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La deuxième année de grammaire,

par MM. LARIVE et FLEURY.

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Dans la séance du 15 mai 1872, M. Grosselin nous a présenté un rapport sur la Première année de Grammaire par MM. Larive et Fleury (1). « Les auteurs de ce livre, disait le rapporteur, ont pris pour modèle la grammaire de Lhomond. L'on y trouve, en effet, ces définitions sèches, ces moyens mécaniques de reconnaître les espèces de mots, ces règles où l'on ne cherche que la concision, au risque de rencontrer la sécheresse. Ce n'est pas ainsi qu'il faut s'adresser aux jeunes enfants, que les auteurs ont cependant en vue. Il faut, au contraire, selon nous, envelopper les choses parfois arides qu'on a à leur apprendre dans des explications qui les leur fassent goûter. Il faut surtout, au lieu de meubler leur esprit de phrases qu'ils répèteront comme de petits perroquets sans les comprendre, développer leur réflexion en leur montrant, par des explications à leur portée, la raison des choses que l'on veut leur inculquer. »

Les reproches si fondés qu'adressait notre collègue à l'ouvrage de MM. Larive et Fleury me paraissent applicables au nouveau volume que viennent de publier ces deux auteurs sous le titre de Deuxième année de Grammaire. Dans cet ouvrage, comme dans le précédent, MM. Larive et Fleury suivent la tradition, selon nous pernicieuse, de Vaugelas et de Lhomond. Au lieu d'employer la méthode d'observation, si féconde en résultats, ils essayent d'expliquer a priori (c'est-àdire par la raison pure et la logique absolue) des faits dont l'histoire de notre langue et l'étude de son état ancien peuvent seules rendre raison.

Un exemple suffira pour prouver ce que j'avance. Je lis, page 34: « Beau, nouveau, fou, mou, vieux, deviennent au

(1) Voir le Bulletin de 1872, p. 92.

« masculin bel, nouvel, fol, mol, vieil devant les mots << commençant par une voyelle ou un h muet: bel oiseau, « bel homme.

«En conséquence, les mêmes adjectifs font au féminin « belle, nouvelle, folle, molle, vieille. »

N'est-il pas évident qu'une règle ainsi formulée n'a rien qui stimule l'activité de l'esprit? C'est là, pour employer la spirituelle expression d'un savant professeur, un cas de tératologie grammaticale devant lequel l'intelligence est invitée à s'incliner (1). Si, au contraire, par quelques exemples bien choisis, le maître démontre à ses élèves cette vérité, base fondamentale de la philologie, que l'état présent d'un idiome n'est que la conséquence de son état antérieur, qui seul peut le faire comprendre, les mots prendront alors leur véritable aspect devant les yeux de l'enfant, qui se fera une idée plus juste des transformations qu'a subies le langage.

Ainsi, à propos de l'exemple dont nous nous occupons, si expliquant les formes bel, nouvel, fol, mol, vieil, le maître a soin d'y rattacher des noms de lieux ou de personnes, tels que Belfort, Belmontet, Belcastel, etc., etc., l'élève commencera à réfléchir; il comprendra que précédé d'une voyelle persista en français dans les premiers temps de la langue, puis s'adoucit en au, excepté dans ces quelques locutions qui étaient trop bien établies par l'usage pour qu'on pût les modifier.

Les observations qui précèdent pourraient s'appliquer à tout l'ouvrage, mais plus particulièrement au chapitre IX, consacré à l'étude des pronoms, ainsi qu'au chapitre XX, qui renferme les règles d'accord du participe passé. Nous ne multiplierons pas les citations; nous croyons en avoir dit assez pour justifier le jugement que, d'accord avec M. Grosselin, nous avons porté sur le traité grammatical de MM. Larive et Fleury.

1) L'École, par Michel Bréal, 1 vol. in-12, Hachette, 1872, p. 46.

Là se bornerait notre tâche si les auteurs n'avaient ajouté à leur livre des Notions de style. « Ces notions, disent-ils << dans la préface, ont un caractère tout particulier. Au lieu « d'être groupées à la fin de l'ouvrage, elles viennent se << placer portion par portion, dose à dose, à la suite de chaque «< chapitre. Et, comme les exercices de style vont du mot « à la phrase, de la phrase au sujet traité, l'enfant apprend « à composer sans presque s'apercevoir qu'il compose. Une telle méthode peut être bonne, mais à la condition de n'être pas employée à l'exclusion de toute autre : elle a, à mes yeux, le tort grave de laisser une part trop large au procédé, sorte de mécanique littéraire, qui substitue au jugement et à l'imagination certains moyens artificiels plus ou moins heureusement choisis. De plus, partageant en cela l'erreur presque générale en France, MM. Larive et Fleury font prédominer l'enseignement de la langue écrite sur celui de la langue parlée. « Pour enseigner le français à vos élèves, faites-les parler, encore parler, toujours parler, » dirons-nous avec M. Bréal (1).

