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dépourvus; mais le défaut absolu de mémoire est l'indice d'un idiotisme complet*. Chez tous les homla mémoire semble avoir des moments ou des alternatives de force et de faiblesse : quelquefois elle nous fournit à souhait tous les souvenirs que nous lui demandons, d'autres fois elle nous les refuse obstinément, ou nous les offre au moment où nous n'en avons plus besoin. Il y a des circonstances où les faits les plus récents semblent tout-a-fait oubliés, tandis que d'autres faits, plus ou moins anciens, s'offrent inopinément à notre esprit : c'est le cas de ce qu'on nomme plus spécialement ressouvenir. Enfin, il arrive aussi que nous prenons pour une idée ou une pensée nouvelle, celles que nous avons déjà eues, ou que d'autres ont eues avant nous, que nous avons retenues de nos lectures, ou reçues dans la conversation, et c'est ce qu'on appelle réminiscence.

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y a aussi des classes d'idées ou de faits qui sont plus faciles à retenir, ou qui ont plus de persistance dans la mémoire que d'autres. Parmi les sensations, par exemple, celles qu'on nomme internes, celles de l'odorat, du goût et même du toucher, sont plus difficiles à rappeler distinctement que celles de

que faisait, en ce genre, un jeune Corse avec lequel il passa quelque temps à Padoue.

*

Voyez le Traité de l'aliénation mentale du docteur Pinel, p. 91.

la vue ou de l'ouïe. Ces dernières, surtout pour les sons appréciables et articulés, sont sans doute le plus à notre disposition, et c'est pour cette raison, et aussi à cause de l'usage continuel que nous en faisons, que les mots et les systèmes d'idées qu'ils représentent, s'offrent si facilement à notre mémoire. C'est probablement aussi par cette raison que les sentiments et les perceptions acquises de la vue et de l'ouïe, s'offrent si souvent dans nos songes ou dans nos rêves, tandis que les sensations de l'odorat et du goût n'y entrent presque jamais pour rien, parce qu'elles ne laissent par elles-mêmes que des souvenirs vagues, tout-à-fait analogues à la nature des perceptions qui les accompagnent, et des impressions dont elles sont le résultat.

En général, l'enfance et l'adolescence sont le temps où la mémoire a le plus d'activité et d'énergie. On peut dire, ce me semble, avec vérité, qu'il est déja entré plus d'idées réellement neuves et importantes dans l'entendement d'un enfant à l'âge de sept à huit ans, qu'il n'y en entrera dans tout le reste de sa vie, quelque longue qu'elle soit, fût-il destiné à être un Voltaire ou un Newton. C'est pour cela que cette première période jusqu'à quinze ou vingt ans est celle où nos facultés, s'étant dévelop pées et fortifiées, peuvent s'agrandir et s'enrichir d'une foule d'acquisitions précieuses.

Cette vérité, bien commune sans doute, mais

qu'on ne saurait trop souvent remettre sous les yeux des jeunes gens, à cause de son extrême importance, est confirmée par plusieurs faits d'une expérience journalière. Ainsi il est très rare que les hommes qui ont consacré à des futilités ou perdu, comme on dit, le temps de leurs premières années, arrivent jamais à un degré de talent remarquable, dans quelque genre d'étude que ce soit. Ainsi, les choses qu'on a confiées à sa mémoire dès l'enfance ou dès la plus tendre jeunesse, ne s'en effacent guère, tandis que des acquisitions plus récentes s'oublient promptement, pour peu qu'on néglige d'en entretenir ou d'en renouveler le souvenir. Enfin, on a souvent remarqué que chez des vieillards à qui une attaque de paralysie a fait perdre la mémoire de tous les événements plus récents de leur vie, les souvenirs de l'enfance et de la jeunesse subsistent seuls, et semblent avoir pris une vivacité nouvelle ; tant les impressions du premier âge ont, en quelque sorte, de ténacité. Dans les périodes suivantes jusqu'à la fin de la maturité de l'âge, nous sommes presque de moins en moins capables d'acquérir de nouvelles connaissances, mais nous le sommes plus d'approfondir et d'étendre celles que nous avons acquises. Passé ce terme, c'est-à-dire à l'époque de la vieillesse, nos facultés, et particulièrement la mémoire, subissent un notable déclin. Au moins n'y a-t-il que bien peu d'exceptions à cette

loi générale de notre nature, et même elles sont plus apparentes que réelles, parce que ce n'est pas aux hommes ordinaires, mais à eux-mêmes, qu'il faut comparer ceux qui se sont signalés par des talents ou par un génie extraordinaires.

§ 5. Continuation du même sujet: Liaison ou Association des Idées.

C'est principalement par la liaison ou l'association des idées, que la mémoire opère ses prodiges les plus étonnants. Ce genre de phénomènes peut être regardé comme la cause et le moyen de toutes nos connaissances, de toute notre science, puisque c'est par lui que nous formons des systèmes d'idées plus ou moins réguliers ou étendus. Et, d'abord, il est évident que chaque objet isolé, chaque être distinct que nous connaissons dans la nature, et, par conséquent, chaque classe d'êtres ou d'objets, (dont l'un quelconque peut être considéré comine le type de l'espèce entière), compose pour nous un système d'idées résultant des observations que nous avons pu faire, en différents lieux et en différents temps, des divers objets de cette espèce. C'est de la même manière, comme je l'ai dit ailleurs, et par un procédé semblable, que chaque terme général, ou même chaque nom d'un être individuel, représente également un système d'idées liées ou associées entre

elles et à ce mot. Mais une propriété fort remarquable de ces systèmes ou associations d'idées, sans laquelle elles n'auraient assurément ni l'importance ni l'utilité que l'on ne saurait leur contester, c'est qu'il y a partout vie et mouvement, pour ainsi dire, dans la chaîne qui les unit; en sorte qu'il suffit souvent de réveiller l'une d'entr'elles, pour que toutes les autres se présentent presque simultanément à l'esprit.

Cela a lieu surtout pour les associations d'idées qui tiennent aux premières impressions que nous avons reçues des lieux que nous avons habités dans notre enfance et des personnes que nous avons connues ou aimées à cette même époque de la vie, aux émotions vives de tout genre que nous avons ressenties *

Mais les groupes d'idées, plus ou moins étroitement liées entre elles, qui forment le système entier des connaissances de chaque individu, ont aussi plusieurs points de contact entre eux. C'est-à-dire que

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On peut voir, à ce sujet, dans le second chant du poème des Jardins par Delille, l'épisode du jeune Otaïtien, amené à Paris par Bougainville, et reconnaissant dans les serres du jardin des Plantes un arbre de son pays; et dans le quatrième chant du poème de l'Imagination, ce que le même auteur dit de l'effet produit par l'air appelé Ranz des vaches sur les soldats des régiments suisses au service des puissances étrangères, quand ils venaient à l'entendre.

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