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joignent à tous les faits de la conscience, comme on l'a fait voir dans la première section de ce traité*, quelle que soit la variété de leurs nuances ou des impressions diverses que l'ame reçoit des objets, peuvent se réduire à deux classes générales, essentiellement distinctes et opposées, le plaisir et la douleur. Ce sont là les deux puissances tutélaires et conservatrices de la vie de l'homme et, en général, de celle des êtres animés; les garants et, en quelque sorte, les moyens de la perpétuité des espèces, jusqu'à ce qu'il plaise à celui qui les a créées et qui les conserve, de changer les lois auxquelles la nature est à présent soumise.

Outre les sentiments qui se joignent à toutes les sensations, soit internes, soit externes, et qui peuvent, comme elles, se rapporter aux divers organes ou à différentes parties de l'organisation physique, (qui du moins, en nous donnant la perception de ces organes, nous les font connaître comme le lieu ou le siége présumé de la cause quelconque qui produit ces sentiments), il y en a un très grand nombre d'autres, qui ne peuvent se rapporter à aucun organe, ni à aucune partie déterminée de l'organisation. Ils s'adressent uniquement à l'ame, ou au principe, quel qu'il soit, de la conscience et de la sensibilité. Tels sont les sentiments de joie ou de tristesse que

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nous fait éprouver l'aspect d'une contrée couverte de riches productions, et variée par mille accidents pittoresques, ou, au contraire, celui d'un pays stérile et monotone; tels sont encore les sentiments qui naissent de l'exercice, tantôt facile et tantôt pénible, de nos facultés intellectuelles, ou ceux qui naissent de nos rapports de tout genre avec les autres hommes.

S2. Trois espèces ou classes de Sentiments.

Ainsi les sentiments, agréables ou désagréables, (plaisir ou peine), qui peuvent incessamment affecter notre ame, se divisent naturellement en trois classes principales et assez sensiblement distinctes. Il faut donc considérer: 1° ceux qui ont lieu à l'occasion de tout ce qui affecte, d'une manière directe et immédiate, quelque organe ou quelque partie de l'organisation; et, par cette raison, on peut les appeler sentiments physiques ou organiques; 2° ceux qui sont exclusivement produits par les actes ou opérations de l'intelligence, qui résultent de l'activité de la pensée, des combinaisons ou des conceptions purement abstraites de l'entendement, et on peut leur donner le nom de sentiments intellectuels; 3o enfin ceux qui résultent de l'infinie variété et de la prodigieuse multiplicité de nos rapports avec nos semblables, ou qui sont le produit de notre nature

sociable, et ce sont ceux-là que l'on désigne plus spécialement par le nom de sentiments moraux:

Mais, en adoptant cette triple division, qui peut nous être utile pour mieux apprécier, ou pour décrire avec plus de précision, des phénomènes extrêmement délicats et toujours fort compliqués, nous ne devons pas perdre de vue, qu'elle n'est qu'un moyen artificiel de fixer, pour quelques instants, dans notre pensée, des faits essentiellement fugitifs. Nous ne devons y voir qu'un procédé analytique, dont la valeur est purement conditionnelle et relative à la faiblesse ou à l'impuissance de notre esprit, sans cesse obligé de morceler, s'il le faut ainsi dire, les objets de sa contemplation, pour pouvoir les embrasser d'une vue nette et assurée.

Aussi, les trois classes de sentiments, ou les trois sortes de plaisirs et de peines, que nous venons de distinguer par des caractères propres à les faire reconnaître, se modifient-elles constamment les unes les autres. Car, si l'homme seul semble être susceptible d'éprouver des sentiments intellectuels et moraux, tandis que les autres espèces d'êtres animés ne paraissent pouvoir éprouver que ceux que nous avons appelés physiques ou organiques, cependant on observe dans les animaux quelque chose d'analogue aux sentiments des deux autres classes. On peut du moins reconnaître dans plusieurs de leurs habitudes, de leurs déterminations et de leurs actions,

la disposition à des sentiments d'un ordre plus élevé. D'un autre côté, les facultés qui, dans l'homme, donnent lieu au développement complet des sentiments qu'on appelle intellectuels et moraux, constituant pour lui, à l'égard des animaux, une différence de nature impossible à méconnaître, modifient tellement en lui les sentiments du premier ordre, ou les sentiments physiques, qu'ils ne peuvent plus être et ne sont réellement plus les mêmes que dans les animaux.

§ 3. Sentiments physiques ou organiques; Passions qui en naissent.

La plupart des sentiments de cet ordre se manifestent dès les premiers moments de l'existence, et ne cessent de se reproduire que quand la vie ellemême est éteinte. Ce sont pareillement ceux qui, dans certains cas, ont le plus de violence ou d'énergie, au moins momentanée; et par-là ils semblent manifester avec évidence la fin pour laquelle ils ont été donnés à l'homme et aux animaux; je veux dire la conservation des individus et la perpétuité des espèces. La faim, la soif, la lassitude (c'est-à-dire le besoin de repos ou de mouvement), l'attrait réciproque qui rapproche les individus de différent sexe dans une même espèce, la colère ou l'irritation soudaine que presque tous éprouvent chaque fois qu'il

s'agit de repousser un mal ou un danger dont ils sont menacés par quelque être animé, de même ou de différente espèce, pour peu que les forces soient à peu près égales de part et d'autre ; le même sentiment, manifesté avec encore plus d'énergie par les animaux d'un grand nombre d'espèces, pour la défense de leurs petits: tout cet ensemble de phénomènes nous révèle hautement la loi de conservation au maintien de laquelle il a été approprié par une cause souverainement puissante et intelligente.

Divers degrés de souffrance toujours croissants, malaise, désir, besoin, ) déterminent la suite d'actions par lesquelles l'homme parvient à s'en affranchir, et qui font succéder à la douleur des sentiments de plaisir plus ou moins vifs, selon la nature et les qualités des objets ou des êtres qui en sont la cause ou l'occasion. Mais j'ai indiqué précédemment * de quelle manière ce genre de circonstances sollicite et met en action les diverses facultés de son entendement. La connaissance que l'homme acquiert ainsi des objets propres à lui procurer ces divers genres de plaisir, les mots qui lui servent à en fixer dans sa mémoire les circonstances et les détails, lui en rendent aussi les fréquents retours plus désirables; en sorte qu'ils finissent quelquefois par occuper presque

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