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que

ces

qu'il est possible, on peut les classer, suivant leurs degrés d'analogie ou de ressemblance, de manière à ce que les divisions dans lesquelles on les range soient subordonnées les unes aux autres, et se comprennent réciproquement. C'est ainsi l'on est parvenu à former, dans les sciences naturelles, vastes tableaux de tous les êtres (divisés en espèces, genres, ordres, classes, etc.), auxquels on a donné le nom de Méthodes. Sur quoi il est à remarquer que ces tableaux, ou méthodes, se sont étendus et perfectionnés, dans chaque science, comme cela devait être, à mesure que l'on y a appliqué une observation plus étendue, plus approfondie, plus complète. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer, dans la botanique, par exemple, les systèmes successifs de Tournefort, de Linné et de M. de Jussieu, ou ceux des savants les plus célèbres, dans la zoologie et dans la minéralogie.

Aussi est-il aujourd'hui reconnu par tous les naturalistes que la méthode qu'ils appellent naturelle, dans laquelle on emploie à la fois tous les caractères qu'il est impossible de constater par tous les moyens que peuvent fournir l'observation, l'analyse et les expériences, serait la plus parfaite. « Dans une telle

méthode, dit M. Cuvier, les êtres du même genre << seraient plus voisins entre eux que ceux de tous les << autres genres ; les genres du même ordre, plus que « ceux de tous les autres ordres, et ainsi de suite.

« Cette méthode, ajoute-t-il, serait l'idéal auquel <«<l'histoire naturelle doit tendre; car il est évident que << si l'on y parvenait, on aurait l'expression exacte et

complète de la nature entière. En effet, chaque être « est déterminé par ses ressemblances et ses diffé<rences avec d'autres, et tous ces rapports seraient << parfaitement rendus par l'arrangement que nous << venons d'indiquer.En un mot, la méthode naturelle << serait toute la science, et chaque pas qu'on lui fait << faire approche la science de son but *. »

Dans les sciences morales et politiques, sans doute on ne saurait se permettre de tenter aucune expérience proprement dite. Car il n'est pas permis au moraliste ou au publiciste, s'il en avait le pouvoir, de hasarder des essais dont le résultat favorable ne

serait pas à peu près certain; pas plus qu'il n'est permis au médecin, dans une maladie grave, de risquer l'emploi d'un remède dont l'effet avantageux ne lui est pas à peu près démontré. Mais malheureusement, dans la législation, et par conséquent dans la morale qui y est si étroitement unie, les expériences les plus hasardeuses ont été tentées un nombre infini de fois par presque tous les gouvernements de quelque nature qu'ils fussent, qui se sont succédé dans les diverses contrées de la terre. Leurs histoires en sont un immense recueil, où l'on peut puiser des

* Voyez le Règne animal, distribué d'après son organisation, tom. I, Introd. p. 11 et 12.

renseignements assez certains sur toutes les combinaisons qu'il est possible de faire, en fait de finances, de commerce, d'administration et d'institutions publiques et politiques de toute espèce. C'est en étudiant ainsi l'influence de tant de causes diverses sur le vice ou sur la vertu, sur le bonheur ou le malheur des individus, en joignant à cette étude l'observation directe du jeu des forces morales et matérielles dont la société est le théâtre, qu'on peut acquérir des connaissances positives sur un sujet aussi important. Ces connaissances peuvent, à leur tour, en éclairant la critique d'une lumière plus abondante et plus sûre, jeter un nouveau jour même sur l'histoire des temps passés, et préparer de meilleures destinées aux générations à venir.

On peut de même considérer comme des expériences sur la nature humaine, dans l'idéologie et dans les sciences morales, les différents états d'infirmité et de maladie dont on n'a que trop d'occasions de constater les effets sur nos facultés intellectuelles. Ainsi l'observation des aveugles et des sourds de naissance, celle des altérations notables et constantes des organes des sens dans quelques individus, les états nerveux qui ont été décrits et caractérisés avec soin, avec sagacité et surtout avec sincérité par d'habiles observateurs, ont déjà fort étendu et peuvent sans doute accroître encore beaucoup nos connaissances en ce genre. Ici donc, l'observation qui peut,

comme on voit, tenir, jusqu'à un certain point, lieu de l'expérience directe, peut être, comme celle-ci l'est dans les sciences naturelles, une source de nombreux et précieux avantages. L'un et l'autre moyen employés avec sagesse et discrétion, sans précipitation, sans préoccupation favorable ou contraire à quelque théorie ou système que ce soit, ou pour quelque vue de fortune ou de réputation, sont éminemment propres à nous conduire à l'explication des phénomènes, c'est-à-dire à nous en faire reconnaître la suite et l'enchaînement constant et régulier. En un mot, l'expérience dans le sens étendu que nous lui donnons ici, en expliquant les causes, fait disparaître le miracle, comme dit Bacon, et contribue à rendre plus facile et plus sûre la destruction des préjugés ou des idoles *.

§ 5. 2o Analogie et ses modes (conjectures, hypothèses), procédé provisoire.

A. Analogie. La même faculté naturelle, au moyen de laquelle nous parvenons à connaître les objets, nous fait en même temps remarquer ceux qui ont entre eux quelque ressemblance. C'est de tous les rapports celui que nous saisissons le plus

* Causarum vero explicatio tollit miraculum... Ad ex-· tirpationem idolorum ex intellectu faciliorem et clementiorem multum juvat (Nov. ORGAN., 1. I, Aphor. 70).

promptement et le plus facilement. C'est aussi, comme nous venons de le dire, celui dont l'observation nous sert particulièrement dans l'une des opérations les plus importantes au progrès de nos connaissances, la distribution des êtres en espèces, genres, ordres, classes, etc. Or, on appelle analogie cette similitude plus ou moins frappante ou éloignée, que nous avons occasion de remarquer entre les objets de notre perception ou de notre réflexion, et l'on désigne aussi par le même nom le procédé de notre esprit, lorsqu'il s'attache plus spécialement à la considération de cette espèce de rapports.

Mais non seulement l'analogie nous aide à classer les êtres selon leurs degrés de ressemblance, à mesure que nous observons entre eux un nombre plus ou moins grand de qualités, de propriétés, etc., qui sont les mêmes ou qui diffèrent peu les unes des autres; elle nous donne encore, dans certains cas, une connaissance, en quelque sorte, anticipée de plusieurs points de ressemblance qui ne se manifestent pas immédiatement à nos sens, ou à notre esprit. Car, lorsqu'en observant un objet nouveau, ou que nous ne connaissons encore qu'imparfaitement, nous y remarquons quelques qualités ou quelques propriétés d'un autre objet qui nous est mieux connu, nous sommes naturellement portés à présumer qu'il peut avoir encore plusieurs autres propriétés qui lui soient communes avec celui-ci, quoiqu'elles ne se

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