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action. Mais la plus légère attention sur nousmêmes, et sur ce qui se passe incessamment sous nos yeux, peut nous convaincre que cette faculté a une influence directe et constante sur la suite de nos pensées et de nos déterminations, dans presque tout le cours de notre vie, et qu'elle suit entièrement les mêmes procédés que nous venons de décrire dans un genre d'applications où ils sont seulement plus faciles à observer et à constater. Qui ne voit, en effet, que nos besoins, nos désirs, nos passions, et cette alternative continuelle de craintes ou d'espérances qui en sont l'effet ou le résultat nécessaire, donnent à chaque instant lieu à un travail de l'imagination, tout-à-fait semblable à celui dont nous avons offert plusieurs exemples dans l'article précédent? Qui ne voit que ce travail, bien qu'il se fasse avec une rapidité et une facilité telles, qu'il nous est, la plupart du temps, impossible d'avoir conscience des actes de volonté qui l'accompagnent, ne consiste pas moins à choisir et à combiner entre elles des associations d'idées, ou des parties de divers systèmes d'idées associées, de manière à tromper, au moins pour quelques instants, la souffrance réelle qui se joint toujours aux besoins ou aux désirs qui ne sont pas satisfaits? L'expression proverbiale et populaire, bátir des châteaux en Espagne, qui est usitée dans notre langue, représente même, par une métaphore assez appropriée, ce genre de phénomènes de l'en

tendement, puisqu'elle indique clairement les actes de volonté qui s'y joignent.

Il peut cependant paraître étrange, et presque contradictoire, que la volonté préside à ces combinaisons de l'imagination qui sont un tourment véritable pour celui qui s'y livre comme il arrive quelquefois aux personnes agitées d'une crainte vive, et presque habituellement à celles qui ont un caractère soupçonneux ou défiant. Mais ce travail de l'imagination est si incontestablement dirigé encore par la volonté, qu'il n'est, en dernier résultat, qu'un effort de la passion qui cherche, en quelque manière, à se justifier aux yeux de la raison, et qui parvient trop souvent, par son énergie prédominante, à triompher d'elle. Que sera-ce dans les occasions où l'imagination et la volonté agissent avec un concert et un accord que rien ne trouble, et où la passion semble avoir droit à l'approbation de la raison même la plus sévère, comme c'est le cas pour l'enthousiasme religieux, politique, ou même philosophique? Car certaines doctrines purement abstraites ont aussi leurs enthousiastes, dont le zèle ardent finit par devenir presque un véritable fanatisme.

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Aucun philosophe n'a, ce me semble, mieux décrit les efforts et le pouvoir de l'imagination, n'a présenté un tableau plus vrai des ressources dont elle dispose, que Malebranche, qui a été toute sa vie si complètement dupe de la sienne : « L'imagination

ment le produit du sentiment et de ses effets sur la volonté et sur l'imagination, que c'est surtout dans les masses d'hommes ignorants et grossiers qu'on les a vus se manifester d'une manière plus éclatante, et souvent à l'occasion de dogmes ou d'opinions aussi complètement inintelligibles pour ceux qui les soutenaient avec le plus de chaleur, que pour ceux qu'ils entreprenaient de persuader et de convaincre. On ne peut donc se faire des idées exactes de l'ensemble et de la prodigieuse variété des déterminations produites par la volonté et par ses divers modes, qu'en remontant aux causes qui agissent immédiatement et directement sur elle, comme nous le ferons voir dans les chapitres suivants.

CHAPITRE II.

Des Sentiments et des Passions.

SI. Nature et effets des Sentiments.

Notre sensibilité, au moyen des modifications variées à l'infini dont elle est susceptible, établit entre nous et tous les objets de l'univers, dont il nous est possible d'avoir quelque connaissance, diverses sortes de relations, qui nous en révèlent certaines qualités. Ces modifications de la sensibilité, qui se

hommes une influence si puissante, une si grande séduction, que ceux-ci sont presque dans l'impossibilité de s'y soustraire? Il me semble qu'en observant avec attention tous les phénomènes de cet ordre, on reconnaîtra, en dernier résultat, que la force de l'imagination dépend surtout de la force de la volonté, et celle-ci de l'énergie des sentiments. Voilà pourquoi les hommes qui ont peu de sensibilité ont aussi peu d'imagination, pourquoi ceux qui ont une grande exaltation de sentiments, en quelque genre que ce soit, ont aussi une imagination vive et forte, mais plus particulièrement remarquable dans tout ce qui se rapporte à leur passion dominante, amour, ambition, zèle religieux, zèle patriotique, etc. Quant à l'influence que quelques individus exercent, par la force de leur imagination, sur des multitudes nombreuses, et quelquefois pendant un certain temps sur une partie de leurs contemporains, elle a pour cause, outre l'énergie de leurs sentiments, la prédisposition, s'il le faut ainsi dire, des esprits sur lesquels on agit, et qui partagent, en grande partie, les sentiments ou les opinions dont on les entretient. Il s'y joint encore, dans les réunions nombreuses, le penchant naturel des hommes à l'imitation, et l'effet d'une sorte de sympathie qui s'augmente merveilleusement par la réaction des imaginations les unes sur les autres.

Tous ces phénomènes, au reste, sont si évidem

ment le produit du sentiment et de ses effets sur la volonté et sur l'imagination, que c'est surtout dans les masses d'hommes ignorants et grossiers qu'on les a vus se manifester d'une manière plus éclatante, et souvent à l'occasion de dogmes ou d'opinions aussi complètement inintelligibles pour ceux qui les soutenaient avec le plus de chaleur, que pour ceux qu'ils entreprenaient de persuader et de convaincre. On ne peut donc se faire des idées exactes de l'ensemble et de la prodigieuse variété des déterminations produites par la volonté et par ses divers modes, qu'en remontant aux causes qui agissent immédiatement et directement sur elle, comme nous le ferons voir dans les chapitres suivants.

CHAPITRE II.

Des Sentiments et des Passions.

S. Nature et effets des Sentiments.

Notre sensibilité, au moyen des modifications variées à l'infini dont elle est susceptible, établit entre nous et tous les objets de l'univers, dont il nous est possible d'avoir quelque connaissance, diverses sortes de relations, qui nous en révèlent certaines qualités. Ces modifications de la sensibilité, qui se

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