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cessaire de la rhétorique, laquelle est, à son tour, dans bien des cas, le complément non moins indispensable de la logique. Car dans les questions relatives à la morale, à la législation et à tout cet ordre d'idées, il ne suffit pas ordinairement de convaincre l'esprit, il faut encore agir sur les volontés, et par conséquent pouvoir réveiller, pour ainsi dire à son gré, les sentiments qu'il fait naître; donner à certains objets, à certaines déterminations le degré d'attrait et d'intérêt, et imprimer à d'autres l'espèce de flétrissure, ou en faire concevoir l'horreur et l'aversion que doit naturellement en ressentir toute âme honnête et généreuse, tout esprit droit et sans préventions. Mais la rhétorique elle-même, ou l'éloquence, considérée comme art, est encore, dans ses moyens et dans son emploi, du ressort de cette logique dont nous venons de parler.

Ce qui prouve, à notre avis, la vérité de ce que nous avons dit tout à l'heure sur la logique, c'est le petit nombre et l'extrême généralité des règles auxquelles les plus illustres philosophes, après avoir médité presque toute leur vie sur ce sujet important, ont été forcés de s'arrêter. On peut le voir par celles de Descartes sur le raisonnement, en général, et par celles de Newton, sur le raisonnement applique à la philosophie naturelle, que nous avons citées précédemment. Pascal, de son côté, réduit également l'art de raisonner d'une manière convaincante, sur

quelque sujet que ce soit, à trois préceptes généraux, qu'il nous semble tout-à-fait convenable de rappeler ici: l'un, nécessaire, dit-il, pour les définitions, consiste à « n'omettre aucun des termes un peu ob<< scurs ou équivoques, sans définition; et à n'em<< ployer dans les définitions que des termes parfai<<< tement connus ou déjà expliqués. » L'autre, nécessaire pour les axiomes, consiste à « ne demander, << en axiomes, que des choses parfaitement évidentes.»> Le troisième, enfin, nécessaire pour les démonstrations, prescrit de « prouver toutes les propositions, « en n'employant à leur preuve que des axiomes « très évidents d'eux-mêmes, ou des propositions

déjà démontrées ou accordées; de n'abuser jamais << de l'équivoque des termes, en manquant d'y substi<< tuer mentalement les définitions qui les restreignent « et les expliquent *. »

Enfin, on peut remarquer que tout discours de quelque étendue, peut être considéré, à certains

Pensées de Pascal, Ire part., art. III. Cet article, intitulé De l'Art de persuader; et l'article II, Réflexions sur la Géométrie, sont des morceaux d'une excellente philosophie et admirablement écrits, comme presque tout ce qui nous reste de cet auteur. Il sera aussi utile de lire ce que dit d'Alembert sur la logique, dans ses Éléments de philosophie, art. V, et dans les Éclaircissements, qui se rapportent aux différents articles de ce petit traité, fort remarquable par la justesse et l'importance des vues et des idées.

égards, comme un véritable enseignement, puisqu'il apprend du moins à ceux à qui on l'adresse, ce que l'on pense sur les sujets qu'on y traite. Dans toute discussion, dans toute controverse, les opinions énoncées par différents individus, à l'occasion d'une même question, n'ont également pour but que d'instruire ou d'informer ceux à qui ils s'adressent de quelque vérité dont celui qui parle croit être en possession sur le sujet contesté. Si ce sujet est par sa nature au-dessus des facultés de l'esprit humain, comme il n'est arrivé que trop souvent dans les questions philosophiques ou religieuses, la dispute est nécessairement interminable. La même chose peut arriver aussi, et malheureusement les exemples n'en sont pas rares, quand aucun de ceux qui parlent ou qui écrivent sur quelque sujet controversé, n'est parvenu à découvrir la vérité qui seule pourrait forcer l'assentiment de tous les esprits justes, de tous les hommes exempts de passion et de préjugés. D'où il suit qu'en effet il est impossible de raisonner avec justesse sur ce qu'on ignore, ou sur ce qu'on ne sait qu'imparfaitement.

§ 2. De l'Argument ou Syllogisme.

Il ne sera peut-être pas inutile, pour compléter ce que nous avions à dire au sujet du raisonnement, de présenter ici quelques réflexions sur la théorie du

syllogisme ou argument, qui a été, pendant bien des siècles, regardée comme le fondement de ce qu'on appelait l'art de raisonner. Aristote, qui paraît avoir songé le premier à en faire un corps de doctrine. complet et régulier, l'a en effet réduit à un petit nombre de principes et de règles. Mais, bien que sa théorie n'ait pas, à beaucoup près, l'importance et l'utilité que peut-être il s'en était promis, on peut du moins la considérer comme le monument d'une force d'attention et d'une sagacité peu communes.

J'ai dit précédemment * comment ce philosophe, dans ses traités de logique, s'était proposé de partager tous les sujets de proposition en un nombre déterminé de classes, sous le nom de catégories ou prédicaments, et tous les attributs en un autre nombre de classes également déterminé, sous le nom d'universaux ou prédicables, et pour quelle raison il appellait grand terme l'attribut d'une proposition, et le sujet petit terme. Or, c'est sur ce fondement que repose toute la théorie du syllogisme, mot par lequel il exprime l'assemblage de trois propositions, combinées de manière que les deux premières, qu'on appelle prémisses, servent à faire voir que dans la dernière, nommée conclusion, l'attribut peut être légitimement affirmé ou nié du sujet.

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Page 214 et suiv. du premier volume de cet ouvrage.

Par exemple, dans ce syllogisme :

(1) Tout être ayant vie et mouvement est animal; (2) Or, tout homme est un être ayant vie et mouvement; (3) Donc, tout homme est animal.

La première proposition s'appelle majeure, parce qu'elle contient le grand terme ou attribut de la conclusion; la seconde s'appelle mineure, parce qu'elle contient le petit terme ou sujet de la conclusion; enfin l'idée d'un être ayant vie et mouvement, employée ici comme sujet dans la majeure, et comme attribut dans la mineure, est ce qu'on appelle moyen terme. L'effet de ce moyen terme, qui ne se montre que dans les prémisses, et qui ne paraît jamais dans la conclusion, est de faire voir comment l'attribut de cette dernière proposition peut être légitimement affirmé du sujet, parce que l'un et l'autre sont, en quelque sorte, identiques avec ce moyen terme.

Je n'entrerai pas dans plus de détails sur cette théorie du syllogisme, qui a été développée dans un nombre infini d'ouvrages, mais je rappellerai seulement ici que l'on a remarqué dès long-temps: 1° qu'elle ne pourrait s'appliquer, à la rigueur, qu'à des systèmes de catégories ou classes qui seraient parfaitement déterminées, comme les naturalistes essaient de le faire dans les tableaux qu'ils appellent méthodes naturelles *. Or, de telles classes ne sau

* Voyez ci-dessus, pag. 409.

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