Page images
PDF
EPUB

Or, cette loi, que personne ne peut s'empêcher de connaître et de comprendre, au moins jusqu'à un certain point, et dans la connaissance de laquelle nous pouvons pénétrer d'autant plus avant que nous saurons l'étudier avec plus de constance, de calme et de sagacité, cette loi, dis-je, nous révèle pourtant plusieurs vérités d'une haute importance, et qui ne sauraient manquer d'avoir la plus heureuse influence sur notre conduite. Elle peut nous convaincre, par exemple, que la force de notre volonté, ou plutôt la constance et le courage dans l'exécution de nos desseins, tenant essentiellement à l'énergie et à l'ar

[ocr errors]

« zèle également ardent, les uns la doctrine de la nécessité, << les autres celle de la liberté, et il semblerait que leur « croyance à des systèmes si opposés devrait produire des « différences très grandes dans leur conduite. Cependant on « ne voit pas qu'ils agissent d'une manière différenté dans les « affaires de la vie commune. Le fataliste délibère, prend des « résolutions et engage sa foi..... Comme tout le monde, il << blâme ceux qui sont perfides ou faux, etc. » (Reid's Essays on active powers, t. III, Essay IV, c. XI.) Il est étonnant qu'un philosophe aussi distingué que Reid, ait confondu la notion de la fatalité avec celle de la nécessité; et il est plus étonnant encore qu'il n'ait pas vu qu'aucun homme au monde ne peut être véritablement fataliste, puisque, avec un pareil système, on ne pourrait demeurer vingt-quatre heures sans se trouver plusieurs fois en contradiction avec soi-même; car enfin il n'y a pas d'homme qui puisse, dans mille circonstances, s'empêcher de délibérer avant d'agir.

deur de nos sentiments, nous devons cultiver avec soin ceux qui sont conformes à la vertu, puisque, ce sont les seuls qui puissent nous conduire au bonheur. Car l'habitude étant, la plupart du temps, ce qui détermine invinciblement nos actions, bonnes ou mauvaises, puisque la vertu n'est presque qu'un système d'habitudes bien réglées, et le vice un système d'habitudes funestes ou perverses, nous devons nous appliquer sans cesse à acquérir et à fortifier les unes, à fuir et à affaiblir en nous les autres, autant qu'il dépend de nous. Elle nous montré dans les suites inévitables des premières (honneur, considération publique, aisance, surtout calme et satisfaction de la conscience) de puissants motifs de nous y attacher; dans les conséquences également nécessaires des autres (opprobre, infamie, perte de la fortune et de la santé, et surtout angoisse insupportable de l'ame) des motifs non moins puissants de nous y soustraire, autant que cela dépend de nous. En un mot, tout ce que nous avons avancé relativement à la faculté de perception morale n'est, au fond, que l'exposition des faits qui dérivent de cette loi de nécessité à laquelle notre nature est soumise. Aussi les proverbes, les maximes, les adages populaires, les traités de morale, les compositions dramatiques, les récits d'aventures fabuleuses ou romanesques, ne sont-ils que l'expression de la connaissance plus ou moins étendue qu'avaient leurs auteurs des effets constants de cette

loi; et chaque lecteur, suivant le degré de connaissance qu'il en a lui-même, apprécie avec plus ou moins de justesse, au moins sous ce rapport, le mérite de ces productions diverses.

C'est encore le degré de cette connaissance qui met quelques personnes à même de prévoir avec certitude ce que feront tels ou tels individus dans une circonstance donnée, les résultats infaillibles d'un système de conduite ou d'une détermination particulière de quelque importance. Elle est donc, en général, le fondement de la prudence, et, dans certain cas, celui d'une sorte de divination, la seule au resté dont l'homme puisse être capable. Mais il est vrai de dire qu'elle ne s'applique ordinairement, avec certitude, qu'aux masses, à peu près comme les formules des calculs relatifs à la probabilité de la durée de la vie humaine, n'ont le degré de précision dont elles sont susceptibles, que pour des nombres très considérables d'individus. Ainsi l'on peut affirmer à l'avance qu'une loi immorale, un système corrupteur d'administration, aura la plus funeste influence sur le plus grand nombre des personnes qui sont en contact immédiat avec cette loi ou avec ce système, quoiqu'on ne puisse pas dire précisément combien il y en aura, ni si ce seront telles ou telles personnes. Encore s'en trouve-t-il plusieurs dont on pourra prédire avec certitude qu'ils seront ou ne seront pas atteints par cette influence désastreuse. Enfin,

on peut regarder comme l'indice le plus frappant de cette nécessité générale dont nous parlons, l'ensemble des traits qui constituent l'individualité propre à chacun de nous. Aucun effort, aucune influence des causes nombreuses qui agissent sans cesse sur l'individu, ne peut lui faire perdre les caractères particuliers qui le distinguent de tous les autres. << Il est fait ainsi!» s'écrie-t-on quelquefois avec découragement, quand on reconnaît l'inutilité des efforts qu'on a tentés pour changer ou modifier le caractère et les habitudes d'une personne à qui l'on s'intéresse.

§ 16. Conclusion.

On peut conclure de tout ce qui précède que les deux forces qui, comme nous l'avons dit (§ Ier), agissent presque incessamment sur notre ame, sont les causes et le principe de deux ordres de nécessités opposées (celle du bien et celle du mal) entre lesquelles flotte, en quelque manière, l'existence de chaque individu. Les ames vulgaires sont tantôt attirées dans la sphère d'activité de l'une de ces causes, et tantôt dans celle de l'autre; les ames qui ont une énergie peu commune sont plus profondément et plus habituellement engagées dans l'une ou dans l'autre, sans qu'il leur soit possible pourtant de se maintenir toujours exclusivement dans aucune des deux. Car il n'y a point d'homme si vertueux qui

n'ait des moments de faiblesse ou d'erreur; il n'y en a point de si dépravé, de si pervers, qui ne fasse quelques actes de vertu.

Mais, encore une fois, cette nécessité des actions humaines n'est qu'une vérité d'induction, et non de sentiment ou de conscience. Comme c'est toujours, au contraire, notre volonté qui nous fait agir, comme elle est à chaque instant le produit de toutes nos facultés, de tout notre être, nous sentons invinciblement que ses résultats peuvent justement nous être imputés. Si l'habitude lui donne une direction funeste, une force dont la raison ne triomphe que rarement et avec bien de la peine, nous reconnaissons qu'il a dépendu de nous de lui résister avant qu'elle eût pris ce fatal ascendant*. Nous savons qu'avec des intentions droites, avec une résolution courageuse et une attention soutenue, nous pouvons profiter des moments de calme que nous laissent nos passions, pour parvenir à les vaincre; tandis que la

* C'est encore une vérité d'expérience constatée dans la doctrine théologique de la grâce, comme l'indiquent ces vers de Corneille, dans sa tragédie de Polyeucte, act. I, sc. 1. Dieu, dit-il, est toujours juste, toujours bon;

Mais sa grâce

Ne descend pas toujours avec même efficace.

Après quelques moments que perdent nos langueurs,
Elle quitte ces traits qui pénètrent les cœurs;

Le nôtre s'endurcit, la repousse, etc.

1

« PreviousContinue »