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§ 3. De la liberté civile ou politique; des conditions nécessaires à son existence.

En effet, la liberté, sous le rapport civil ou politique, est le contraire de l'esclavage: la première de ces deux notions (essentiellement corrélatives), a besoin, pour être bien comprise, d'être opposée à la seconde, qui est susceptible d'une définition, ou plutôt d'une description plus précise et plus immédiate. L'esclave dépend d'un maître à qui il appartient, pour ainsi dire, corps et ame; dont il est la propriété. Celui-ci peut impunément l'injurier, le frapper, il peut même lui ôter la vie, dans un moment de colère, ou la lui faire perdre par une longue suite de souffrances et de mauvais traitements. L'emploi de toutes les facultés de l'esclave est consacré au service et à l'utilité du maître, à qui elles appartiennent aussi bien que sa personne. Il ne peut lui rester des fruits de son travail que ce que le maître ne peut pas lui ôter, sans risquer de le perdre, ou que ce qu'il consent à lui en laisser au-delà du plus strict nécessaire. Les pensées ou les sentiments les plus intimes de l'esclave ne peuvent se manifester qu'autant qu'il convient à celui de qui il dépend; et par conséquent, sa conscience, sous le rapport religieux, n'est pas plus libre que tout le reste de son être; car il faudra qu'il adopte, ou paraisse

adopter, la religion de son maître, si celui-ci l'exige, ou bien qu'il se résigne aux plus cruels tourments, quelquefois même à la mort.

Il est évident qu'il n'y a, ni ne peut y avoir de société proprement dite entre deux êtres, dont l'un est, à l'égard de l'autre, dans une situation si violente et si contraire à la nature. Il ne peut exister de véritable société qu'entre des hommes complètement libres et indépendans les uns des autres, en tout ce qui ne touche pas à l'objet spécial de l'association, au but commun qu'ils se proposent d'atteindre. Sous ce rapport seulement chacun d'eux a des obligations, des devoirs auxquels il ne saurait se soustraire, sans encourir des peines, sans donner lieu à de justes plaintes, de la part de ceux dont sa conduite blesse ou compromet les intérêts. Or, d'après ce qui vient d'être dit de l'esclavage, il est facile de se faire des notions exactes de ce qu'est la liberté civile ou politique; il est facile de comprendre dans quel rapport les individus qui ne disposent d'aucun pouvoir, d'aucune autorité dans l'état, sont ou doivent être, à l'égard de ceux qui ont entre leurs mains la force et la fortune publiques.

On comprend, par exemple, qu'il ne peut exister de véritable liberté dans une société politique, qu'autant que les lois y protègent efficacement: 1o La sûreté des personnes et des propriétés, ce qui comprend aussi la liberté des professions et des industries de

toute espèce, qui ne sont pas nuisibles à la société; 2o la liberté des opinions et des sentiments, c'est-àdire de la conscience, et la libre manifestation des pensées ou des idées que l'on peut croire utiles à propager ou à répandre; 3° enfin, l'égalité (civile ou politique) entre tous les membres de la société. Ces

trois conditions sont si nécessairement et si étroite. ment liées entre elles, que l'absence ou la violation fréquente de l'une d'elles met immédiatement en péril, ou peut anéantir presque entièrement les deux autres. Les lois qui se rapportent à ces deux objets, en tant qu'elles règlent à cet égard les devoirs et les droits des citoyens entre eux, sont simplement protectrices de la liberté et de la sûreté des individus; en tant qu'elles règlent les devoirs du gouvernement à l'égard des citoyens, on leur donne le nom de garanties individuelles.

Il n'y a point de gouvernement, sans excepter même les états tout-à-fait despotiques, où les lois et au moins des usages, des coutumes, qui ont, jusqu'à un certain point, force de loi, ne promettent aux sujets quelques unes de ces garanties. Mais il n'y a aussi presque aucun gouvernement, y compris ceux qui les promettent de la manière la plus explicite, qui ne les viole avec plus ou moins de scandale, ou qui ne tente d'en éluder la franche exécution. Il est donc très important qu'elles soient connues et comprises, au moins par le plus grand

nombre des hommes à qui leur fortune ou leur profession laissent assez de loisir pour qu'ils puissent acquérir cette connoissance. Il n'y a presque pas un individu, dans les classes moyennes de la société, qui ne doive, pour son propre intérêt, autant que dans la vue du bien public, s'efforcer de s'en faire des idées justes, et s'appliquer à en propager, autant qu'il lui est possible, l'intelligence et le sentiment. C'est pour cela que nous essayerons ici d'indiquer les principaux motifs qui servent de fondement à ces garanties, et qui en démontrent l'utilité, ou l'indispensable nécessité.

§ 4. 1° Sûreté des personnes et des propriétés.

Toutes les fois et tout autant qu'un homme peut être outragé, maltraité ou gêné, de quelque manière que ce soit, dans sa personne, autant de fois et jusqu'à ce point, il est dans une servitude véritable, à l'égard de celui ou de ceux qui peuvent lui faire subir de pareilles violences, sans qu'il lui soit possible de s'y soustraire ou d'en obtenir réparation. Or, il peut y être exposé dans certains cas où la loi et la force publique qu'elle a instituée pour le protéger, ne sont pas à portée de le faire. C'est ce qui arrive, par exemple, à un voyageur que des brigands attaquent sur une grande route, ou à un citoyen dans la demeure duquel des assassins pénètrent, soit pendant la nuit, soit dans tout autre moment où il est

présumé ne pouvoir ni se défendre lui-même, ni réclamer d'assistance. Aussi rentre-t-il à leur égard dans son droit de défense naturelle, s'il peut, en opposant la force à la force, repousser ou punir ceux qui attentent à sa sûreté.

Mais si les dépositaires ou les agens eux-mêmes de la force publique en font un usage injuste et violent contre lui, alors il n'a plus ni espérance d'être secouru par les témoins de la violence qu'il éprouve, ni aucun moyen de résister avec succès. Il est constitué, par le fait, en état de servitude à l'égard de ses oppresseurs. Il y a donc de leur part, dans ce cas-là, forfaiture et véritable tyrannie. Alors la société tout entière est menacée; car il n'y a plus de sécurité pour aucun de ses membres. Cela arrive, non seulement quand un citoyen est arrêté, détenu, maltraité par les agens de l'autorité, sans motif légal, ou sous de faux prétextes, mais même lorsqu'étant prévenu de quelque délit, ou, si l'on veut, coupable de quelque crime, il éprouve de leur part des traitements barbares que la loi n'autorise pas; ou lorsqu'il est détenu, sans être interrogé dans les délais prescrits par elle. Il y a päreillement tyrannie et atteinte portée à la sûreté des personnes, si un accusé, ou un prévenu, n'est pas traduit devant de véritables juges, c'est-à-dire, devant des magistrats qui jouissent d'une indépendance réelle, qui n'aient ni faveur à attendre, ni persécution à craindre d'au

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