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<< Tout le monde accorde cette proposition: A est A; de mème que celle-ci : A=A. C'est le sens de la copule logique ; la certitude est entière. Demandez qu'on vous la démontre, vous aurez pour réponse: Cela est certain d'une manière absolue; rien de plus. Si nous procédons de la sorte, avec l'assentiment général, nous prenons donc le droit d'établir quelque chose d'une manière absolue.

» Affirmer que la proposition précédente est certaine en soi, ce n'est point établir l'existence de A. La proposition, A est A, n'équivaut point à celle-ci : A existe. Le verbe être présente un sens bien différent, nous le verrons dans la suite, selon qu'il est ou n'est pas suivi de l'attribut. Si l'on suppose que A désigne un espace compris entre deux droites, la proposition reste exacte dans le cas même où celle-ci : A existe, serait évidemment fausse. Il ne s'agit pas, en effet, de savoir si A est ou n'est point; on affirme seulement que s'il est, il doit être ainsi. Il n'est pas question du contenu de la proposition, mais de sa forme; ni d'un objet dont on sache quelque chose, mais de ce qu'on sait de tout objet, quel qu'il soit.

>> De la certitude de la proposition précédente, il résulte qu'entre si et ainsi il existe un rapport nécessaire, celui qui se trouve posé d'une manière absolue et sans aucun autre fondement que la nécessité. Ce rapport nécessaire, je le désigne provisoirement par X. »

Voici le sens de cette analyse embarrassée : Dans toute proposition, la copule, ou le verbe être, n'exprime point l'existence du sujet, mais le rapport du sujet avec l'attribut. Pourquoi tant de paroles, tant d'efforts d'intelligence à propos d'une proposition identique? Mais, armons-nous de patience, et poursuivons.

« Cet A est-il ou n'est-il point? Il y a indécision sur le fait particulier. Reste la question suivante : Sous quelle condition A existe-t-il?

>>

Quant au rapport X, il se trouve dans le moi et posé par le moi; car c'est le moi qui juge dans la proposition exprimée et qui juge avec vérité, se réglant sur X comme sur une loi. Par

conséquent, X est donné au moi; étant posé d'une manière absolue et sans autre fondement, il doit être donné au moi par le moi. »

82. Voici le mot de ce logogriphe, traduit en langue vulgaire Dans les propositions d'identité ou d'égalité, il existe un rapport; l'esprit connaît ce rapport; il le juge et le prend pour règle; ce rapport est donné à notre esprit; les propositions identiques n'ont pas besoin de preuves pour obtenir notre assentiment. Tout cela est très-vrai, très-clair, très-simple; mais lorsque Fichte ajoute que ce rapport doit être donné au moi par le moi, il affirme ce qu'il ne sait pas et ne peut savoir. Qui lui a révélé que les vérités objectives nous viennent de nous-mêmes? Est-il permis de résoudre ainsi, d'un trait de plume, les questions les plus difficiles de la philosophie, à savoir, l'origine de la vérité? A-t-il défini le moi? que dis-je? nous en a-t-il donné la plus légère idée? Ou ses paroles ne signifient rien, ou en voici le sens : Je juge d'un rapport; ce jugement se trouve en moi; ce rapport, en tant que connu, abstraction faite de son existence réelle, se trouve en moi. Descartes avait dit avec plus de simplicité : « Je pense, donc j'existe. »

83. Fichte n'a point dépassé le philosophe français dans la question qui nous occupe; loin de là, il ne fait que se traîner lourdement, péniblement sur ses pas. « Nous ne savons, continue-t-il, si A est posé ni comment il est posé; mais X devant exprimer un rapport entre un poser inconnu de A et un poser absolu du même A, en tant, du moins, que le rapport est posé, A existe dans le moi et se trouve posé par le moi, tout comme X. X n'est possible que relativement à un A; c'est ainsi que X est réellement posé dans le moi; done A doit se trouver dans le moi, si le moi contient X. » Quel langage! et que Descartes parait grand auprès de Fichte! Tous les deux établissent leur philosophie sur le fait de conscience qui révèle l'être. Mais l'un traduit sa pensée avec clarté, avec simplicité, dans un langage que tout le monde entend ou peut entendre. L'autre, craignant de relever d'un maitre, s'isole dans son orgueil et murmure,

du sein du nuage, d'incompréhensibles oracles. « Je pense, je n'en puis douter; ce fait est attesté par mon sens intime. La pensée implique l'existence, donc j'existe. » Voilà un langage sans affectation, sans prétention, le langage de la véritable philosophie; c'est celui de Descartes. «Que l'on me donne, dit à son tour le philosophe allemand, une proposition quelconque, par exemple A est A, » nous venons de voir avec quel appareil rebutant et stérile il expose que le verbe être n'exprime point l'existence du sujet d'une manière absolue, mais seulement sa relation avec l'attribut.

84. Mettons en parallèle les deux syllogismes :

Descartes Tout ce qui pense existe ; je pense; donc j'existe. Fichte: X n'est possible que relativement à un A; or X est réellement posé dans le moi; done A doit se trouver posé dans le moi.

Nulle différence, au fond; mais dans la forme, la différence du génie à la vanité stérile.

