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dans l'esprit humain, et tantôt, par un essor soudain, elle révèle toute sa force; tantôt, après «< avoir été long-temps obscurcie par d'épaisses té« nèbres, elle finit par s'en dégager, et triomphe du «< mensonge *.»

Au reste, l'erreur ne peut avoir, dans aucun temps et chez aucun peuple, le funeste ascendant que nous venons de lui reconnaître, qu'autant que l'immense majorité de ceux qui lui donnent toute sa force la prennent sincèrement et de bonne foi pour la vérité. Il s'en faut beaucoup que le mensonge ait jamais obtenu ni pu obtenir un pareil triomphe. Quand un système d'opinions ou de conduite est à peu près également reconnu pour faux par ceux qui se croient intéressés à le maintenir ou à l'établir, et par ceux qui le combattent, il est impossible que ce qu'on prétend élever sur un fondement aussi ruineux ne croule pas bientôt de toutes parts. Alors tous les artifices employés à préparer un succès momentané à l'imposture, tournent très promptement à la confusion et à la ruine de leurs auteurs **.

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** Il était inutile sans doute, après tout ce que nous avons dit dans ce chapitre, de s'arrêter sur une prétendue question, qui fut résolue affirmativement dans les anciens temps, par d'illustres philosophes, et qui ne peut l'être aujourd'hui de la même manière, que par de misérables sophistes, ou de méprisables charlatans. L'erreur peut-elle être utile aux hommes? Il faut répondre jamais et dans

CHAPITRE III.

Des caractères de la Vérité, des moyens par les quels ils se manifestent à notre esprit, et des effets qu'ils y produisent.

§ 1. De l'évidence et de la démonstration.

Il y a des vérités qui s'adressent uniquement à notre intelligence, et auxquelles il nous est impossible de ne pas donner un entier assentiment, toutes les fois qu'elles sont énoncées dans des propositions dont nous comprenons clairement tous les termes. Telles sont les suivantes : « Il est impossible qu'une «< chose soit et ne soit pas, en même temps; » — « Deux quantités égales à une troisième, sont égales

aucun cas. Il est pourtant vrai que Platon, dans sa République et dans ses Dialogues sur les lois, prétend qu'un législateur peut et doit même accréditer des fables absurdes au sujet des héros et des dieux, et qu'il y trouvera un moyen utile de gouvernement. Eusèbe, évêque de Césarée, s'autorisant de l'opinion de Platon, prétend également que si les livres sacrés des Hébreux nous représentent Dieu jaloux, ou sommeillant, ou en colère, ou en proie à d'autres passions humaines, c'est uniquement pour l'utilité de ceux qui ont besoin qu'on les trompe par un pareil moyen. (Voyez Euseb. Præparat. Evangel., 1. XII, c. 31. )

« entre elles; » — « Si à des quantités égales on

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‹ ajoute ou l'on retranche des quantités égales, les «< sommes ou les différences seront égales, etc.,» et plusieurs autres propositions de ce genre. La première de celles que nous venons d'énoncer est, en quelque sorte, le fondement de toute notre raison, et de tout ce qu'on appelle vérités nécessaires; on lui donne, en logique, le nom de principe de contradiction. Elle est, sous une autre forme, l'équivalent de la proposition identique: CE QUI EST, EST, dont aucun homme dans son bon sens ne peut songer à contester la vérité, et à laquelle peuvent se ramener, en dernière analyse, toutes les autres propositions de ce genre, car il y en a de telles dans toutes les sciences. Ainsi, en métaphysique, «< toute qualité «< suppose un sujet auquel elle appartient ; » en grammaire « tout adjectif suppose un substantif auquel <«< il se rapporte; » en morale: «< toute action juste << est digne d'approbation; » en législation : « les lois « doivent être conformes à la justice; » en économie politique : << l'utilité donnée aux choses par le travail << de l'homme, en augmente la valeur ou le prix; » et de même, dans les autres sciences.

Le caractère de ces sortes de propositions, que l'on appelle principes, axiomes, ou vérités premières, est l'évidence; et cette évidence est immédiate, parce que leur incontestable vérité résulte d'un simple acte de conception, ou de l'intuition

instantanée du rapport des mots qui les expriment. Mais il y a un nombre incomparablement plus grand de vérités nécessaires dont l'évidence n'est pas immédiate, et ce sont presque toutes celles dont chaque science se compose. Alors leur évidence ne peut résulter que d'un enchaînement de propositions, dans lesquelles l'évidence de la première passe successivement à celles qui la suivent, jusqu'à la dernière, toujours avec le même degré de clarté et de nécessité, condition sans laquelle l'évidence ne saurait avoir lieu. Car elle n'a ni ne peut avoir de degrés; elle est entière et complète, ou bien elle n'existe pas. On donne à un pareil enchaînement de propositions le nom de démonstration; et plus le nombre des faits de perception externe, c'est-à-dire d'observation et d'expérience, qui servent de fondement à une science, est limité, plus elle comprend de ces vérités nécessaires qui sont ou d'évidence immédiate, ou susceptibles d'être démontrées.

Voilà pourquoi les mathématiques que l'on appelle pures (l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie, etc.), sont mises au premier rang dans ce genre, et pourquoi l'on peut placer immédiatement après elles les sciences physico-mathématiques, comme la mécanique, l'optique et leurs diverses branches, auxquelles le calcul et la géométrie peuvent être appliqués, parce qu'elles comprennent un nombre plus ou moins grand de propositions qui participent à l'é

vidence propre aux mathématiques pures, et peuvent par conséquent être démontrées. Les autres sciences, au contraire, ont d'autant moins de ces sortes de propositions, qu'elles se fondent sur l'observation d'un plus grand nombre de phénomènes divers. Aussi les suites de propositions par lesquelles s'opère la démonstration dans les mathématiques, sont-elles sans comparaison beaucoup plus étendues que dans aucune autre science. La métaphysique, par exemple, qui est peut-être au troisième rang dans cet ordre de considérations, n'a guère de démonstrations qui exigent plus de trois ou quatre propositions successives; et les sciences naturelles, comme la zoologie, la botanique, la chimie, etc., n'ont que très rarement occasion d'employer des raisonnements démonstratifs, et empruntent aux autres sciences le petit nombre de ceux qu'elles emploient.

Enfin, ce qui caractérise les propositions qui servent à la démonstration, et où l'évidence propre à la première se manifeste dans celles qui la suivent, c'est l'identité des rapports qu'elles expriment, et qui se montre dans chaque proposition sous des formes différentes. Cette identité de rapports est bien plus sensible dans les démonstrations mathématiques, parce qu'elle est une quantité déterminée, ou susceptible de l'être, tandis que, dans les autres sciences, elle est un fait d'expérience ou d'observation. Ainsi la nécessité est toujours dans les propositions

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