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lés autres, ce fait ne saurait être que le moi. Rejeter cette conséquence, c'est reconnaître que la base de la science transcendantale, c'est-à-dire la vérité une, n'existe point. Voilà comment des prétentions philosophiques, innocentes en apparence,

mènent à des abîmes.

107. On a cherché à éluder ce raisonnement; bien que les objections qu'on apporte n'aient pas une grande valeur, nous allons les exposer et les résoudre.

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Il n'est point nécessaire que le fait, origine scientifique de tous les autres faits, soit réellement origine. Etablissez une distinction entre les principes de l'être et du connaître, et la difficulté disparaît. Placer dans le moi la cause de tout ce qui existe, serait contraire au sens commun; il ne l'est point de considérer le moi comme le principe représentatif de toute connaissance. Le mot représentation n'est pas synonyme de causalité. Les idées représentent les objets et ne sont point cause relativement aux objets représentés. Pourquoi refuserions-nous d'admettre l'existence d'un fait, représentation vivante de tout ee que l'esprit humain peut connaitre? La perception de ce fait devant être immédiate, et présente d'une manière intime à l'intelligence, ce fait ne peut être que le moi. Ce n'est point là diviniser le moi; la force représentative, que nous lui attribuons, il peut l'avoir reçue d'un être supérieur. Dans cette hypothèse, le moi n'est pas une cause universelle, c'est un miroir qui réfléchit à la fois et le monde intérieur et le monde extérieur. »

Cette explication rappelle le système des monades de Leibnitz; création magnifique de l'un de ces rares et puissants esprits dont les siècles et l'humanité s'honorent. Le monde entier, composé d'êtres simples, représentant l'univers dont ils font partie, mais le représentant d'une manière adéquate à leur catégorie et coordonnée au point de vue qui leur correspond, selon la place qu'ils occupent; tous ces êtres se déroulant en une chaîne immense qui, partant de l'ordre inférieur, s'élève jusqu'au seuil de l'infini; enfin, au sommet de toutes les existences, la monade qui contient en elle-même la raison.

de toutes les autres, qui les a tirées du néant, qui leur a donné la vertu représentative, qui les a distribuées en catégories harmoniques, établissant entre elles une sorte de parallélisme de perceptions, de volonté, d'action, de mouvement, de sorte que, sans se confondre, elles marchent dans la conformité la plus parfaite, dans un ineffable accord. Ce rêve étonne la pensée; rève sublime que le génie de Leibnitz pouvait seul concevoir.

108. Notre tribut d'admiration payé à l'auteur de la Monadologie, je dois faire observer que sa conception n'est qu'une pure hypothèse à laquelle toutes les ressources du talent n'ont pu donner une base solide. Passons sous silence les graves difficultés qu'elle soulève contre le libre arbitre; bornons-nous à l'étudier dans ses rapports avec la question qui nous occupe.

Et d'abord, si la force de représentation attribuée aux monades n'est qu'une hypothèse, elle ne donne l'explication de de rien, à moins que la philosophie ne soit devenue un jeu de combinaisons ingénieuses. Le moi est une monade, c'est-à-dire une unité indivisible; vérité incontestable. Le moi est une monade représentative de l'univers, affirmation gratuite; jusqu'à ce qu'on l'ait prouvée, nous pouvons n'en tenir aucun compte.

109. Admettons que le moi possède la vertu représentative, comme l'entend Leibnitz. Cette hypothèse n'en laisse pas moins subsister tout ce que nous avons dit contre l'origine première de la science transcendantale.

Leibnitz explique l'origine des idées, il n'explique pas leur enchainement; il fait de l'âme un miroir dans lequel, en vertu de la volonté du Créateur, tout vient se peindre; mais, de l'ordre des représentations, ou de la manière dont elles naissent les unes des autres, il ne nous révèle rien, ne leur assignant d'autre lien que l'unité de la conscience. Ce système est done hors de cause. Il ne s'agit point, en effet, de la manière dont les représentations existent dans l'esprit ou de leur origine, mais de l'opinion qui prétend établir la science humaine tout entière sur un fait unique, et donner l'enchaînement des idées comme de simples modifications de ce fait. Leibnitz n'a rien prétendu

de semblable; rien, dans ses ouvrages, n'autorise à croire qu'il ait professé cette doctrine. Laissons-la donc tout entière à la moderne Allemagne.

1° Loin de croire à l'identité universelle, Leibnitz établit une pluralité, une multiplicité infinie; ses monades sont des ètres réellement distincts et différents.

2o L'univers entier, composé de monades, procède, selon ce philosophe, d'une monade infinie, non par émanation, mais par création.

3. Il place dans la monade infinie, c'est-à-dire en Dieu, la raison suffisante de toutes choses.

4° La connaissance accordée aux monades est un don de Dieu volontaire et libre.