Je le répète, les deux syllogismes sont, au fond, les mèmes. Voici la majeure de Descartes : « Tout ce qui pense existe. » Cette majeure, il ne la prouve pas; il confesse qu'on ne peut la prouver. Voici celle de Fichte : « X n'est possible que relativement à un A. Ou, en d'autres termes, le rapport de l'attribut avec le sujet, en tant que connu, ne peut exister sans `un être qui le connaisse, « X devant exprimer un rapport entre un poser inconnu de A et un poser absolu du même A, en tant du moins que ce rapport est posé, » c'est-à-dire en tant qu'il est connu. Et comment Fichte prouve-t-il qu'un poser relatif suppose un poser absolu, c'est-à-dire un sujet où il se pose? Il ne prouve pas, il affirme. Il n'y a point d'A relatif, s'il n'y en a point d'absolu. Tout ce qui pense existe; ou rien ne peut penser sans exister. Cela est clair, évident ; ni Descartes ni Fichte ne peuvent aller plus loin.

« Je pense, » mineure du philosophe français; celui-ci n'en donne point la preuve et s'en rapporte au sens intime devant lequel il s'avoue invinciblement arrêté. Voici celle du philosophe allemand: « X est réellement posé dans le moi, » ce qui

le

signifie, le rapport du sujet avec l'attribut est réellement connu par le moi ; et comme, selon ce qu'il a établi, l'une ou l'autre de ces propositions pouvait être prise à volonté, dire que rapport de l'attribut avec le sujet est connu par le moi, c'est affirmer qu'un rapport quelconque est connu par le moi, ou plutôt c'est formuler cette proposition: Je pense.

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Remarquons-le bien s'il se trouve quelque différence l'avantage est du côté du philosophe français. La pensée, selon Descartes, est tout phénomène intime dont nous avons conscience. Qu'a-t-il besoin, pour constater ce fait, d'analyser une proposition et de surcharger l'intelligence? Pendant que Fichte se perd, loin du but, en d'inextricables détours Descartes, le montrant du doigt, dit: le voici. L'un agit en sophiste, l'autre en homme de génie.

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Il faudrait pardonner au philosophe allemand sa méthode, peu faite pour rendre la science attrayante, s'il s'en était tenu aux principes que nous venons d'exposer. Par malheur, ce moi mystérieux qu'il nous montre au vestibule même de la science, ce moi qui n'est et ne peut être, aux yeux d'une raison saine, que ce qu'il a été pour Descartes, à savoir l'esprit humain connaissant son existence à l'aide de sa propre pensée, va s'agrandissant, dans le système de Fichte, en des proportions incroyables. C'était un point imperceptible; c'est un fantôme gigantesque, dont les pieds touchent l'abime pendant que sa tète se perd dans le ciel. En effet, le moi, sujet absolu, existe, par cela seul qu'il se pose lui-même; il se crée lui-même, il absorbe tout, il est tout, et se révèle dans la conscience humaine comme dans une de ces phases sans fin qui partagent l'existence infinie.

Nous en avons dit assez pour faire comprendre les tendances du système de Fichte; nous y reviendrons, cependant, lorsqu'il s'agira d'exposer l'idée de la substance et de réfuter le panthéisme.

Le panthéisme! erreur capitale, la plus dangereuse des erreurs du siècle; erreur chère à la philosophie moderne et que nous devons combattre partout et sous toutes les formes

qu'il sait revêtir. Pour le faire avec fruit, il est bon de l'arrêter dès ses premiers pas; c'est pourquoi j'ai soumis à un examen prolongé la pensée fondamentale de la doctrine de la science, du philosophe allemand. J'ai voulu le dépouiller de l'importance exagérée qu'il lui attribue. Elle devenait, dans son plan, la base de la science transcendantale; car il ne se flattait de rien moins que de déterminer le principe absolu, inconditionnel de toutes les connaissances humaines (1).

CHAPITRE VIII.

L'IDENTITÉ UNIVERSELLE,

85. Pour ramener la science à l'unité, quelques philosophes ont recours à l'identité universelle : ce n'est pas trouver l'unité, c'est se réfugier dans le chaos.

Et, d'abord, cette identité ne serait-elle pas une hypothèse absurde? sur quoi pourrions-nous l'établir?

A part l'unité de conscience, nous ne trouvons rien, en nous, qui soit un. Multiplicité d'idées, de perceptions, de jugements, d'actes de la volonté, d'impressions; voilà pour le sens intimé. Multiplicité dans les êtres, ou, si l'on veut, dans les apparences qui nous entourent; voilà pour nos rapports avec les objets extérieurs. Où donc est cette unité, cette identité qui ne se trouvent ni en nous ni hors de nous ?

86. Purs phénomènes, dira-t-on peut-être, qui nous empêchent d'atteindre la réalité, l'unité identique et absolue qu'ils

recouvrent.

Nous répondons par le dilemme suivant : ou notre expérience s'arrête aux phénomènes, ou elle atteint la nature mème des choses. Dans le premier cas, nous ne pouvons savoir ce qui se cache sous les phénomènes, et alors l'unité identique et absolue

(1) Voyez la note VI à la fin du volume,

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