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et qui inspire les actions et les dispositions les plus désintéressées.

Ainsi c'est par un examen exact et scrupuleux de la conscience philosophique, s'il le faut ainsi dire, que l'on peut s'assurer de réunir toutes les conditions qu'exige l'emploi légitime et régulier de nos facultés, ou leur application à la recherche de la vérité; et la conscience morale, tout importante et indispensable qu'elle soit, n'est cependant qu'une partie de cette conscience philosophique dont nous parlons.

§ 4. Des procédés de la Méthode.

Quel que soit le sujet, l'objet ou le système d'objets que l'on entreprend de connaître, ou de faire connaître à d'autres, on est naturellement conduit à employer une suite de moyens ou de procédés, qui, bien qu'ils varient à certains égards, suivant la différence des objets auxquels ils s'appliquent, ont néanmoins un fonds de ressemblance et presque d'identité qui les a fait désigner, dans tous les cas, par les mêmes noms. Il est impossible, par exemple, qu'on ne donne pas à l'objet qu'on veut connaître une attention plus particulière et plus suivie qu'à aucun autre ; que l'on n'y remarque pas Jos parties, des qualités, des propriétés diverses, q l'on désignera par des mots déja connus et employés pour cela, ou que l'on imaginera, au besoin,

dans cette vue. Ces mots, que l'on se rappellera chaque fois qu'on voudra se rendre compte de ce qu'on sait sur cet objet, ou le communiquer aux autres, seront un moyen de le recomposer, en quelque manière, d'autant de parties, de qualités, etc., qu'on y en avait remarqué d'abord, et dans lesquelles on l'avait décomposé. On pourra même, à mesure qu'on aura occasion de recommencer ces deux sortes d'opérations inverses, reconnaître, dans l'objet proposé des parties, des détails, des rapports qu'on n'avait pas observés jusque-là, et les désigner par de nouveaux noms, jusqu'à ce que cet objet soit, ou semble être parfaitement connu.

Par ces deux moyens, auxquels on a donné les noms d'analyse (ou décomposition), et de synthèse (ou composition), on parviendra sans doute à distinguer l'objet proposé, de tous ceux qui ne seraient pas au moins de la même espèce que lui. Mais si l'on veut connaître, autant que cela est possible, sa nature intime, ses divers modes d'existence, ses rapports avec un nombre plus ou moins grand d'autres objets, sur lesquels il peut agir, ou qui peuvent agir sur lui, les modifications qu'il peut leur donner ou recevoir d'eux, il est clair qu'il faut recourir à des moyens d'analyse plus compliqués ou plus puissants que ceux que peut fournir la simple observation des phénomènes spontanés que présente l'objet que l'on veut connaître. Il faut le

placer à dessein dans des circonstances où les rapports et les modifications que l'on cherche à connaître pourront se manifester; il faut multiplier et varier ces circonstances, de toutes les manières et par tous les moyens qui seront au pouvoir de l'observateur. Or, c'est ce nouveau mode d'analyse et d'observation, auquel on donne plus particulièrement le nom d'expérience.

Cependant des rapports de ressemblance, de nombre, de symétrie, dans les parties, qualités ou propriétés des différents êtres et des divers objets que l'on a occasion d'observer, se manifestant d'abord spontanément, commencent déjà à les unir jusqu'à un certain point entre eux, à en former comme des groupes, liés les uns aux autres par ces traits de ressemblance, ou par ces analogies. La mémoire et les associations d'idées suggèrent d'autres analogies qu'on ne voit pas encore, mais que celles qu'on voit autorisent à soupçonner, et qui ne sont ne sont par conséquent jusque-là que des conjectures. Elles ne peu

vent donc devenir de nouvelles et véritables richesses pour la science, qu'autant qu'elles auront été vérifiées et confirmées par de nouvelles observations, de nouvelles analyses, de nouvelles expériences, qui ne laissent plus aucun doute sur la réalité des faits qu'on ne pouvait d'abord que soupçonner. C'est ainsi qu'on arrive en effet quelquefois à lier entre eux un nombre assez grand d'existences et de phénomènes de

différents genres, à les rattacher tous, en quelque sorte, à un fait, à un rapport principal, qui, les coordonnant ou les subordonnant de diverses manières les uns aux autres, sert à les expliquer tous, c'est-à-dire à en faire saisir l'enchaînement, en sorte que celui qui prend la peine de les étudier, ou qui se rend attentif à l'exposition qu'on lui en fait, puisse en concevoir l'ensemble et en parcourir les détails avec sûreté et facilité.

Mais jusqu'à ce qu'on scit arrivé à ce point, il a fallu faire pour ces grandes masses d'existences et de phénomènes, ainsi coordonnés, ce qu'on avait fait pour certains phénomènes particuliers et pour quelques groupes de faits et d'êtres, de la liaison desquels on était parvenu à s'assurer par des conjectures. En un mot, il a fallu faire des hypothèses, anticiper dans sa pensée le fait ou le rapport unique, qui devait servir de lien commun à différents groupes, vérifier encore par des observations, par des analyses et par des expériences le plus ou moins de fondement des hypothèses que l'on tentait. Car tant que cette vérification n'est pas faite, tant qu'on ne s'est pas assuré, par les moyens qui viennent d'être indiqués, de la réalité du rapport ou du fait général que l'on assigne comme cause de tous les faits qu'on prétend unir par son moyen, l'hypothèse demeure ce qu'elle était, une supposition purement gratuite. Au contraire, quand elle est justifiée d'une ma

nière incontestable, quand tous les phénomènes, toutes les existences, tous les rapports qu'elle prétend expliquer, semblent se coordonner comme d'euxmêmes et se placer sans effort, sans la moindre altération, et précisément tels que les donne l'observation la plus sévère, dans le système dont ils font partie, alors l'hypothèse est une véritable théorie. Elle est l'expression exacte et fidèle de la vérité dans cet ordre de choses; elle est enfin le résultat de ce qu'on appelle induction, et d'une légitime interprétation de la nature.

Ainsi, les procédés de la méthode et ses divers modes peuvent se réduire à trois manières générales de traiter ou de considérer les objets de notre étude, et les sujets plus ou moins étendus ou complexes que nous entreprenons de connaître avec toute l'exactitude où nos facultés puissent atteindre. Nous pouvons ou les observer avec soin, tels qu'ils s'offrent naturellement à notre attention; ou les analyser dans leurs parties les plus faciles à considérer séparément les uns des autres, et nous assurer, par des synthèses répétées, de la vérité de nos analyses; ou partir de quelques analogies frappantes, qui, nous suggérant des conjectures probables, nous conduisent à des hypothèses dont la vraisemblance permette de considérer un grand ensemble de faits, comme unis entre eux par un lien commun; et enfin, nous assurer que ces hypothèses sont la vérité même, et

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