5o Cette connaissance, et la conscience de cette connaissance, appartiennent aux monades individuellement; Leibnitz n'a jamais songé, même d'une manière éloignée, à ce fond absolu de toutes choses qui, dans ses transformations, s'élève de l'état de nature à celui de conscience, ou qui, descendant des régions de la conscience, se transforme et devient nature.

110. Des différences si marquées nous dispensent de commentaires; elles prouvent, jusqu'à l'évidence, que la philosophie du moi ne se peut couvrir du nom de Leibnitz. A vrai dire, ce n'est point là le but auquel nos philosophes aspirent ; l'originalité, voilà leur idole; idole à laquelle ils sacrifient le bon sens. Hegel, Schelling, Fichte, chacun en particulier, ont prétendu renouveler la science et fonder une école. Kant, pour éviter l'accusation de plagiat et renier Berkeley, a poussé cette ardeur de nouveauté jusqu'à défigurer son œuvre, la critique de la raison pure (1).

(4) Voyez la note X à la fin du volume.

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BIBL. HIST. 8° ANNÉE. 4° OUVR.

CHAPITRE XI.

EXAMEN DU PROBLÈME DE LA REPRÉSENTATION.

111. Toutes choses nous sont connues par représentation ; mais pouvons-nous dire ce qu'est en soi la représentation ? Condition nécessaire de toute connaissance, lumière pour tout le reste, elle ne nous apprend rien d'elle-même !

On le voit, je ne dissimule point les difficultés très-graves que présente la solution du problème. Dans les sciences comme dans les choses de la vie, la présomption est un écueil. Devonsnous, cependant, bannir cette question du domaine de la philosophie ? J'ose croire qu'il est possible d'approcher de la vérité, de l'entrevoir peut-être.

112. La force représentative peut émaner de trois sources : Identité, causalité, idéalité.

Je vais expliquer ma pensée : Une chose se peut représenter elle-même; représentation d'identité. Une cause peut représenter ses effets; représentation de causalité. Un être, substance ou accident, peut représenter un autre ètre, distinct de lui, ne relevant point de lui comme effet; représentation d'idéalité.

Il me semble impossible que l'on puisse signaler d'autres sources de représentation; je vais donc les examiner en détail. J'appelle, d'une manière spéciale, l'attention du lecteur sur cette question, l'une des plus importantes de la philosophie.

113. Ce qui représente doit avoir une certaine relation avec la chose représentée. Essentielle ou accidentelle, propre ou communiquée, cette relation doit exister. On ne conçoit point deux êtres n'ayant entre eux aucun rapport, et dont, toutefois, l'un représente l'autre. Toute chose a sa raison d'être ; s'il n'existait aucun rapport entre l'objet représentant et l'objet représenté, l'existence de la représentation n'aurait point de raison suffisante.

Qu'on veuille bien le remarquer ; je laisse de còté la nature de ce rapport; je n'affirme ni sa réalité, ni son idéalité, me bornant à dire, qu'entre ce qui représente et ce qui est représenté, il doit exister un lien, quel qu'il soit. Le mystère qui l'environne, son incompréhensibilité même, n'impliquent point sa non-existence. La philosophie constate l'énigme bien que, peut-être, elle ne puisse en donner le mot. C'est ainsi que " abstraction faite de toute expérience, on peut démontrer à priori qu'il existe un rapport entre le moi et les autres êtres, par ce fait seul que la représentation du monde extérieur existe dans le moi.

La communication incessante des intelligences entre elles et avec l'univers prouve qu'il existe pour toutes choses un point de rappel. Le phénomène de la représentation suffirait à l'établir d'une manière incontestable. Oui, tous les êtres, la multitude innombrable des êtres, dispersés en apparence, et indifférents les uns aux autres, sont unis intimement en un certain centre; de sorte que le simple phénomène de l'intelligence entraîne l'affirmation du lien commun, de l'unité dans laquelle la pluralité vient se confondre. Identité universelle pour les panthéistes pour nous, cette unité, c'est Dieu.

114. Observons qu'il n'est pas nécessaire que le rapport entre ce qui représente et ce qui est représenté soit direct et immédiat. Il suffit qu'il existe avec un tiers. Ainsi sont forcés de l'admettre et ceux qui expliquent la représentation par l'identité et ceux qui l'expliquent par les idées intermédiaires, sans que, relativement au cas présent, il y ait nulle différence entre l'opinion qui regarde les idées comme un produit de l'action des objets sur notre esprit, et celle qui les considère comme des émanations directes de la Divinité.

115. Tout ce qui représente contient, d'une certaine façon, la chose représentée ; celle-ci ne serait point représentée si elle ne se trouvait, en aucune sorte, dans la représentation. La représentation peut être objet ou image; mais cette image ne représenterait point l'objet si elle n'était connue comme image. Donc, toute idée implique un rapport d'objectivité ; autre

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