Si nous voulons entrer réellement dans la pratique des institutions républicaines, il faut que le don de la parole, qui aujourd'hui est à peu près nul, aussi bien dans les classes dites éclairées que dans le peuple, cesse d'être le privilége de quelques-uns pour devenir le bien de tous; mais, pour atteindre un tel résultat, il faut aller droit à la cause du mal, et rompre résolûment avec les traditions surannées, avec les méthodes vicieuses, dont s'inspire l'enseignement de nos écoles.

Comme la Première année, la Deuxième année de Grammaire se termine par un petit lexique contenant environ 600 mots cités dans le cours du livre, mots qui, disent les auteurs dans la préface, ont besoin d'une explication ou qui apprennent à l'élève quelques notions nouvelles.

(1) L'Ecole, page 39.

« C'est là, dirons-nous encore avec M. Grosselin, une pensée heureuse; mais le désir de mettre un assez grand ⚫ nombre de mots dans un espace restreint a fait trop abréger les explications qui les suivent, et celles-ci en sont ⚫ devenues parfois trop difficiles à saisir pour l'enfant (1). »

Sous la réserve des observations que nous avons cru devoir lui soumettre, nous pensons que le Conseil peut adresser une lettre de remercîments à MM. Larive et Fleury, et placer leur ouvrage dans sa bibliothèque.

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Les critiques que nous avons adressées à la Deuxième année de Grammaire, de MM. Larive et Fleury, nous paraissent applicables à la Grammaire des petits enfants, de M. E. Reynaud : il nous suffira donc de dire que, dans cet ouvrage, comme dans le précédent, nous avons retrouvé les deux erreurs qui, au jugement de M. Bréal (2), pèsent sur l'enseignement de la langue française d'une part, cette fausse idée que le français doit être appris par règles, comme une langue morte; d'autre part, la prédominance de l'enseignement de la langue écrite sur celui de la langue parlée.

En admettant même la méthode d'exposition, selon nous vicieuse, suivie par M. Reynaud, nous aurions à relever dans son ouvrage plusieurs erreurs graves. Ainsi, page 36, il dit : « Les pronoms lui, leur, dont, en, y, sont toujours complé<ment indirect. » L'auteur doit savoir que, si le pronom

(1) Rapport déjà cité, Bulletin de 1872, p. 93.

(2) L'Ecole, par Michel Bréal, page 32, 1 vol. in-12. Hachette, 1872. JANVIER-FÉVRIER-MARS 1873.

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lui sert ordinairement de régime indirect, il s'emploie quelquefois comme sujet ou comme régime direct. Il est sujet dans ces vers si connus de Racine :

Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,

Me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère.
(ESTHER, I, 1.)

Il est régime direct dans cette phrase de Fénelon : « Pénélope ne voyant revenir ni lui ni moi n'aura pu résister à tant de prétendants. » (Télémaque, VII.)

Page 62, je lis : « Le participe passé peut prendre, comme l'adjectif, le genre et le nombre du nom qu'il accompagne : Ma page finie, je jouerai. »

Parlant des règles d'accord des participes, d'Olivet écrivait : « Vaugelas dit que la question des participes est ce qu'il y a, dans toute la grammaire française, de plus important et de plus ignoré ; j'aimerais mieux dire: ce qu'il y a de plus embarrassant (1). »

J'admets donc parfaitement que l'auteur de la Grammaire des enfants n'ait rien dit de cette règle par laquelle le participe passé employé dans les temps composés d'un verbe actif s'accorde en genre et en nombre avec le régime direct, quand il est précédé de ce régime, et demeure invariable, quand le régime direct est placé après. S'adressant à des enfants, l'auteur n'avait pas à entrer dans le détail de ces difficultés grammaticales; mais, en revanche, d'accord en cela avec l'ancienne langue, il aurait dû formuler la règle en termes qui ne laissassent aucun doute dans l'esprit de ses jeunes lecteurs, et dire, par exemple: Le participe passé s'accorde comme un adjectif en genre et en nombre avec le substantif ou le pronom qu'il modifie. »

Des gravures dont l'auteur a cru devoir accompagner cha

(1) D'Olivet, Ess. grumm., sect. 1re; voir Littré, Dict. de la langue francaisse, 2 vol. p. 973.

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