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vent aussi ceux qui n'auraient pu demeurer unis que pour le malheur de leurs semblables, elle finit plusieurs fois par produire un bien véritable.

Une sympathie légitime et généreuse existe presque toujours en faveur des opprimés, dans le cœur de tous ceux qui n'ont aucun intérêt direct ou éventuel à l'injustice, à moins qu'ils ne soient égarés par des opinions fausses, par l'ignorance, ou par le fanatisme. Si donc les hommes qui ont ou qui croient avoir quelque intérêt réel à l'oppression de leurs semblables, étaient seuls à appuyer ou à défendre les institutions les plus absurdes ou les plus contraires au bien public, les progrès de la raison et du bonheur social, qui en serait la conséquence nécessaire, seraient plus sûrs et plus rapides. Mais je crois avoir suffisamment indiqué, dans tout ce chapitre, les causes nombreuses et puissantes qui font prévaloir si hautement, et depuis tant de siècles, les intérêts privés sur l'intérêt général, même chez les nations aujourd'hui les plus civilisées.

Car il faut bien remarquer que le désir de la supériorité, quoique ce soit toujours un sentiment personnel, n'a que des avantages, et aucun inconvénient, toutes les fois qu'il agit sous l'influence et, en quelque sorte, sous les auspices d'une généreuse et véritable sympathie. Il tend, au contraire, à perfectionner tous les genres de talents et toutes les facultés des individus, et les rend ainsi plus capa

dans le même but; un tel homme enfin sera naturellement porté à faire tous ses efforts pour paraître aux yeux de ceux dont il a intérêt d'obtenir l'estime et la bienveillance, non seulement autre qu'il n'est, mais tout le contraire de ce qu'il est. Sa conduite, ses actions, ses discours, tout sera mensonge, tout sera perfidie, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à l'accomplissement de ses desseins. Mais aussi plus il sera arrivé, par cette voie, à un poste éminent, à une puissance considérable, moins il se contraindra dans la manifestation de ses vrais sentiments, assuré qu'il sera désormais d'une scandaleuse impunité.

Ainsi l'hypocrisie, résultat presque nécessaire d'une étroite personnalité, d'un égoïsme insatiable dans ses prétentions et dans ses désirs, réunit en, elle seule tout ce qu'il y a de plus odieux dans le mensonge, dans la vanité et dans l'orgueil. Or, comme la dissimulation, la basse flatterie, l'abnégation complète de tout sentiment d'honneur et de dignité personnelle, sont les moyens auxquels elle est forcée de recourir, pendant un temps plus ou moins long, pour arriver à ses fins, il est évident que l'orgueil et la vanité, malgré leurs prétentions aux hommages, à l'admiration et au respect, ont avec la bassesse d'ame une incontestable connexité. De là ces contradictions flagrantes, ces contrastes choquants que l'on remarque à diverses époques, et suivant que les circonstances viennent à changer, dans les ma

nières, dans les paroles et dans les actions de tous les ambitieux, quelque chétif ou misérable, quelque grand ou imposant que soit l'objet de leur ambition.

§ 15. Conclusion.

Aucun homme n'agit constamment et exclusivement sous l'influence des sentiments sympathiques. Il n'y en a aucun non plus qui puisse être constamment et exclusivement dominé par les sentiments purement personnels. Ces deux sortes de sentiments se trouvent donc mélangés d'une infinité de manières dans toutes les actions de notre vie. Aussi l'on peut dire que la conduite morale de chaque individu est, dans tous les cas, déterminée par la prédominance de l'une de ces deux forces, s'il le faut ainsi dire, sur l'autre. Or, comme leurs degrés d'énergie ou d'intensité peuvent varier dans chacun de nous par un nombre infini de causes diverses, à raison du tempérament, des circonstances d'état ou de condition, de l'espèce et du degré d'instruction, de la nature des habitudes, etc., voilà ce qui produit cette prodigieuse variété de manières d'être des hommes, sous le rapport moral, aussi bien que sous tous les autres rapports.

Quoi qu'il en soit, rien ne manifeste avec plus d'évidence la nature sociale de l'homme, que la suite

des phénomènes que présente l'observation des sentiments moraux et de leurs effets ou de leurs résultats. Elle nous montre avec évidence que ce bonheur, dont le besoin agite et tourmente chaque individu, depuis le moment de sa naissance, pour ainsi dire jusqu'au dernier instant de sa vie, ne saurait pourtant exister pour lui que dans un système de conduite qui consiste à immoler ou à sacrifier, presque sans cesse, les sentiments plus directs, plus individuels, à des sentiments plus généraux, plus

étendus.

Cette étude nous fait voir dans le désir de la supériorité, qui ne nous abandonne presque jamais, le ressort principal et comme le moyen ou la cause essentielle de la conservation des individus, et l'expression constante de l'individualité ou de la personnalité. Mais elle nous montre en même temps, dans le sentiment de la sympathie, l'obstacle propre à retenir le désir de la supériorité dans de justes limites, et à le contenir dans ses aberrations; car il est le principe qui unit les individus en groupes plus ou moins nombreux, et qui forme de ces groupes euxmêmes la grande famille sociale. Si, par la prodigieuse variété des causes et des circonstances qui sont propres à la déterminer, la sympathie oppose souvent les individus aux individus, et les masses aux masses si cette opposition est quelquefois violente et funeste dans ses résultats, par cela seul qu'elle divise sou

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vent aussi ceux qui n'auraient

pu

demeurer unis que

pour le malheur de leurs semblables, elle finit plusieurs fois par produire un bien véritable.

Une sympathie légitime et généreuse existe presque toujours en faveur des opprimés, dans le cœur de tous ceux qui n'ont aucun intérêt direct ou éventuel à l'injustice, à moins qu'ils ne soient égarés par des opinions fausses, par l'ignorance, ou par le fanatisme. Si donc les hommes qui ont ou qui croient avoir quelque intérêt réel à l'oppression de leurs semblables, étaient seuls à appuyer ou à défendre les institutions les plus absurdes ou les plus contraires au bien public, les progrès de la raison et du bonheur social, qui en serait la conséquence nécessaire, seraient plus sûrs et plus rapides. Mais je crois avoir suffisamment indiqué, dans tout ce chapitre, les causes nombreuses et puissantes qui font prévaloir si hautement, et depuis tant de siècles, les intérêts privés sur l'intérêt général, même chez les nations aujourd'hui les plus civilisées.

Car il faut bien remarquer que le désir de la supériorité, quoique ce soit toujours un sentiment personnel, n'a que des avantages, et aucun inconvénient, toutes les fois qu'il agit sous l'influence et, en quelque sorte, sous les auspices d'une généreuse et véritable sympathie. Il tend, au contraire, à fectionner tous les genres de talents et toutes les facultés des individus, et les rend ainsi plus capa

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