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négligence ou la mollesse peuvent nous en rendre de plus en plus esclaves, et nous précipiter sans retour dans tous les maux qu'elles traînent à leur suite. Nous savons enfin, avec une certitude qui n'admet aucun doute, que nous sommes obligés, dans tous les moments de notre vie, à faire ce que le devoir prescrit, , que nous devons nous abstenir de toute action que la conscience réprouve. Ainsi, tout système de morale, tout plan d'éducation ou de gouvernement, fondé sur la nature et sur la vérité, doit-il tendre invariablement à mettre l'homme, autant qu'il est possible, dans la nécessité de ne vouloir que ce qu'il doit vouloir. En un mot, apprendre à bien vouloir doit être l'étude de toute sa vie; et l'un des moyens les plus efficaces qui puissent le conduire à ce but, c'est de se ménager, autant que possible, le pouvoir de délibérer avant d'agir.

Une dernière observation fort importante sur ce sujet, c'est que les causes qui influent à chaque instant, soit en bien, soit en mal, sur notre volonté, c'est-à-dire nos sentiments de toute espèce, sont fugitifs, instantanés et continuellement variables; au lieu que la raison, destinée à les apprécier, procédant par des notions universelles et invariables, sa tendance nous porte incessamment au bien, au devoir, à la vertu. Elle nous montre le coupable, quel que soit son triomphe, déjà condamné par le jugement de tous les siècles qui l'ont précédé, et voué d'a

vance à l'indignation et au mépris de tous ceux qui doivent le suivre. Enfin, ce jugement et cette tendance de la raison se trouvent confirmés encore par des sentiments de crainte et d'espérance qui s'étendent bien au-delà de cette vie passagère, que nous ne saurions empêcher de naître dans notre ame, et qu'aucun raisonnement ne peut détruire quand ils y sont en

trés.

CHAPITRE V.

Du Sentiment religieux et de son influence sur la vertu et sur le bonheur.

§ 1. Croyance instinctive à l'existence d'êtres invisibles et supérieurs à l'homme. Principe de la religion naturelle.

n'a

Quand il serait vrai que l'on a trouvé quelques peuplades peu nombreuses et sans communication avec le reste de l'espèce humaine, chez lesquelles on pu reconnaître aucune trace ni des idées religieuses, ni des sentiments qui se joignent à ces idées; cela prouverait peut-être que les facultés intellectuelles et morales n'avaient pas encore acquis chez de tels sauvages le degré de développement que suppose ce genre d'idées. Mais il n'en serait pas inoins certain qu'il est un de ceux qui caractérisent

constamment et essentiellement une intelligence telle que la nôtre; car la croyance instinctive à des puissances invisibles, douées d'entendement et de volonté, et, comme telles, pouvant être bienfaisantes ou malfaisantes, est une de celles qui se manifestent le plus promptement et qui entrent le plus facilement dans l'esprit des enfants et des hommes grossiers ou incultes, à tous les degrés où il nous a été possible de les observer.

D'abord, ayant en nous-mêmes la conscience et comme le type d'une intelligence dont toutes les opérations n'ont absolument rien de commun avec les objets extérieurs de perception, ni avec les qualités sensibles par lesquelles ces objets sont distingués les uns des autres et capables d'agir les uns sur les autres, nous sommes naturellement portés à supposer des modifications intimes de même genre, là où nous voyons des formes et des conditions extérieures semblables ou analogues. De plus, la conscience que nous avons de nos pensées, de nos sentiments, de nos affections, comme essentiellement distinctes de tout ce qui, en nous ou hors de nous, peut être un objet de perception externe, nous fait concevoir facilement que toutes ces choses pourraient exister, non seulement sous des formes extérieures entièrement différentes de celles qui nous sont connues, mais là même où rien de perceptible à nos sens n'existerait en effet. Enfin le désir et la

crainte, passions dont les impressions sur le cœur de l'homme sont d'autant plus vives et plus multipliées qu'il est plus ignorant et plus faible, exaltant sans cesse son imagination, lui font promptement réaliser ces suppositions que la constitution même de son entendement lui rend si faciles. Ainsi, toutes les fois qu'il sera frappé de ces grands phénomènes où les forces de la nature se déploient d'une manière si imposante et si terrible, les ouragans, les inondations, les tempêtes, les tremblements de terre, il supposera que l'air, l'eau ou la terre elle-même, sont animés par des esprits qui ont des intentions, des volontés, des passions pareilles à celles qui tourmentent si souvent son propre cœur; et il n'imaginera rien de mieux, pour fléchir ces puissances irritées, que ce qu'il sait être généralement capable de calmer la colère des hommes.

De là, tant de cultes insensés, tant de divinités enfantées par le délire d'une imagination mélancolique et sombre; de là, l'idolâtrie absurde de ces peuples de l'antiquité, pour qui, comme l'a dit un grand écrivain, tout fut Dieu, excepté Dieu luimême. Mais si, au milieu de ces viles et bizarres superstitions, qui ont presque partout et pendant si long-temps dégradé la raison humaine, l'homme fit toujours les dieux semblables à lui-même, en leur supposant une puissance et une intelligence de beaucoup supérieures à la sienne; si cette pensée

se retrouve même chez les sauvages placés presque au dernier rang de l'espèce humaine, qui ont pris pour objet de leur culte ou des êtres inanimés, ou les plus vils des animaux; on reconnaît encore, dans cette monstrueuse aberration de l'esprit humain, la tendance naturelle qui le porte à chercher hors de lui une perfection et une puissance infinies, précisément parce qu'il sent à chaque instant les étroites limites de sa propre puissance. On y reconnaît le besoin qu'il a de donner à sa faiblesse, dont le sentiment inévitable l'effraie et le déconcerte si souvent, un appui inébranlable qui le puisse rassurer et consoler à la fois. Aussi, n'est-ce pas la raison ou l'intelligence d'un individu, qui peut, dans aucun cas, lui offrir cet appui nécessaire; il ne le trouve, en fait d'idées d'une grande importance, et comme fondamentales, dans la raison universelle de ses semblables, et, pour ainsi dire, de l'espèce humaine

tout entière.

que

Or, à mesure que cette raison s'est développée et perfectionnée, loin de rejeter et de méconnaître ces déterminations premières dont elle a constaté l'existence, loin de pouvoir se soustraire à l'effet de ces sentiments qui portent l'homme à reconnaître la possibilité et presque la nécessité d'un nombre peut-être infini de degrés d'intelligence supérieurs à celui qu'il reconnaît en lui-même, et surtout l'existence d'un être dont la suprême intelligence

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