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§ 13. Vanité.

Parlerai-je maintenant de la vanité, qui n'est, pour ainsi dire, qu'une dégénération de l'orgueil, ou un orgueil impuissant, un moyen d'obtenir des égards, de la considération ou de l'estime pour des qualités ou dans des circonstances qui ne méritent rien de tout cela? L'homme vain désire aussi avec ardeur des richesses, des honneurs, des titres; il aime à être remarqué, à faire parler souvent de lui: il est flatté des plus légères marques d'attention que lui accordent les hommes qui ont du pouvoir, du crédit, de la célébrité; et soit que ces circonstances contribuent, en effet, à donner de lui une opinion avantageuse, soit qu'il se persuade faussement qu'elles ont un tel résultat, il n'en a pas moins le tort très réel d'y attacher un mérite qu'elles ne sauraient avoir, et de laisser séduire sa raison par les fausses idées qu'il se fait ou qu'il suppose que les autres peuvent se faire à son sujet. Au fond, il y a dans la vanité plus d'humilité qu'on ne le croirait elle sollicite, elle implore même la sympathie, plutôt qu'elle ne cherche à lui faire violence. Crésus, en

été recueillis d'après les documents les plus nombreux et les plus authentiques, et présentés avec une sagacité et une puissance d'induction telles, que les résultats qu'il en tire peuvent désormais être comptés au nombre des vérités les plus incontestables.

étalant ses trésors aux yeux de Solon, semblait dire au sage Athénien : « Par pitié, dites-moi que je suis « heureux, que vous admirez et surtout que vous << enviez un bonheur tel que le mien! » La pensée que les autres peuvent avoir de sa supériorité, par rapport à eux, voilà ce qui occupe presque sans cesse l'homme vain; peu lui importe, d'ailleurs, à quel titre et par quel moyen il obtiendra ou pourra supposer qu'il obtient un pareil sentiment de leur part; il y emploiera la supercherie, il le mendiera même au besoin, mais enfin il y a dans toute sa conduite l'aveu tacite que ses droits sont au moins douteux. Mais, hélas! qui n'a pas ses moments d'orgueil ou de vanité? on doit donc, par un retour fréquent sur soi-même, se convaincre de la nécessité d'être indulgent, sous ce rapport, pour tous ceux chez qui ces travers sont du moins inoffensifs et ne sont que des accès passagers de déraison plus ridicules que dangereux.

§ 14. Hypocrisie.

L'orgueil aspire à commander, en quelque sorte, la sympathie, à lui faire violence; la vanité, avec des prétentions à-peu-près du même genre, se flatte d'arriver au même but, par surprise ou par séduction. L'une et l'autre, enfin, de ces deux passions, de ces deux modes du besoin de la sympathie, ou du

désir immodéré de la supériorité, produit par la prédominance des sentiments personnels, tendent à se satisfaire par des illusions qui leur sont propres, plutôt que par des moyens légitimes. Mais il y a du moins dans chacun de ces caractères, surtout chez les hommes nés dans l'opulence ou dans les conditions élevées, et qui ont été, comme on dit, gâtés dès leur enfance* une sorte de bonne-foi et de sincérité. Souvent même il y a de la naïveté et une véritable duperie dans la confiance, presque aveugle, que leur inspirent leurs prétentions les plus dénuées de fondement. Au contraire, s'appliquer à feindre des qualités, des sentiments et des vertus qu'on n'a réellement pas, dissimuler avec soin ses vrais motifs et ses vrais sentiments, en indiquer par sa conduite, ou en déclarer par ses paroles, de tout op

* Certaines expressions sont devenues si communes, si familières, qu'on ne fait presque plus aucune attention à leur valeur propre et à leur énergie, quelquefois très remarquable. Combien de pères ou de mères, par exemple, avouent naïvement que leurs enfants sont gâtés! La métaphore est pourtant assez significative: des aliments ou des fruits gâtés ne sont plus bons à rien, ou du moins n'ont plus l'utilité et la saveur agréable qu'ils devaient avoir. Or, il en est précisément de même des hommes qui ont été gâtés dès leur enfance; il est assez rare qu'ils deviennent utiles à eux-mêmes et aux autres; il est presque impossible qu'ils puissent jamais valoir ce qu'ils auraient valu sans cette fatale circonstance.

posés à ceux que l'on a, tel est le caractère de l'hypocrisie.

L'hypocrite est donc, dans l'ordre moral, ce que le faussaire et le faux monnayeur sont dans l'ordre civil et dans les transactions commerciales; il donne des engagements faux pour des promesses véritables, des valeurs fausses pour des billets d'une solide garantie. Cependant l'influence ou le crédit qu'un homme accorde à un autre sur ses sentiments, ses opinions ou sa conduite, ne peut être que l'effet de la confiance qu'il a dans les lumières, dans la probité, dans l'affection de celui à qui il accorde cette autorité. Il en est de même de celle dont jouissent les magistrats, les hommes qui remplissent des fonctions publiques, de quelque nature et de quelque espèce qu'elles soient; elle ne peut être que le prix des talents et des vertus par lesquels ils sont présumés pouvoir se rendre utiles à ceux sur qui s'exerce leur puissance. Le public leur en paie le prix, par la considération, le respect et la déférence qu'il leur témoigne, et aussi par les émoluments attachés à ces fonctions. Tout homme donc qui ne se sentira ni les moyens d'obtenir cette confiance et les avantages qui en peuvent être la suite, ni la volonté d'y répondre en se consacrant à l'utilité des autres, qui ne voudra du pouvoir que pour satisfaire sa vanité, son orgueil, ou d'autres passions non moins criminelles, qui ne souhaitera des richesses que

des phénomènes que présente l'observation des sentiments moraux et de leurs effets ou de leurs résultats. Elle nous montre avec évidence que ce bonheur, dont le besoin agite et tourmente chaque individu, depuis le moment de sa naissance, pour ainsi dire, jusqu'au dernier instant de sa vie, ne saurait pourtant exister pour lui que dans un système de conduite qui consiste à immoler ou à sacrifier, presque sans cesse, les sentiments plus directs, plus individuels, à des sentiments plus généraux, plus

étendus.

Cette étude nous fait voir dans le désir de la supériorité, qui ne nous abandonne presque jamais, le ressort principal et comme le moyen ou la cause essentielle de la conservation des individus, et l'expression constante de l'individualité ou de la personnalité. Mais elle nous montre en même temps, dans le sentiment de la sympathie, l'obstacle propre à retenir le désir de la supériorité dans de justes limites, et à le contenir dans ses aberrations; car il est le principe qui unit les individus en groupes plus ou moins nombreux, et qui forme de ces groupes euxmêmes la grande famille sociale. Si, par la prodigieuse variété des causes et des circonstances qui sont propres à la déterminer, la sympathie oppose souvent les individus aux individus, et les masses aux masses, si cette opposition est quelquefois violente et funeste dans ses résultats, par cela seul qu'elle divise sou

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