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cun autre pouvoir que de celui des lois, lesquelles doivent seules régler le mode d'exercice des fonctions et celui de l'avancement dans les dignités de cet ordre de citoyens. Il faut de plus que la conduite des juges, dans l'exercice de leurs fonctions, soit continuellement exposée au grand jour de la publicité, et que leurs arrêts soient fondés sur les déclarations préliminaires d'un jury d'accusation et d'un jury de jugement, composés aussi de véritables jurés, sur le choix desquels ni les juges, ni le gouvernement, ne puissent exercer aucune influence.

De la sûreté des personnes dépend évidemment, en grande partie, celle des propriétés. Car la première et la plus imprescriptible de toutes les propriétés est incontestablement " pour chaque individu, celle de sa personne et de ses facultés de tout genre; toutes les autres ne sont que le résultat ou le produit de celle-là. La force musculaire du simple manœuvre, l'intelligence et l'adresse de l'ouvrier, les talents et les combinaisons qu'exige une industrie active et étendue, tous les moyens personnels enfin qu'employe chaque individu pour exister, ou pour faire exister sa famille avec plus ou moins d'aisance, sont assurément des propriétés plus directes, plus immédiates, et aussi sacrées que des terres, des maisons, ou toute autre fortune mobilière ou immobilière. C'est donc par un préjugé également absurde et injuste que l'on a regardé, presque de tout temps, la

propriété territoriale comme le type et la source de toutes les autres, et comme méritant presque seule la protection des lois.

Par conséquent on doit regarder comme des violations du droit sacré de propriété tous les réglements, décrets ou ordonnances qui entravent, sans nécessité et sans des motifs d'utilité publique bien constatée, la pleine et entière liberté du travail et de l'industrie. De ce genre sont l'établissement de toute corporation autorisée à exécuter de certains travaux, qui, dès-lors, sont interdits à tous ceux qui voudraient en entreprendre de pareils, sans être, en quelque sorte, enrégimentés dans ces corps; l'obligation de s'abstenir de tout travail, pendant un nombre de jours plus ou moins grand, imposée par l'autorité ecclésiastique, usurpant en cela le pouvoir temporel qui ne lui appartient pas; la limitation arbitraire du nombre des individus à qui il sera permis d'exercer certaines professions; les prohibitions relatives à l'importation ou à l'exportation de certains produits, ou de certaines denrées; l'excès ou la mauvaise assictte, ou l'inégale et injuste répartition des impôts, etc. « C'est la nature qui fait l'or«< dre, dit à ce sujet un illustre écrivain, c'est le despotisme qui le dérange. Le déréglement le plus << monstrueux est celui qu'engendrent les réglements << arbitraires et superflus *. »

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Voyez l'Essai sur les garanties individuelles, etc., par

S 5.2° Liberté des opinions et des sentiments, droit de les manifester, quand on le croit utile.

Tout le monde convient qu'il n'y a rien de plus incoercible, rien qui soit plus hors des atteintes de la force matérielle et de l'autorité de ceux qui en disposent, que les sentiments intimes, les opinions et les croyances des hommes. On convient même encore assez généralement qu'il n'y a rien qui soit aussi peu susceptible d'être changé ou modifié par l'action de cette même force. Aussi n'est-ce pas précisément les opinions que les gouvernements prétendent interdire, c'est leur libre manifestation. Ils croient qu'elle peut, dans bien des cas, avoir de graves dangers pour la société, et ils réclament pour eux-mêmes le droit de juger quelles seront ces opinions qui peuvent être dangereuses, et dans quelles circonstances, celles même qui seraient irréprochables, ne peuvent être manifestées sans inconvénient. Or, c'est substituer au rôle de protecteurs, que la loi et la raison leur assignent, celui d'instituteurs et de tuteurs de la société *; c'est substituer les opinions, les

M. Daunou. Cet ouvrage, l'un des plus instructifs et des plus importants que l'on ait composés sur cette matière, doit être étudié et médité par tous ceux qui désirent de se faire des idées saines et raisonnables sur le bon ordre des sociétés politiques.

* Parce

que

les hommes qui sont dans les hautes fonctions de l'administration disposent de plus de richesses et de

que

sentiments et les passions des hommes du pouvoir, ou de leurs agents, aux opinions ou aux sentiments la libre discussion et la contradiction tendraient à rapprocher de plus en plus de ce qui est vrai, juste, et par conséquent utile au public. C'est donc dans cette prétention des gouvernements qu'est le danger véritable, et l'un des plus graves, auxquels la société puisse être exposée.

Les opinions et les sentiments que manifeste un citoyen, peuvent intéresser de simples particuliers comme lui: et toutes les fois que cette manifestation peut nuire à l'honneur, à la considération, à la sûreté ou à la sécurité de ceux-ci, elle rentre dans la classe des délits privés, que la loi doit pouvoir atteindre et punir dans presque tous les cas. Mais si cette manifestation porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'un homme qui remplit des fonctions publiques, et à raison de ces fonctions mêmes, il est clair qu'elle n'est un délit réel et punissable,

puissance que n'en peut avoir aucun particulier, la plupart d'entre eux s'imaginent aussi qu'ils sont plus sages, plus prudents, plus éclairés que tous les autres citoyens. Mais c'est une illusion dont il leur serait facile de se garantir, s'ils réfléchissaient que, comme ils ne sont riches et forts que de la richesse et de la force publique, ils ne peuvent aussi être raisonnables et éclairés que de la raison et des lumières publiques. Il faut donc qu'ils les laissent se développer et se manifester librement, car ce n'est que par ce moyen qu'elles peuvent arriver jusqu'à eux.

qu'autant que les faits sur lesquels elle s'appuie seraient inexacts ou entièrement faux, et qu'alors seulement ils constitueraient le délit d'outrage et de calomnie que la loi doit punir. Il ne semble pas moins évident que sur toutes les questions purement spéculatives, sur les lois et les institutions existantes, sur la conduite générale des affaires, et sur l'esprit et les procédés de toutes les classes de fonctionnaires publics, la manifestation des opinions et des sentiments d'un individu ne peut être considérée et punie comme un délit, qu'autant qu'elle serait accompagnée d'outrages envers les personnes, ou de provocation à la révolte, à la désobéissance aux lois et aux magistrats.

Sauf ces exceptions, la loi doit donc garantir à tout individu la libre manifestation de ses sentiments et de ses pensées, par des paroles, par des écrits, par la voie de la presse et par tous les moyens qui peuvent servir à cette fin. Cette liberté, qui ne peut avoir pour les particuliers que les inconvénients nécessairement attachés à toutes les institutions humaines, n'en a presque aucuns pour le public. Elle a, au contraire, pour lui, des avantages que rien ne peut compenser, puisqu'elle est la sauve-garde la plus précieuse, la plus sûre garantie de toutes les autres libertés. Car elle est l'un des plus puissants moyens de contenir dans le devoir les dépositaires de la puissance publique, presque sans cesse exposés à la

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