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et dans la valeur des termes, et par conséquent elle n'est pas absolue, même dans la géométrie et dans l'algèbre. Car ces sciences sont fondées sur deux ou tróis faits primitifs, fort simples à la vérité, mais qui dépendent pourtant de notre constitution intellectuelle et de notre organisation, lesquelles sont visiblement des données contingentes *.

§ 2. Certitude et Preuves.

Nous connaissons un nombre, en général, fort considérable, d'existences et de faits du monde extérieur et matériel, sur lesquels aucun homme jouissant de sa raison et de toutes ses facultés ne peut concevoir le moindre doute; il en est de même d'une multitude d'événements qui se passent incessamment sous nos yeux, ou qui se sont passés à des époques plus ou moins éloignées du moment actuel, et dont notre mémoire conserve un souvenir fidèle. Dans tous ces cas-là nous avons la plus entière certitude de la réalité de ces faits. C'est donc sur la certitude que sont fondées toutes nos connaissances, et par conséquent sur des vérités de fait, ou contingentes, puisqu'il n'y a de nécessaires que quelques unes de celles qui sont énoncées par des propositions générales, ou par d'autres propositions, également générales, qui sont des déductions logiques de celles-là.

* Voyez ci-dessus, chap. II, § 3.

Mais nous n'avons de certitude immédiate que des connaissances qui sont le résultat de nos propres observations et de la conscience que nous avons des opérations de nos facultés individuelles. Or, il n'est personne qui ne voie que c'est, pour chaque individu, une infiniment petite partie de tout ce qu'il peut savoir. A quelque période de sa vie qu'il soit actuellement parvenu, ce qu'il a pu apprendre, depuis sa plus tendre enfance, par la lecture, par la conversation, par les leçons de ses instituteurs, en forme la portion sans comparaison la plus considérable. La certitude que chaque homme a de ce qu'il sait n'est donc pas et ne saurait être, à beaucoup près, immédiate. Elle se fonde, en très grande partie, sur les témoignages et les récits d'un nombre presque infini d'autres hommes qui se sont transmis successivement le dépôt des faits ou des événements, soit de la nature, soit de l'humanité, et dont la connaissance a été quelquefois pour très peu d'entre eux le résultat d'une observation immédiate ou d'une expérience directe.

L'évidence, comme nous l'avons dit, n'a point de degrés et n'est susceptible ni de plus, ni de moins et il en est de même de la certitude. Cependant il est facile de voir que celle qui résulte pour chaque individu de l'exercice de ses propres facultés, a du moins un degré de clarté et de vivacité, qui ne peut jamais se rencontrer dans celle qui n'est que l'effet

de la confiance que nous avons dans les facultés des autres hommes. La première sorte de certitude a pour elle l'autorité irrésistible qui accompagne tous les faits de conscience, et que rien au monde ne peut ni balancer, ni égaler. En effet, quoique je ne sois pas plus assuré de l'existence de la ville de Paris, que je le suis de celle de la ville de Rome, que je n'ai jamais vue, ma certitude, dans ces deux cas, si elle est du même genre et du même degré, n'est pourtant pas de même espèce. Je ne doute pas plus des principales vérités de l'astronomie, de la physique et de la chimie, que si j'avais répété moi-même les observations et les expériences sur lesquelles elles sont fondées; mais ma certitude, à cet égard, n'est pas de même nature que celle des hommes qui ont euxmêmes pratiqué, ou qui pratiquent chaque jour, ces observations et ces expériences.

Lorsque la certitude n'est pas immédiate, elle peut être produite par des moyens auxquels on donne le nom de preuves. Dans les sciences physiques et naturelles, ces preuves sont fournies par des observations assidues, par des expériences multipliées et dirigées avec méthode, et du résultat desquelles on peut s'assurer par soi-même, si on le veut, au moins pour les faits les plus importants. La certitude produite par ce genre de preuves peut en conséquence être appelée physique.

Quant aux faits ou aux événements qui se passent

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incessamment au sein des sociétés humaines, il est évident que non seulement quelques-uns de ceux qui ont eu lieu depuis les époques les plus reculées dont il reste quelque souvenir, mais même la presque totalité de ceux qui se passent actuellement, n'ont jamais pu être et ne sont l'objet d'une certitude immédiate, que pour un très petit nombre d'individus. Ainsi l'histoire ancienne et moderne des différents peuples, et les diverses branches qu'elle embrasse (politique, guerres, religion, sciences et arts, etc.), celle de certains événements extraordinaires, de quelques phénomènes rares, sur la terre ou dans les cieux, ne peut nous être connue que par les récits qu'en ont faits quelques personnes qui en furent témoins, ou qui même les avaient entendus de la bouche de ceux qui en avaient eu la connaissance immédiate. L'on ne peut donc guère y prendre confiance, qu'autant qu'on est assuré que les auteurs de ces récits n'ont pu être ni trompeurs, ni trompés, ou qu'ils avaient la sincérité et le degré de lumières et d'intelligence nécessaires pour bien apprécier les faits qu'ils nous ont transmis.

Or, si l'on considère ce qui se passe presque chaque jour dans les procès criminels, par exemple, où les juges et les jurés sont appelés à constater les faits qui leur sont dénoncés, les procès-verbaux dressés presque au moment même du délit, quand cela est possible, les interrogatoires subis par l'ac

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cusé et par les témoins du fait incriminé, ou par les personnes qui peuvent, soit directement, soit indirectement, fournir quelques renseignements sur les antécédents, le caractère, les mœurs, les habitudes, de ceux qui sont intéressés dans la cause, la nécessité de comparer le nombre et la valeur des témoignages contradictoires, d'apprécier chaque témoignage d'après la sincérité connue ou présumable, d'après le degré d'instruction ou d'impartialité que l'on est autorisé à supposer à chaque témoin, on aura une idée des conditions nécessaires pour produire la certitude des faits de ce genre, et, en général, de tous ceux où les passions et les affections des hommes interviennent de quelque manière que ce soit. Celle l'on acquiert de cette manière, étant fondée sur les rapports qu'ont les hommes entre eux et sur les témoignages, s'appelle certitude morale.

que

§ 3. Opinion et Probabilité.

On voit assez, par ce que nous venons de dire, combien il est difficile, sur un très grand nombre de faits ou d'événements, de parvenir à une entière certitude, ou d'obtenir un ensemble de preuves assez fortes et assez multipliées pour satisfaire complètement la raison. Cependant c'est surtout l'expérience ou la connaissance du passé qui nous sert à prévoir, jusqu'à un certain point, ce qui peut et doit arriver

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