sujets d'argumentation), ouvrage dans lequel il avait exposé toutes les ressources et toutes les subtilités d'une dialectique consommée.

Un faux raisonnement, ou un syllogisme vicieux, s'appelle proprement paralogisme; mais il prend particulièrement ce nom, lorsque celui qui l'emploie est lui-même dupe de l'erreur que contient son raisonnement. Au contraire, on appelle sophisme, un argument vicieux dont celui qui s'en sert connaît bien le vice ou le défaut, mais qu'il emploie à dessein, pour tromper les autres. Avant Aristote, on donnait aussi chez les Grecs le nom de sophisme à certains arguments bizarres ou ridicules que quelques philosophes, particulièrement ceux de l'école de Mégare, avaient imaginés pour étonner et embarrasser les hommes simples et peu accoutumés à s'occuper de ces sortes de subtilités. Les Stoïciens eurent même le tort d'attacher quelque importance à ces arguties puériles, dont plusieurs avaient des noms célèbres dans leurs écoles; mais ce n'est pas de ces sophismes qu'il est question dans le traité d'Aristote que nous avons cité tout à l'heure. Il y considère seulement les paralogismes ou syllogismes vicieux, soit par l'abus ou l'équivoque des mots, soit par d'autres causes. Quant aux sophismes de la première espèce, la règle qu'il donne pour se garantir

de l'illusion qu'ils peuvent faire est simple et générale; car il suffit de constater la différence de signification d'un même terme employé dans les prémisses, pour se convaincre que chacune d'elles se rapportant à une idée qui n'est pas la même, ou à un objet différent, on n'en peut tirer aucune conclusion. Alors, comme disent les logiciens, le syllogisme se trouve avoir quatre termes, au lieu de trois, et n'est plus un véritable syllogisme.

La seconde espèce de paralogismes, c'est-à-dire ceux dont le vice vient d'une autre cause que de l'équivoque des mots, est au fond la seule qui ait une véritable importance. Les observations du philosophe grec, sur ce sujet, ne sont pas sans intérêt et sans justesse.

Ainsi, il caractérise fort bien les faux raisonnements dont le vice consiste à prendre une liaison accidentelle pour une connexion naturelle où nécessaire des choses, comme il arrive quand on conclut du particulier au général, ou quand on prend pour cause ce qui ne l'est réellement pas; ceux où l'on prend pour fondement d'une proposition que l'on veut prouver, la chose même qui est à démontrer, sophisme connu sous le nom de cercle vicieux, ou de pétition de principe, et plusieurs autres qui ont été rappelés, et expliqués dans tous les traités de logique. Enfin nous avons déjà fait remarquer l'importance de l'observation d'Aristote sur le sophisme

qu'il appelle ignorance de la question, à quoi il dit que peuvent se réduire, en dernier résultat, tous les faux raisonnements des deux espèces comprises dans ce genre *.

Mais l'art des sophistes, dont nous avons indiqué plus haut le principal artifice, appliqué aux objets de la plus haute importance, à la morale, à la religion, à la politique, est, si l'on peut parler ainsi, la théorie transcendante du charlatanisme, de l'hypocrisie et du mensonge. Son but constant et son effet, malheureusement trop commun, est de cacher aux hommes les vérités qui peuvent leur être le plus utiles, pour y substituer les plus dangereuses erreurs. Car le mensonge qui ne profite qu'à quelques individus, à quelques familles ou à quelques corps en crédit (au grand détriment de la partie sans comparaison la plus nombreuse des sociétés humaines), ne saurait subsister long-temps, s'il ne trouvait pas d'ardents auxiliaires et de puissants appuis, dans une multitude d'hommes ignorants ou séduits, pour qui il est une source de calamités de toute espèce. Son triomphe serait de peu de durée, s'il n'était soutenu et propagé que par ceux qui croyent y avoir un intérêt direct ou indirect, quoiqu'il leur devienne si souvent funeste, même lorsqu'ils semblent devoir le plus se féliciter de leurs honteux et déplorables

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succès. C'est que le bien est une conséquence naturelle et nécessaire de la connaissance du vrai; c'est qu'il n'y a de bonheur réel et surtout durable, que celui qu'on ne cherche pas exclusivement pour soimême, et qu'on ne fonde pas sur les illusions dont on environne ceux qui contribuent à nous le pro

curer.

Les seules armes donc que l'on puisse opposer avec succès aux éternels ennemis de la vérité, l'unique ressource que l'on ait pour triompher des obstacles qu'ils opposent sans cesse à sa propogation et à ses progrès, c'est l'emploi des moyens qui ont été indiqués comme les plus propres à la découverte de cette même vérité dans tous les genres. Car il est évident que, sur quelque sujet que ce soit, il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, qu'on se laisse tromper ou éblouir par le plus habile sophiste, si l'on connaît autant ou plus que lui l'ensemble et les détails de ce sujet, si on les a soigneusement étudiés et approfondis. Ajoutons que, dans presque toutes les questions qui intéressent le plus la paix ou le bonheur des sociétés, et la conduite de la vie, pour se décider avec une grande chance de probabilité en faveur de l'opinion la plus juste et la plus raisonnable, il suffit ordinairement des simples lumières du bon sens, et surtout de s'affranchir de préjugés ou d'opinions, dont la fausseté et l'absurdité ont été dès long-temps reconnues. Mais encore

une fois, dans chaque genre d'études ou de connaissances, pour bien raisonner soi-même, et pour n'être pas dupe des faux raisonnements des autres, il faut non-seulement avoir acquis une connaissance approfondie des sujets sur lesquels on raisonne, mais aussi être en état de prévoir jusqu'à un certain point les sophismes dont l'erreur ou la mauvaise foi ont coutume de se prévaloir dans ces sortes de discussions *. Or, c'est surtout par des études philosophicomme celles dont nous avons esquissé le plan dans ce traité, que l'on peut espérer d'arriver à ce but.

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*

CONCLUSION.

D'après notre manière de considérer ce sujet, la

Il serait à souhaiter que l'on eût, sur plusieurs parties des sciences morales, quelques dissertations du même genre que le Traité des sophismes politiques, qui forme le second volume du livre intitulé: Tactique des assemblées législa tives, rédigé par M. Dumont, sur les papiers de M. J. Bentham. Le chap. XIII des Traités de législation civile et pénale du même auteur, tom. I, p. 108 et suiv., contient aussi d'utiles réflexions sur les fausses manières de raisonner dans cette partie si importante des connaissances humaines. Enfin, sur la théorie du raisonnement, en général, il sera bon de lire et d'étudier la Logique de M. de Tracy, et les Leçons de Philosophie de M. Laromiguière, particulièrement les leçons XII et XIII* du premier volume.

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