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6 LETTRE APPROBATIVE DE MONSEIgneur l'évêque d'ORLEANS. conserverai toute ma vie le souvenir des rapports personnels qu'il voulut bien avoir avec moi; je n'oublierai jamais ce jeune prètre, si simple et si noble, si calme et si ferme, dont le front découvert et le regard profond révélaient une de ces âmes qui trouvent la sérénité dans la hauteur. Parmi les serviteurs de Dieu qui auront, en ce siècle, laissé dans l'Église une plus chère et plus glorieuse mémoire, Balmès demeurera, sans contredit, aux premiers rangs. Vous savez combien j'ai gémi amèrement de sa mort si prématurée et si douloureuse. Aussi j'attendais avec impatience, comme une consolation à mest regrets, l'ouvrage dont vous donnez aujourd'hui la traduction au public.

La Philosophie fondamentale, en passant dans notre langue par une plume telle que la vôtre, ne peut avoir rien perdu de la vigueur, de l'exactitude et de la netteté de l'original. Je ne tarderai pas à me procurer le bonheur de cette belle et grave lecture; et je m'en tiens pour sûr à l'avance, elle ne fera que me confirmer dans la conviction où je suis, que la traduction de la Philosophie fondamentale est un éminent service rendu à la saine philosophie et à la religion.

Tout à vous en Notre Seigneur.

FELIX, évêque d'Orléans.

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A MONSEIGNEUR DUPANLOUP,

MONSEIGNEUR,

ÉVÊQUE D'ORLÉANS.

Il n'y a pas longtemps, Votre Grandeur signalait, en quelques lignes éloquentes à l'attention des esprits sérieux, le nom de Balmès, comme une des gloires de notre époque. Vous avez goûté, Monseigneur, l'un des premiers, en France, la raison si pleine et si haute de l'auteur du Catholicisme comparé au Protestantisme; vous avez deviné l'homme supérieur par cet instinct de sympathie qui révèle les uns aux autres les esprits de même famille. Les quelques lignes tombées de votre plume ont déterminé le travail que je livre au public aujourd'hui.

Si j'étais plus sûr de moi-même, si je pouvais me rendre ce témoignage, que j'ai fait parler à l'auteur espagnol la langue que vous parlez, Monseigneur, j'offrirais ce travail; avec confiance, à Votre Grandeur d'abord, comme un hommage de ma reconnaissance et de mon respect; au public, comme un service rendu aux saines idées et à la bonne philosophie.

Mais, l'œuvre que j'ai entreprise était une œuvre difficile; il fallait être rapide et rester grave; il fallait rester fidèle on conden sant l'ampleur surabondante de la phrase espagnole. - Ai-je réussi ? -je le souhaiterais. Le lecteur jugera. Je le souhaiterais, car la Philosophie fondamentale mérite qu'on s'y arrête et qu'on l'étudie. Le génie catholique n'a rien produit, depuis longtemps, ni de plus sain, ni d'aussi fort.

« Je n'ai point la prétention de créer en philosophie, dit Balmès. Ces quelques mots nous donnent, non point la mesure, mais le secret de son talent; talent original et profond; original, surtout

dans notre siècle de prétentions orgueilleuses, en ce qu'il est modeste. Le philosophe ne crée pas la vérité; il la constate ou l'expose.

Modération et bon sens, voilà le caractère essentiel et dominant de l'auteur de la Philosophie fondamentale; le bon sens, qui n'est pas le génie, mais sans lequel le génie cesse d'être une lumière pour devenir un incendie. Ajoutez une connaissance profonde de la philosophie scolastique et de la sophistique moderne, un coup d'œil calme et sûr, absence complète de parti pris en faveur d'une idée ou d'un système. Balmès fait la part grande et belle à l'intelligence de l'homme, tout en la soumettant à la raison supérieure et par excellence, qui est Dieu. Il a compris le côté défectueux d'une certaine philosophie qui, trop exclusivement préoccupée des empiétements ou des écarts de la raison, s'est blessée elle-même en cherchant à la détruire. L'œuvre de Balmès est en même temps une œuvre critique et une œuvre dogmatique. Assez de ruines, dit-il quelque part: les ennemis de la vérité se déploient devant nous et contre nous sur une ligne immense; laissons la guerre de tirailleurs; établissons, de notre côté et jusque sur le territoire ennemi, des colonies militaires dont la fonction soit en même temps de combattre et de fertiliser. »

Le livre de Balmès n'est pas une Philosophie dans le sens ordinaire du mot. L'auteur, déblayant le terrain que les sophistes du dixhuitième et du dix-neuvième siècle ont encombré, creuse jusqu'aux fondements de la pensée humaine. Il fallait sonder et raffermir le sol si souvent et si profondément ébranlé. Si j'avais à faire le panégyrique de Balmès, j'insisterais sur le côté pratique de son talent. C'est une des qualités les plus remarquables de cet éminent esprit. L'homme n'a pas été créé pour s'épuiser à penser qu'il pense, ou bien à chercher le pourquoi de sa pensée; l'édifice de nos connaissances doit porter sur un fait, non sur une abstraction.

