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raient être faites avec succès que par des procédés tout-à-fait différents du syllogisme, c'est-à-dire par ceux de la méthode exposée dans le chapitre précédent; car elle est l'unique voie qui puisse conduire à l'invention des moyens termes légitimes, seule condition de la légitimité du syllogisme catégorique luimême. 2o Dans ce cas-là, l'emploi du syllogisme serait presque superflu, puisqu'il ne servirait qu'à conclure que le nom de l'espèce peut légitimement être attribué aux individus qu'elle embrasse, le nom du genre à l'espèce qui s'y trouve comprise, le nom de l'ordre au genre qui en fait partie, et ainsi de suite. 3° Presque aucune des formes que prennent ordinairement nos raisonnements, sur quelque sujet que ce soit, ne peut se ramener qu'avec beaucoup de peine à celle du syllogisme catégorique ou pur, en sorte que la théorie des syllogismes qu'on appelle irréguliers est incomparablement la plus importante, et cependant c'est celle qu'il a toujours été le plus difficile d'assujettir à des règles commodes et sûres. 4° Tout cet art logique repose exclusivement sur la valeur exacte et précise des termes dont on se sert, et il est entièrement impuissant à la déterminer par ses propres ressources. 5° Enfin, toute la force démonstrative du syllogisme se tire d'un axiome ou d'un principe dont la vérité n'est incontestable et parfaitement claire, que quand on l'applique aux idées de quantité, mais qui n'est que vague et obscur,

appliqué à toute autre espèce d'idées *. Ce principe c'est que deux choses qui ont même rapport avec une troisième, sont comme une seule et même chose, ou sont entre elles dans le rapport de l'identité (quæ sunt eadem uni tertio, sunt eadem inter se); ce qui, encore une fois, est très vrai des grandeurs ou des quantités quelconques; mais il s'en faut beaucoup que l'axiome ait la même évidence, si l'on veut dire par là que deux termes qui peuvent être attributs d'un même sujet, peuvent être attributs l'un de l'autre.

Il ne reste guère de toute cette théorie, ou de ce prétendu art de raisonner, que quelques dénominations, par lesquelles on désigne encore quelquefois certaines formes de raisonnements ou d'arguments irréguliers, qui sont les plus usitées dans le langage ordinaire. Tels sont l'Enthymeme, espèce de syllogisme tronqué, ou imparfait, dans lequel on sup

* Voilà pourquoi Aristote ne prend presque jamais pour exemple, dans ses formules syllogistiques que des lettres de l'alphabet, auxquelles il dit que l'on substituera, si l'on veut, quelques termes généraux, tels que homme, vivant, animal, etc. Voilà pourquoi encore un des écrivains qui ont exposé avec le plus de clarté la théorie du syllogisme, est le célèbre Euler, dans ses Lettres à une princesse d'Allemagne, où il représente par des cercles concentriques, ou qui se coupent de diverses manières, les diverses combinaisons des sujets et des attributs qui se contiennent ou s'excluent les uns les autres, soit en totalité, soit en partie.

prime, soit l'une des prémisses, soit la conclusion, lorsqu'on les juge trop faciles à suppléer pour qu'il soit nécessaire de les énoncer, comme dans le fameux axiome de Descartes : « Je pense, donc j'existe. » Le Sorite, qui est, au contraire, un assemblage de syllogismes, dont les prémisses sont liées entre elles de manière que l'attribut de la première devienne le sujet de la seconde, que l'attribut de la seconde soit le sujet de la troisième, et ainsi de suite, jusqu'à la conclusion, dont l'attribut se trouve ainsi affirmé ou nié du sujet de la première proposition. Cette forme de raisonnement est la plus propre aux démonstrations, ou du moins celle à laquelle elles peuvent assez facilement être ramenées. Le Dilemme, enfin, est une sorte de syllogisme disjonctif dont la conclusion tire sa preuve de l'impossibilité où l'on est d'appuyer la conclusion contraire sur aucune des deux prémisses. Je puis dire, par exemple, d'un homme qui ne remplit pas les devoirs que lui impose sa profession : ou il en est capable, ou il en est incapable; mais dans l'une et dans l'autre supposition rien ne saurait l'excuser. En effet, s'il en est capable, il est criminel de ne pas faire son devoir; s'il en est incapable, rien ne saurait l'excuser d'avoir accepté ou recherché de pareilles fonctions.

On donne aussi le nom d'argument, en général, à tout raisonnement dans lequel celui qui l'emploie semble mettre plus de confiance, et qu'il paraît re

garder comme décisif, soit pour combattre une proposition avancée par quelque autre personne, soit pour confirmer l'opinion qu'il a lui-même soutenue. C'est en ce sens que Locke distingue les arguments qu'il appelle ad verecundiam, ad ignorantiam, ad hominem*. Le premier qui consiste à opposer à l'avis que l'on combat, l'opinion tout-à-fait contraire, comme ayant été soutenue par des hommes plus savants, plus considérés par leur rang ou par leur autorité, s'adresse à un sentiment de pudeur ou de modestie naturelle, dont il semble qu'on ne saurait s'affranchir sans encourir quelque blâme. Mais il est facile de voir qu'il n'a par lui-même aucune force, aussi est-ce la ressource ordinaire de ceux qui ne peuvent ni opposer ni apporter de bonnes raisons **.

L'argument, ad ignorantiam, lorsque l'on exige de l'adversaire qu'il donne une preuve ou une démonstration meilleures que celles dont il refuse de

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Voyez l'Essai sur l'Entendement, l. IV, ch. XVII, § 19.

« C'est-à-dire que toute la science du monde est ren« fermée dans votre tête, et vous voulez en savoir plus que << tous les grands médecins de notre siècle !» ( Le Malade imaginaire, act. III, sc. 3.) Ces paroles d'Argan, à celui qui essaie de lui faire comprendre que l'art de la médecine n'est pas, à beaucoup près, aussi efficace qu'il se le persuade, ne répondent à aucune des raisons qu'on lui a alléguées, et signifient simplement : « N'avez-vous pas honte d'être d'un sentiment différent du mien ? »

se contenter, n'est, ni moins fréquemment usité que le précédent, ni plus décisif. Car, de ce que je ne suis pas capable de fournir une meilleure preuve de l'assertion que je combats, il ne s'en suit assurément pas que cette assertion soit véritable, ni que la preuve qu'on m'en donne soit convaincante.

Enfin, mettre un adversaire en contradiction avec lui-même, en faisant voir qu'il a admis, dans quelque autre circonstance, une proposition ou un principe conforme à l'assertion qu'il combat, ou dont cette assertion est une conséquence naturelle et nécessaire, est ce qu'on appelle un argument ad hominem. Mais cet argument ne peut avoir de force qu'autant que le principe sur lequel on s'appuie est évident par lui-même, ou qu'autant que l'on peut prouver que l'adversaire a eu raison d'admettre la proposition dont on se sert contre lui.

§ 3. Du Sophisme ou Paralogisme.

La théorie logique d'Aristote aurait été incomplète, si, après avoir énuméré toutes les conditions nécessaires à la parfaite justesse du raisonnement, il avait négligé d'indiquer les cas où un syllogisme, régulier dans la forme, est vicieux au fond, et ne donne que des conclusions erronées, ou tout-à-fait absurdes. Aussi a-t-il traité ce sujet dans son livre intitulé De la Réfutation des arguments sophis

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