Le premier des quatre volumes de la Philosophie fondamentale est consacré tout entier à la Certitude et pourrait former une œuvre à part. Selon l'admirable méthode qu'il annonce dès le début de son livre, Balmès détruit d'une main mais en bâtissant de l'autre.

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li se demande d'abord si la science transcendantale se peut tirer de l'ordre intellectuel humain, et répond négativement. Suivent quelques chapitres pleins de science et de critique sur la stérilité de la philosophie du moi pour produire la science transcendantale, sur l'identité universelle, sur l'impossibilité de trouver le premier principe dans l'ordre idéal, sur la condition indispensable de toute connaissance humaine, un chapitre remarquable sur la confusion des idées dans les discussions à propos du principe fondamental; d'où, passant à l'analyse des divers criterium, il conclut que la philosophie se trompe lorsque, devenant exclusive et systématique, elle prétend établir toute science sur un seul criterium.

Platon, saint Thomas et son commentateur le cardinal Cajetan, Descartes, Malebranche, Leibnitz, Vico, Dugald-Stewart, M. Cousin, Kant, Fichte, Schelling, etc., sont étudiés, discutés, mis à leur rang dans l'œuvre du philosophe espagnol. Saint Thomas surtout, qu'il connaît à fond, lui fournit des citations admirables. J'ai déjà dit, Monseigneur, que Balmès s'était nourri, dès sa jeunesse, des meilleurs auteurs scolastiques, et qu'il devait à cette étude sévère la richesse et la sécurité de ses vues. La philosophie scolas tique, fille du catholicisme, tient de lui et conserve, malgré les railleries de tout un siècle, une vertu secrète et profonde de rectitude et de vérité. Honteux de rire et de dénigrer sur la parole d'autrui, quelques esprits curieux et sincères ont voulu, de nos jours, visiter au milieu des ruines qu'une génération légère et railleuse avait entassées autour d'elle, cette féconde institutrice du moyen âge; ils ont voulu voir de leurs yeux et juger par eux-mêmes les grands monuments de la science chrétienne, et, comme les laboureurs de Virgile, ils sont restés frappés de respect et de stupeur :

Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris.

Balmès n'est pas seulement philosophe, il est théologien. On s'est efforcé, depuis un siècle, d'armer l'une contre l'autre la théologie et la philosophie. Ne craignons pas d'imputer à cette erreur capitale une grande partie de nos désordres et de nos malheurs; ces deux

sœurs, héritières de la vérité, bien qu'à des titres et à des degrés divers, ne se peuvent séparer et devenir ennemies qu'aussitôt l'esprit humain ne dégénère et ne tombe dans une sorte de défaillance. Balmès est philosophe complet parce qu'il est théologien ; j'oserai dire pareillement qu'il est bon théologien parce qu'il est excellent philosophe. La théologie moissonne dans le champ de la vérité; la philosophie a aussi son œuvre, œuvre de préparation et de recherche, et, comme sa sœur, elle attend la récompense de celui qui paye au centuple tout labeur entrepris en son nom. Laissons-la, modeste et laborieuse, glaner sa gerbe à côté des moissonneurs privilégiés et souvenons-nous de Ruth et de Booz ; l'humble glaneuse peut devenir l'épouse légitime du patriarche, la mère des prophètes, et préparer Jésus-Christ au monde.

Je regrette, Monseigneur, que les bornes de ce travail ne me permettent point de montrer comment notre auteur, après avoir analysé les divers systèmes spiritualistes ou sensualistes qui prétendent tirer toute vérité d'une sensation ou d'une faculté isolée; après avoir mis en regard, avec un rare talent d'exposition, Descartes et Fichte, Kant et les scolastiques ; après avoir prouvé que Fichte a mal copié Descartes, et mesuré la distance qui sépare le sophiste orgueilleux de l'homme de génie; après avoir montré que les idées transcendantales de Kant avaient été connues, discutées, exposées presque dans les mêmes termes par les philosophes du moyen âge; comment, dis-je, il serre de près et force dans les nuages où ils se sont retranchés les représentants de la moderne Allemagne, Kant, Schelling, Hegel, etc.

C'est chose curieuse de voir se fondre sous ce regard lumineux les brouillards de la phraséologie germanique, et sur le terrain stérile qu'ils laissent à découvert, l'œil s'étonne de ne trouver que des ruines informes, une sorte de chaos ou le doute absolu.

Le choix que Balmès a su faire de son antagoniste Kant, au milieu du bruit de réputations plus modernes et plus éclatantes, suffirait seul pour donner une haute idée de la sécurité de son coup d'œil. On sait le rôle que le professeur de Koenigsberg a prétendu jouer en philosophie. Jusqu'à lui, la pensée avait été, pour ainsi dire, soumise aux objets extérieurs; l'idée se modelait sur les choses. Kant

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